PIEGE DE NEIGE

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Valérie et Damien forment un jeune couple attachant, ils vivent dans un chalet ancien situé dans le hameau du Chalvet sur les hauteurs de Montgenèvre à 1800 m d’altitude. Ils vivent tranquillement perchés dans la montagne autour de leur poulailler. Damien s’occupe du potager, en permaculture bien évidement, avec plus ou moins de réussite d’ailleurs. En bon enfant du pays c’est un passionné de montagne qu’il connaît bien d’autant qu’il participe régulièrement à des courses en haute montagne qui l’amènent à s’absenter quelques jours et à passer des nuits sur les sommaires paillasses des refuges d’altitude. Mais aujourd’hui il n’est pas rentré de sa dernière escapade d’altitude avec Jérémy.

Très amoureux tous les 2, ces jeunes tourtereaux se sont mariés il y a quelques années dans la plus stricte intimité comme on dit. Damien comme Valérie ont passé leur enfance à Montgenèvre, un village de moins de 500 habitants niché au cœur de la montagne tout près de la frontière italienne. Village au départ typiquement alpestre, Montgenèvre a perdu son âme avec le développement touristique et notamment le développement des sports d’hiver. Malgré un développement urbanistique évident, la population n’a cessé de décliner depuis une trentaine d’années. Pourtant certains comme Valérie et Damien s’accrochent à leur village.

Après ses études à l’université de Grenoble, un passage à Gap puis à l’INSPE à Grenoble,    Valérie est revenue au pays, elle est maintenant l’institutrice fétiche du village. Valérie c’est la douceur même et un côté maternel affirmé.

Petite déjà elle adorait s’occuper de ses deux jeunes frères. A l’origine Valérie a fait des études de psychologie à l’Université de Grenoble. Après la maîtrise, un peu lassée de la vie universitaire, elle se dédia à un centre éducatif pour jeunes enfants en difficultés de Gap. Très rapidement des dissensions et désaccords apparurent avec la Direction plus préoccupée par les aspects financiers que par la progression des enfants qui lui étaient confiés. Elle décida de se présenter au concours de recrutement des professeurs d’écoles après avoir valider le MEEF via une VAE et quelques UV complémentaires.

Pour sa part Damien après des études secondaires honorables au Lycée d’Altitude de Briançon a brillamment réussi des études d’informatique à PolyTech Grenoble d’où il est sorti major de promotion. Après quelques années au sein de sociétés de services informatiques, Damien a créé sa propre entreprise de services informatiques dédiés aux TPE ainsi qu’aux PMI/PME. Son activité est centrée chez lui au cœur de la montagne d’où il travaille à distance malgré les aléas de la couverture Internet. Un double abonnement auprès d’Orange et de Télécom Italia lui permet de s’affranchir des aléas d’accès au Web. Damien est un homme plutôt secret et peu bavard. En parallèle à son intérêt pour la science informatique il est depuis toujours passionné par la montagne et l’altitude où il aime se retrouver avec lui-même. Il s’échappe régulièrement de la vie sociale pour partir faire des courses en Montagne la plupart du temps avec Jérémy son ami d’enfance. Ils étaient déjà ensemble à la maternelle. Puis ils ne se sont pas quitté jusqu’à la terminale.

Jérémy pour sa part est moins intello, plus convivial, plus relationnel. Il a toujours été beaucoup moins intéressé par les études, plutôt que les grandes écoles il s’est dirigé vers l’apprentissage au CFA de Gap, il est aujourd’hui pâtissier-confiseur.

Sa spécialité est la tarte aux myrtilles très appréciée des clients habitués de la boulangerie pâtisserie Le Chalet des Gourmandises mais également des touristes qui y reviennent d’années en années.

Après avoir participé à la Sky Race de Montgenèvre une course à pied au travers de la montagne en juillet dernier, Damien et Jérémy ont peaufiné leur préparation pour leur première course en montagne en indépendant de l’année prévue en décembre entre Noël et le Jour de l’An. Cette fois ils ont décidé d’aller sur le Mont Chamberton qui culmine à plus de 3000 m. Le départ est prévu le 27 décembre du moins si la météo est favorable. Finalement ils partent le 28 car la météo apparaît plus favorable au retour. A six heures les deux compères se retrouvent en bas de la remontée du Chalvet, le lever du soleil est prévue à 8h10. La nuit est claire mais il fait moins 5°C.

