1.1 - Que son existence continue d’être ta lumière

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 Mes yeux plongeaient dans l’éternel, je sondai le passé sans le savoir. C’était si hypnotisant. J’avais la sensation de me perdre dans l’immensité de ce ciel sombre. Pourtant, chaque fois que mes yeux se laissaient adoucir par l’obscurité et que les ténèbres me happaient, de petites lumières blanches me retenaient.

Elles avaient toutes ce petit scintillement vivant, cette caractéristique commune qui m’envoûtait, me captivait, m'incitait à n’avoir d’yeux que pour elles.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, dès lors que l’une d’entre elles attirait mon attention, me poussant à me focaliser sur sa beauté, d’un commun accord, toutes ses sœurs s’effacèrent, devenant floues. Comme si sa simple présence suffisait à faire disparaître tout ce qui l’entourait, rendant ainsi l’existence même de ses semblables incertaines. Puis, dès lors que je cessai de fixer l’une d’entre elles, un panorama de centaines de petites lumières scintillantes se dessina dans mon champ de vision.

Finalement, de leur simple présence, elles illuminaient le ciel. Elles rendaient vivante la nuit sombre que le peuple craignait tant. À la fois nos repères et nos gardiennes, elles nous protégeaient en nous orientant dans l’obscurité de la nuit. Du moins, c’est ce qu’ilm’avait expliqué tant de fois, toujours avec cette même passion débordante.

Et aujourd’hui, elles étaient l’une des dernières choses me reliant encore à lui, ainsi qu’à nos nombreux souvenirs nostalgiques et fugaces.

 Mon regard perdu dans le vide, me noyant doucement dans la chaleur de leurs existences si singulières, je me sentis en paix pour la première fois depuis longtemps. Je me sentis être là, sans vraiment l’être. Cette chaleur me semblait être tout ce qui me retenait encore dans ce bas monde. Et pourtant, bercées par cette sensation, mes paupières me semblérent lourdes.

 Alors que mes yeux commençaient à se fermer, prêt à me laisser emporter, un souvenir lointain se fraya un chemin à travers ma mémoire.

***

308-ème cycle, du 61ème jour de la saison de la renaissance.

Le grand Rualos, trop rarement caché par les quelques nuages présents, frappait sans considération mon armure en cuir sale. J’avais chaud. J’étais en sueur. Sous mon pourpoint, mes habits de lin me collaient à la peau. Mes mains étaient mouillées tellement je transpirais dans mes gantelets de cuir. Mes deux pieds ancrés dans la terre chaude et poussiéreuse me donnaient la sensation de me tenir au milieu d’un feu de camp. Mais le pire était le casque que je portais sur la tête. Je pouvais sentir des gouttes de sueur perler le long de mon visage et de ma nuque, se mélangeant à la crasse collée à ma peau. C’était une sensation pour le moins désagréable. Seul la légère brise qui soufflait parfois sur le bas de mon visage, la seule partie à découvert, me procurait un bien-être éphémère. À côté de cela, mon corps était épuisé par les efforts successifs. Je le ressentais, il me criait d’abandonner. De même pour ma respiration qui se faisait de plus en plus saccadée. Puis même au fond de moi, je n’avais qu’une seule envie : retirer mon équipement et m’allonger dans l’herbe, sous l’ombre d’un arbre.

Et pourtant, malgré mon état et cette chaleur suffocante, je m’efforçai de rester debout, le corps légèrement incliné en avant. Armée d’un glaive en fer dans une main, et d’un écu dans l’autre, ma position se voulait pour le moins agressive.

Sans le vouloir, je fronçai les sourcils, donnant ainsi plus de tranchant à la forme aiguisée de mes yeux, au travers de la fente de mon casque. Cette expression était la preuve de ma détermination et de ma concentration. Le regard fixé devant moi, j’étais focalisé sur une seule chose, sur une seule personne : la jeune femme qui se tenait à quelques pas.

En dépit du fait qu’elle fasse deux têtes de moins que moi, son regard était aussi déterminé que le mien. Elle me faisait face, immobile, son bouclier en avant, prête à parer n’importe lequel de mes coups. Sa position était la preuve qu’elle avait conscience de ma force. Elle savait que la prochaine attaque viendrait assurément de moi.

