Histoire n° 7 : Réalité versus fiction, qui a le plus d’imagination ?
Un romancier habitant Gstaad marié à une femme ayant une enfant d’un premier mariage n’aime pas cette enfant, le couple est un enfer, la femme boit. Un comédien raté enlève Dora et finira par la rendre contre deux millions de francs suisses. L’écrivain se met alors à aimer la petite car désormais elle lui appartient. Voilà le résumé du début d’un livre que le père de San-Antonio a déjà écrit au moment où se produit un télescopage forcené du réel et de la fiction : un matin de mars 1983, la femme de Frédéric Dard lui demande si leur fille Joséphine est avec lui. À l’aube, il prépare le petit déjeuner de la famille dans sa maison de la banlieue cossue de Genève, mais la jeune fille de treize ans n’est pas là. L’horreur entre dans la maison avec une violence inouïe : Joséphine a été kidnappée, il y a du sang sur ses draps et une demande de rançon de deux millions de francs suisses déposée sur la table de nuit. Pris d’effroi, les parents hurlent de douleur. L’enlèvement de la pauvre fillette durera une cinquantaine d’heures.
Le caméraman d’une équipe de tournage de la Télévision Suisse Romande avait profité d’un reportage au domicile de l’écrivain pour repérer sa proie et les lieux. L’ordure avait d’abord pensé enlever le fils de Sophia Loren, mais changea de cible en filmant l’interview du célèbre auteur. Il utilisera une échelle oubliée par le jardinier pour grimper jusqu’à la chambre du premier étage où dormait Joséphine avant de forcer le volet et la fenêtre pour aller plaquer un mouchoir imbibé de chloroforme sur le visage de l’enfant et de la droguer en lui faisant des piqûres sans savoir s’y prendre, d’où le sang !
Frédéric Dard se rend seul dans la nuit au rendez-vous pour verser la rançon, il doit attacher un sac rempli de petites coupures à un filin tendu le long d’une falaise. Il regarde le sac s’éloigner dans l’obscurité.
Deux heures plus tard, le criminel l’appelle pour lui indiquer une cabine téléphonique dans laquelle se trouve l’adresse de l’endroit où il doit venir récupérer sa fille. Joséphine qui avait été séquestrée dans un appartement se réveillera cette fois dans une caravane. Il n’y a personne, elle s’enfuit et marche dans les bois jusqu’à une route de campagne, une voiture s’arrête pour la prendre en charge. Le conducteur qui n’est évidemment pas au courant de l’enlèvement la prend pour une droguée et l’emmène dans un bistrot où enfin, on prévient le commissariat. Le kidnappeur sera rapidement arrêté car il avait été repéré par un couple qui flirtait dans une voiture garée près d’une cabine téléphonique d’où sortit un homme portant un masque à l’effigie de François Mitterrand. Trouvant cela bizarre, la femme avait noté le numéro de sa plaque sur un paquet de cigarette et lorsqu’elle vit les gros titres dans les journaux, elle fit le rapprochement. Le coupable fut condamné à dix-huit ans de réclusion. Cependant, avant le procès, une abominable calomnie se greffa sur le drame : certains esprits mesquins chuchotèrent que c’était le père de la petite victime qui avait goupillé cette histoire de rapt pour faire un coup de pub ! La famille sortira profondément affectée de cette sale histoire. Sous le choc de l’enlèvement de sa fille, Frédéric Dard avait fait lire à un ami son manuscrit pour qu’il soit le témoin de cette malheureuse prémonition et quand le livre parut, il fera cet amer constat : « Les romanciers passent leur vie à écrire des vérités inventées. »
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