Les deux alpinistes s’engagent sur le chemin de la crête de Chalvet il leur faudra 5 heures de marche pour arriver sur la crête du Chalvet et suivre la ligne de crête, qui offre une vue splendide sur les vallées de la Durance et de la Clarée, jusqu’à la Tête des Fournéoux et son panorama sur le Piémont italien, à plus de 2600 mètres d’altitude. La voie de montée se déroule sans difficultés majeures, l’atteinte de la Tête des Fournéoux est un délice visuel qui récompense tous les efforts. Après une pause bien méritée il est temps de prendre le chemin du retour histoire d’arriver au village avant la nuit noire.

La descente semble facile, Damien et Jérémy enchaînent les pas à bon rythme. Tout à coup un sourd grondement descend de la montagne, un épais nuage semble dévaler du haut e la montagne.

Damien comme Jérémy perçoit un danger mais avant qu’ils aient eu le temps de comprendre un déluge de neige et de caillasses déboule sur eux. Jérémy en tête a le temps de s’écarter de la coulée, lui ne peut pas se dégager à temps il est emporté par l’avalanche.

La coulée l’entraîne vers une cascade gelée qui le précipite dans le vide emportant tout sur son passage, arbres, arbustes et le corps de Damien.

Il    disparaît dans le roulé-boulé de neige et de rochers arrachés à la montagne qui déboulent dans un bruit effrayant.

Jérémy bien que déboussolé réussi à déclencher sa balise de SOS et part à la recherche de Damien en longeant le haut de la cascade dans l’espoir de l’apercevoir. Il n’y voit pas grand-chose, la neige comme vaporisée masque l’ensemble de son horizon.

Dans les heures qui suivent une équipe de secours du peloton de la gendarmerie de haute montagne de Briançon arrive rapidement en hélicoptère. Deux gendarmes descendent en rappel, la nuit commence à tomber, Jérémy les a guidé avec une fusée de détresse. Un des secouristes entame une descente en rappel le long de la cascade, le second resté là-haut l’assure. Dès avoir repris pied le gendarme entame la recherche    d’un indice et se met à sonder systématiquement les amas de neige à l’aide d’une tige semi-flexible en même temps qu’il met en route le détecteur de balise qui reste muet. Malgré cette minutieuse recherche il n’observe rien, ne détecte rien..

La nuit est maintenant tombée, le ciel est clair et les étoiles brillent apportant une faible luminosité. Une seconde équipe arrive, ils sont venus en scooter des neiges qu’ils ont laissé dans le contre bas de l’autre côté de la crête et ils ont continué à pied dans la neige profonde et collante. Ils installent rapidement un camp de base et partent en recherche équipé également de sondes afin d’explorer en profondeur la neige et détecter une éventuelle résistance qui pourrait être le corps de Jérémy. En dépit de leurs efforts Damien reste introuvable, aucun indice n’est découvert.

La nuit est maintenant profonde et malgré les éclairages les gendarmes de montagne n’y voient plus grand-chose,    le froid glacial s’est installé avec le blizzard qui s’est levé à la tombée de la nuit. L’ensemble risque d’avalanche, blizzard et froid rend les recherches difficiles voire dangereuses.

Le PC des secours de Briançon donne l’ordre de stopper les recherches pour les reprendre le lendemain dès l’aube.

Les recherches reprendront effectivement le matin dès l’aube mais malgré 2 jours de recherche Damien ne sera pas retrouvé et il est malheureusement porté disparu.

Toute cette journée Valérie s’est affairée en classe pour préparer une petite fête de Noël à l’attention de ses élèves de CP. Elle n’a pas vu le temps passer mais il est déjà 17 h la nuit tombe il est grand temps de rentrer à la maison. Damien doit être rentré de sa course, ce matin il a envoyé un SMS annonçant son retour à la maison vers le milieu d’après-midi.