Pourtant, comme si j’étais faite de marbre, je ne bougeais pas. Je la jaugeai. Je l’observai. J’attendais le moment propice pour lui lancer une attaque. J’attendais le moment où son regard dériverait sur une futilité, me laissant ainsi une ouverture. Malheureusement, je n’avais plus le temps d’attendre. Les conditions de combat étaient de plus en plus insoutenables.

Par conséquent, si je voulais prendre l’avantage, j’allais devoir être astucieuse et provoquer le destin. Et le meilleur moyen, c’était d’abuser des faiblesses humaines, ou plutôt, des automatismes que nous disposions tous.

Discrètement, je lâchai le caillou que j’avais calé entre ma main et la lanière intérieure du bouclier. Au moment où je l’entendis s’entre choquer avec ses compères au sol, le regard de mon adversaire se déporta le temps d’un instant.

Mon sang ne fit qu’un tour. La mâchoire serrée, je pris appui sur mon pied porteur, et me propulsai en avant afin de réduire le peu de distance nous séparant. Brandissant mon arme, tout en maintenant l’équilibre de mon corps avec le bouclier que je tenais fermement, j’abattis mon arme avec toute la force dont je disposais.

Bien qu’elle soit prise aux dépourvu par cet assaut, elle eut le temps de redresser in extremis, mais fermement, son bouclier en direction du ciel. Un choc métallique résonna lorsque mon épée heurta son bouclier. La jeune femme vacilla de deux pas en arrière, mais continua malgré tout à maintenir un semblant de posture défensive. De mon côté, je serrais encore les dents à cause de la douleur qui avait endolori mon bras. La violence avait été trop sèche. J’étais désormais incapable de le mouvoir normalement.

Pourtant, dès lors que j’aperçus son regard dans le vague, je compris que le bruit sourd et la violence du choc l’avaient également ébranlée. Le bras qui tenait son bouclier devait sûrement être aussi engourdi.

Profitant de la situation, je balançai un second assaut dans la continuité du premier. Utilisant mon autre pied afin de prendre de l’élan, je lui assenai, à l’aide de mon bouclier, un coup encore plus violent que la précédente attaque.

Cette fois-ci, mon attaque précipitée lui fit perdre son équilibre. Elle tomba au pied de l’arbre qui se tenait derrière elle, le dos collé contre ce dernier. La violence de la charge lui avait fait perdre son bouclier. Désormais armée de son seul glaive, elle me regardait impuissante.

Alors que je m’avançais dans sa direction, elle laissa tomber ses bras au sol. Même l’épée qu’elle tenait jusqu’à maintenant fut abandonnée. Dans son regard, je pus apercevoir toute sa combativité se volatiliser.

Face à ces signes d’abdication, je réajustai le positionnement de mon glaive afin qu’il soit dirigé vers son cou, symbolisant ainsi ma victoire. Sans m’en rendre compte, à cet instant, les muscles de mon corps se détendirent légèrement. J’étais enfin soulagé que ce soit fini.

Sans le savoir, je venais de dévoiler par mégarde une ouverture à mon opposante. Il ne lui en fallut pas plus pour réagir. Je n’eus le temps de percevoir que la fin du mouvement de son bras, juste avant qu’un nuage de poussière et de terre n’atteignît mes yeux. Par pur réflexe, je fermai ces derniers afin de les protéger. Mais il était trop tard. Je n’y voyais déjà plus rien.

La suite des évènements ne fut qu’une succession de perceptions : un violent choc contre mes tibias. Une sensation de chute. La solidité du sol. Puis l’instant d’après, ce fut un poids sur mon bras gauche, suivi d’une oppression au niveau de mes poumons, et pour terminer, une pression glaçante se propageant le long de mon cou.

Avec beaucoup de difficulté, je finis par rouvrir les yeux et je la vis. Elle se tenait là, sur moi, toute souriante, un genou bloquant mon bras, et l’autre écrasant ma poitrine. De la manière la plus détendue qui soit, elle prononça ces mots, son glaive encore plaqué contre mon cou.

« C’est ma victoire, grande sœur Keira, dit la jeune fille, le sourire aux lèvres.

— Bien joué Aleyna. Je ne m’attendais pas à un coup si sournois venant de ta part », prononçai-je avec un arrière-goût d’amertume et de poussière.

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