Chapitre 1

5 minutes de lecture

Mon père était un homme bien. Du moins je le croyais. Je voulais le croire. J’essayais de le croire…

Quand j’avais quatre ans, il m’a promis qu’on irait à Paris pour mon anniversaire, alors même qu’on n’en avait pas les moyens. Il était gentil, doux et il essayait de toutes ses forces de faire vivre les rêves. Je n’avais pas de mère, mais un père comme lui était largement suffisant. Il avait le don de sourire comme un soleil, de manière éblouissante et réconfortante en même temps. Il travaillait dur pour m’élever et il était solitaire. C’est sans doute de lui que je tenais mon tempérament misanthrope.

Quand j’ai eu huit ans, il m’a offert mon premier carnet. Il s’attendait à me voir dessiner, mais j’en ai fait une histoire. Je m’arrangeais pour récupérer des feuilles, partout où je le pouvais. Ecrire était comme une drogue, je ne pouvais plus m’en passer. Je noircissais des pages entières à l’encre de mon imagination et je les lisais à mon père, le soir. Il riait, il se fâchait car je me couchais bien trop tard pour lire ou écrire. Il s’amusait à me piquer mes lunettes pour m’en empêcher et ça fonctionnait, un peu. Je luttais pour parvenir à lire ou écrire sans elles. J’étais bien trop têtue, déjà à mon âge.

Quand j’ai soufflé ma dixième bougie, il m’a appris à me défendre, pour repousser mes harceleurs. Il m’a appris à boxer et entre deux crochets du gauche ou du droit, nous travaillions ma répartie. Tous les matins, il me disait à quel point j’étais extraordinaire et une fois par semaine, je devais même me poster face à mon miroir et dire tout ce que j’aimais chez moi. J’ai eu du mal à le faire au début, ça me tordait le ventre, j’en pleurais, car tout me semblait faux, mais il était là, mon roc inébranlable.

Lors de ma onzième année, le roc fut englouti. C’était un matin de juillet, les vacances d’été commençaient et nous avions prévu de nous rendre ensemble à la plage pour admirer le coucher du soleil, mais il n’est jamais rentré. Je suis donc resté au garde à vous, devant la porte, attendant d’entendre le son caractéristique de ses clefs et plus le temps passait, plus j’avais une boule au ventre que je ne pouvais pas chasser. J’ai passé toute la nuit devant la porte. Je me suis réveillée, roulée en boule à même le sol, toujours aussi seule que la veille. J’ai donc entrepris de fouiller l’appartement. Peut-être était-il rentré, trop fatigué pour me porter jusqu’à mon lit ? Mais il n’était toujours pas là.

Alors je sortis de l’appartement et fis le tour de notre résidence. Je croisais quelques voisins qui me souriaient et me demandaient où j’allais. Je leur expliquais la situation, mais aucun d’entre eux n’avaient vu papa, ce qui ne faisait qu’augmenter mon inquiétude. Je tournais en rond, sans savoir où chercher, me retrouvant à errer dans les rues de la ville côtière où nous vivions. Je le cherchais dans tous les magasins où il avait l’habitude de rendre un service, dans tous les tabacs où il achetait ses cigarettes, sur la plage où nous aimions aller. Il n’était nulle part, comme s’il s’était simplement volatilisé.

Le cœur lourd et serré, frissonnant alors que la chaleur était étouffante, je retournais à notre appartement, espérant toujours qu’il soit finalement revenu, mais tout était désespérément vide, sans lui. Après avoir faiblement refermé la porte derrière moi et verrouillé, comme il me l’a bien appris, je me suis décidé à prendre le combiné. J’ai tapé, d’un doigt fébrile, le numéro de la police pour leur demander, d’une voix tremblante :

-Excusez-moi, mon père a disparu, je ne sais pas où il est. Qu’est-ce que je dois faire ?

La réponse ne m’a pas plu. J’ignore s’il a entendu la détresse dans ma voix, toujours est-il qu’il a tenté de me rassurer en me disant que mon père était sans doute chez un ami. Il est resté quelques minutes au téléphone avec moi, me conseillant de fermer toutes les issues de l’appartement et de rappeler le lendemain, si jamais mon père n’était toujours pas revenu.

Ce fut une nuit difficile, j’avais peur du moindre bruit. J’imaginais des cambrioleurs qui se dissimulaient dans les ombres des rideaux, derrières les portes ou sous les lits. Des hommes qui allaient me découper en morceaux et me jeter par la fenêtre du deuxième étage. Heureusement, j’étais seule, mais cela voulait surtout dire que mon père n’était toujours pas revenu.

Le lendemain, à seize heure précise, je rappelais la police et une heure plus tard, une armée d’hommes et de femmes en uniforme envahissaient notre maison. Ils étaient tous vêtu de bleu et ils parlaient entre eux, comme si je n’étais pas là. Ils fouillaient notre cocon, comme si c’était une mine d’information et une femme maladroite tentait de me parler pour détourner mon attention. Elle n’était pas à l’aise avec les enfants et ses collègues l’avaient collé avec moi sous prétexte qu’elle était une femme. Ils s’imaginaient que ce simple fait lui octroyait un quelconque instinct maternel, mais ce n’était pas le cas. Elle n’était pas méchante, loin de là, mais elle ne savait pas comment s’adresser à moi et ça ne faisait qu’accroitre mon angoisse. Je ne voulais pas d’eux ici, je voulais seulement mon père !

Les évènements s’enchainèrent si vite que je ne saurais même plus dire si cela a duré quelques jours ou quelques heures… Un officier m’a demandé si j’avais de la famille, je lui ai répondu qu’il n’y avait que mon père et moi et il a inévitablement posé des questions sur ma mère. J’ai eu beau lui répéter que je ne la connaissais pas, que je n’en avais pas, il a demandé à ses collègues de chercher dans la base de données de l’Etat-civil.

Puisqu’ils n’ont rien trouvé, ils m’ont emmené au poste avec eux et j’ai très vite été récupéré par un assistant social. Il m’a préparé pour m’emmener au foyer. Là-bas, régnait une compétition malsaine entre les enfants, qui voulaient par-dessus tout être adopté. Chacun d’eux n’avaient, pour seul bagage, qu’un sac poubelle ou un sac à dos miteux. Alors qu’il me ramenait à l’appartement de mon père, j’ai dû composer mon sac. Je ne pouvais pas garder tout ce qui se trouvait dans l’appartement, qui nous appartenait pourtant à mon père et moi, je n’avais droit qu’au nécessaire.

J’ai supplié l’assistant social de me laisser emporter mes carnets et mes feuilles. Je pouvais laisser le reste, mais pas ça ! Il accepta, me proposant d’en glisser une partie dans un sac en plastique supplémentaire et je le remerciais vivement. De toute une vie, je n’emportais donc que mes carnets, la grande chemise en jean de mon père, une boite à musique, quelques vêtements et ma chaine de baptême. Je pris le temps de rouler mes vêtements dans le sac de sport pour gagner un maximum de place et parvins à faire tenir toutes mes feuilles volantes et mes quatre carnets.

Puis nous nous sommes mis en route pour le foyer d’accueil.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ariès Black ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0