A la maison personne, Valérie vérifie son portable pas de nouveau message, le répondeur du téléphone fixe ne contient pas de message non plus. Mais Valérie ne s’inquiète pas trop : les aléas de la montagne, sans doute une difficulté imprévue lors de la descente ou bien les 2 compères ont décidés de dévier de leur route au dernier moment pour aller observer le paysage sur une crête ou aller prendre des photos d’une marmotte croisée au détour d’un bosquet. La nuit s’avance et toujours pas retour de Damien.

Incapable d’aller se coucher elle décide de se poser dans le canapé et de regarder un DVD. Le temps continu de défiler. Quelqu’un frappe à la porte, elle ouvre Jérémy est là les bras ballants accompagné d’un gendarme.

Valérie comprend tout de suite qu’un malheur est arrivé. Les sanglots lui viennent rapidement avant même que les 2 hommes aient le temps d’expliquer la situation.

Jérémy la prend dans ses bras et lui parle doucement à l’oreille. Valérie sait maintenant que suite à cette avalanche son mari est porté disparu mais que les recherches reprendront dès l’aube. Son cœur se serre sa vie vient de s’arrêter.

Le lendemain deux équipes sont présentées sur les lieux du drame, l’une va explorer la partie est du torrent en bas de la cascade gelée l’autre équipe ira du côté ouest. Les résultats ne sont guère plus encourageants que la veille.

Aucune trace de Damien qui finalement est déclaré officiellement disparu au terme de ces 2 jours de recherche intensive pendant laquelle plusieurs équipes se sont succédées pour draguer le moindre bosquet, la moindre crevasse…

Au printemps suivant après la fonte des neiges et le dégel de la cascade, un groupe de trekkeurs trouve dans le torrent en contre bas de la cascade à 200 ou 300 mètres de la chute d’eau, un sac à dos plein de matériel et de quelques barres chocolatées. Mousquetons et une corde de rappel sont encore accrochés au sac à dos. La gendarmerie identifie rapidement le sac à dos à la vue du nom cousu sur la poche frontale.    Le sac est rapidement certifié comme étant bien celui de Damien par Valérie. A cette nouvelle Jérémy et Valérie décident de profiter du week-end pour aller explorer la zone à la recherche d’autres indices. Ils tournent et virent aux alentours du lieu où les promeneurs ont trouvé le sac, sans rien trouver dans un premier temps. Sur le point de faire demi-tour Jérémy remarque comme une sorte de lanière dépassant d’un amas de branchage. Négligemment, presque machinalement il attrape le bout de ce qu’il pense être un bout de lacet. Non au bout de cette lanière se trouve un piolet, le piolet de Damien. Encouragés par cette trouvaille Valérie et Damien redouble d’énergie dans leur recherche qui ne découvrira rien d’autre. Épuisés et déçus ils renoncent à aller plus loin et décident de redescendre dans la vallée.

Désespérée Valérie reprend le cours de sa vie, désormais de solitude.

Sa vie de tristesse s’étale entre Clavière et l’école communale de Montgenèvre où les gamins éclairent un peu ses journées. Elle si vivante a laissé sa joie s’endormir doucement.

Aujourd’hui il fait grand beau, la nature sort de son écrin de neige, les premières primevères pointent leurs boutons.    Valérie est installée sur la terrasse qui offre une vue imprenable sur la vallée, elle se passionne pour le crochet depuis la disparition de Jérémy.

Elle entend un bruit au loin, elle lève la tête et aperçoit une voiture au loin qui sillonne sur la petite route toute en lacets qui monte vers la maison. Sans doute un touriste égaré pense-t-elle. La voiture arrive effectivement devant la maison et se positionne face à la terrasse.

A peine arrêté une porte arrière s’ouvre et quelqu’un en sort en trombe. La personne un homme costaud court instantanément vers la maison en hurlant Valérie, Valérie. Elle ne reconnaît pas qui est l’homme mais la voix, elle l’a reconnaît sans y croire au premier appel. Elle se penche sur le parapet de la terrasse pour se rendre compte que c’est bien Damien qui est là contre toute attente.

