Chapitre 22 : Celle qui recoud les morceaux

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Elle ne savait pas par où commencer.

Le carnet de Suzanne était posé devant elle, ouvert à la dernière page.
Il n’y avait rien dessus. Une page blanche. Comme une attente.

Anna avait dormi peu, encore. Mais son sommeil avait été différent. Moins agité.
Comme si parler avait desserré quelque chose.

Elle était restée longtemps assise dans sa chambre, à regarder la lumière passer entre les rideaux.
Elle n’avait pas pleuré. Pas vraiment. Elle avait juste laissé l’eau venir, sans la retenir.
Comme si son corps savait mieux qu’elle ce qu’il fallait libérer.

Elle avait une idée, désormais.
Pas un projet. Pas une certitude.
Mais une idée.

Elle prit un autre carnet. Le sien. Un nouveau.
Couverture noire, pages encore vierges.
Et elle écrivit.

Pas pour comprendre. Pas pour expliquer.
Mais pour dire.
Écrire, comme on s’adresse à soi-même. Comme on appelle dans le noir en espérant une voix.

Chère Suzanne,
Je ne sais pas où tu es, ni ce que tu es vraiment.
Je ne sais pas si tu dors en moi ou si tu m’observes depuis un coin de silence.
Mais je sais que tu fais partie de moi. Et que tu l’as toujours su, avant moi.
Je t’ai longtemps cherchée dehors. Dans les photos, dans les lettres, dans les visages oubliés.
Mais tu étais là. Dedans. Tapie dans mes peurs, dans mes absences.
C’est moi qui t’ai dessinée. C’est moi qui t’ai nommée.
Tu es celle qui a souffert quand j’ai voulu oublier.
Et maintenant, je te vois.

Elle s’arrêta. Reprit son souffle. Puis continua.

Je ne veux plus te fuir. Ni t’effacer.
Je veux vivre avec toi.
Pas comme un secret. Pas comme une faille.
Mais comme un lien. Une force.

Elle reposa le stylo.
Et pour la première fois, elle sourit.
Un sourire discret. Minuscule.
Mais vrai.

Elle retourna au centre. Celui dont elle n’avait que des souvenirs flous.
Elle avait appelé, quelques jours plus tôt. Pris rendez-vous.
Pas pour être soignée.
Pour comprendre.

Une psychologue l’attendait. Une femme calme, aux gestes précis, à la voix basse.
Anna expliqua tout. Les lettres, les silences, les dessins d’enfant, le prénom gratté.

— Est-ce que j’ai inventé Suzanne ? demanda-t-elle. Ou est-ce que je suis Suzanne ?

La psychologue ne répondit pas tout de suite.
Elle posa quelques questions.
Puis dit doucement :

— Vous êtes les deux. Et ni l’une ni l’autre. Vous êtes vous. Mais une part de vous a été très seule, très jeune. Cette part a dû créer un refuge. Un nom. Un double. Et ça n’a rien d’anormal. C’est une façon de survivre.

Anna hocha la tête.
Elle ne comprenait pas tout. Mais elle sentait que c’était juste.

— Et maintenant ? demanda-t-elle.

— Maintenant, vous pouvez apprendre à faire de la place. Pas pour la chasser. Pour l’écouter. Pour coexister.

Anna laissa ces mots s’imprimer en elle.

Faire de la place.

Quelques semaines plus tard, elle retourna voir Mme Vernier.
Elle lui tendit une enveloppe, scellée, avec écrit simplement « Pour Suzanne ».
À l’intérieur, un dessin. Deux petites filles.
Main dans la main.

Et au dos, quelques mots :

Je ne suis plus seule.
Merci d’avoir attendu.

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