ça arrive....

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Ça s’est obscurci. Le soleil jusque là, en fraction d’ondes, dissipait son surplus de chaleur et de lumière. Un brouillard épais raréfiait son énergie. L’aube, avec ses nuances d’hiver, rebondissait sur l’opacité de l’atmosphère, s’efforçant à dévoiler une nouvelle journée. Je découvrais en ces temps idylliques, la déconvenue d’un musard lorsqu’il se surprend à hasarder la pensée.

La seule observation crédible la concernant révèle que, dans la stricte normalité, l’homme pense. Personne ne peut réfuter ce constat.

— Ça fait du bien, hein ! Au moins peux-tu, pour une fois, être sûr de quelque chose.

Tiens, la sieste n’a pas duré longtemps. Rendors-toi ! Ça, le plus grand objecteur de conscience, étonnant que ça ne trouve rien à réfuter.

Ça ne pense pas. Ça n’est qu’une idée parmi d’autres, bien commode pour construire une critique de la pensée, munie de flèches, ça tire des traits cuisants plein d’une causticité crue pour déconstruire les certitudes.

Ça bouscule la pensée pulsionnelle. Celle qui part de l’émotion et s’imagine universelle. Celle qui part de soi, une construction imaginaire dont on a ignoré la fragilité de l’échafaudage ; Souvent parce que lui-même est construit sur du sable.

Ça déteste le sable. Un grain de quartz ou de micas rose, grenat, blanc, noir présente toute la beauté de l’entropie. Unis entre eux, ils se transportent de dunes en dunes, au gré du vent et aux humeurs des plaques. Toujours en mouvement, les danses successives et sempiternelles découvrent à chaque envolée un autre relief.

La forêt, pleine de paradoxe où se manifeste les combats les plus sanglants, où s’affaire, sur quelques buttes entremêlées de mousse, un aréopage d’insectes, reste pour le promeneur un oasis de paix dans ce monde enclin aux turbulences et aux secousses. Le solitaire, à la semblance de ses chiens sans attache, libres enfin de remuer l’humus des feuilles et de flairer quelques pistes capiteuses pour abandonner aux jets d’urine toutes les nuances de la communication canine, peut se consacrer entièrement à la construction de ses pensées loin de l’apophtegme des cracheurs d’opinion.

La nature livre tout ce que peut offrir la vie et bouleverse les sensations nombreuses et diverses. Elle rend sensible aux odeurs, flatte les papilles, courtise les pupilles. Le vent, dans ses douces brises, aux caresses chaleureuses, effleure les peaux offertes à l’unité du monde. Plus furieuse, ses craquements heurtent l’oreille et révèlent entièrement les émotions les plus primitives. La forêt offre aux curieux un tant soit peu sensible aux secrets et à l’intimité du monde, tout le sublime qui fleurit la pensée.

Cette pensée peut d’une idée à l’autre construire des dunes insignifiantes dont l’intérêt ne loge que dans la beauté de l’éphémère. Il y en a d’autres contre lesquelles le vent ne pourra rien. Il faudrait une tornade pour les bousculer.

La pensée se construit à l’apparition des fonctions linguistiques. Avant, elle semble « nébuleuse où rien n’est délimitée* »

Instantanément, elle trouva un plaisir inattendu, un bien-être amniotique. Le simple fait de ressentir un corps vibrer la réjouissait. C'était même quelque chose de plus intense, une conscience particulière, une jouissance, une renaissance.

Elle poussa un cri ; de douleur ? La respiration prit toute sa place. Elle n'avait pas pris instantanément au sérieux les clartés de son nouvel environnement. Avant l'expulsion, elle ressentit un point de non retour, quelque chose avait chassé autre chose. Elle concevait dans l'obscurité. Jusque là, elle baignait, en complète harmonie avec le milieu ambiant comme en apesanteur. Elle développait. Un nombre incalculable de transformations, de métamorphoses se succédait. A partir de rien, elle universalisait, étoffait, amplifiait, exaltait. Tout participait à l’équilibre de l'ensemble. Les mécanismes se mettaient en place. La genèse avait choisi l'œuf. Enfin, pas tout à fait, parmi tant d'autres, l'œuf avait choisi. Ça avait été plusieurs à proposer leur compétence. De deux incertitudes, il devenait un. Soudain, tout déclencha. Un changement radical venait d'opérer. Au début, un mouvement imperceptible, un léger déséquilibre, une perte, une prise de pouvoir. Le choix était fait, celui de la vie. La vie expulsait. Perclus de frissons, de spasmes et de secousses, les évènements se succédèrent. Elle, projetée vers l'avant, bille en tête, glissa dans un passage étroit, subissait les palpitations des muqueuses et les contractions des membranes. Tout comprimait. Plus elle progressait, plus les degrés baissaient. Progressivement, elle percevait la différence de température et commençait à regretter les douceurs bienveillantes et sereines de l'univers protecteur. La lumière fut !

Le monde paraissait satisfait du résultat. Sur les visages exsangues, l'enthousiasme. Les grands yeux bleus regardaient avec un profond intérêt les gens passer, courir. Le monde l'avait placé dans une couveuse. ça dormait à ses côtés, pâle et serein. Régulièrement, un homme leur rendait visite et semblait heureux. Il les caressait délicatement sur les cheveux et les embrassait doucement sur la joue. Alors, ils ouvraient les yeux et se rendormaient, un sourire timide aux lèvres. La présence de l'autre juste pour l'autre ? Inutile d'être nombreux, trois suffit parfois.

Le cerveau connectait à toute allure, ça le devinait. Les mouvements incontrôlables. Comme des tics nerveux. Ça épuisait. Dormir et manger.

En quoi était-il si difficile de dire "j'ai faim" ? A qui fallait-il s'adresser? A cette femme, là, couchée sur le lit ?

Elle avait l'air si fatiguée. La faim sortit des tripes, malgré cette féroce volonté de rétention et malgré l’angoisse de déranger. Trop tard. Deux yeux cerclés de noir se tournèrent. Avec la plus grande difficulté, elle réussit à s'asseoir sur le lit. Elle dégrafa.

Le temps de comprendre comment ça fonctionnait. Les lèvres se posèrent sur la sphère, c'était chaud et doucereux. Elles aspirèrent. Elle remplit. Ça soufflait. Elles reprenaient, elle comblait, le vide disparaissait.

Le plein, quel bonheur !

Le sourire aux cernes engage les sourires d’amour. Alors c'était donc ça, l'autre, ça rassasiait. Les sentiments des joies immenses. Alors c'était donc ça, l'autre, ça enivrait. La somnolence surprit et les fines paupières se couchèrent sur les iris bleu turquoise.

* Saussure

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