L’émotion passée et après moult embrassades Damien raconte son aventure. Le glissement de terrain et l’avalanche l’ont bien projetés en bas de la cascade et il s’est retrouvé coincé contre un rocher totalement recouvert par la neige, raison pour laquelle les sauveteurs ne l’ont pas vu et qu’ils ont été leurré par la roche lors des sondages. Son casque ayant été arraché dans sa chute il a lourdement heurté le rocher ouvrant une énorme plaie sur la tempe droite. Il a dans un premier temps perdu connaissance. Dans la nuit profonde il a plus ou moins reprit connaissance. Il s’aperçoit que son visage, ses cheveux sont pleins de sang, mais sa tête était vide, il ne sait même pas ce qu’il fait là. Où est-il ? Il entreprend de se relever et complètement hébété il se met à marcher droit devant au hasard.

Entre glissades et chutes et après ce qui lui a semblé qu’un court moment, en réalité il a déambulé le restant de la nuit, il a perdu la notion du temps. Au loin il voit le toit d’alose de ce qui lui semble être un abri, une étable. Le terrain alentours est escarpé mais il parvient à s’approcher. Il a y une cheminée, la fumée qui en sort virevolte dans un léger courant d’air. Il frappe à la porte en même temps qu’il la pousse.

Un grand gaillard à l’air surpris est là en train de tisonner dans la cheminée. C’est une sorte d’ermite, de sa bouche sortent des mots que Damien ne comprend pas. En fait c’est un italien qui vit retiré de la civilisation.

Damien cherche à s’expliquer mais les mots ne sortent pas de sa bouche plutôt des grognements, il n’arrive pas à articuler. L’ermite l’accueille pourtant, le soigne et le nourrit tout l’hiver. Petit à petit Damien a retrouvé la parole. A la fonte des neiges quand le chemin est redevenu praticable, l’italien décide d’amener Damien aux carabinieri du village en bas, Sestrière. Interrogation, énervement s’ensuivent du fait de la difficulté à communiquer, l’un ne parlant pas plus couramment l’italien que les autres le français malgré la proximité de la frontière. Finalement après une journée et l’arrivée d’un jeune du village qui a fait office de traducteur, l’un des carabinieri qui a l’habitude de skier sur Montgenèvre se souvient de cette histoire de disparition d’un alpiniste lors d’une course en montagne. Le commandant de la Stazione de Sestrière décide finalement de prendre contact avec la gendarmerie la plus proche, en l’occurrence celle de Montgenèvre où Damien est transféré dans la foulée.

Tout le monde se connaît dans ce petit village, d’autant que Damien est le mari de l’institutrice. Les gendarmes n’ont aucun mal à l’identifier et lui redonner son nom. Ils lui montrent des photos, lui parle de l’école primaire.

Soudain la mémoire lui revient, pleins de souvenirs lui reviennent en rafales plus ou moins complètes, Valérie, leur chalet sur les flancs de la montagne, les courses en haute montagne, son ami Jérémy, l’avalanche.

Aussitôt il demande à appeler chez lui mais personne ne répond et pour cause Valérie ne pouvant vivre seule dans ce chalet chargé de souvenir, est repartie vivre chez ses parents à Clavière petit village dans la montagne perdu à quelques kilomètres de Montgenèvre. Les gendarmes par précaution préfèrent appeler Jérémy dont ils retrouvent les coordonnées via le site Les copains d’avant.

Les retrouvailles entre Damien et Jérémy sont émouvantes mais brèves. Ils sautent dans un taxi direction Clavière !

En une quinzaine de minutes le taxi arrive en vue de la maison de Valérie et Damien.

Là-haut sur le flan de la montagne Valérie est affairée dans le poulailler mais elle entend une voiture s’approcher au loin. Nonchalamment elle ressort du poulailler et se rapproche de la barrière afin de voir la route qui serpente en contrebas de la maison.

Elle aperçoit effectivement une voiture cheminant sur la route sinueuse. Qui cela peut-il être en plein milieu de l’après-midi ? Elle n’attend la visite de personne. La voiture entre dans la cour et s’arrête dès la barrière passée. Comme par instinct elle se précipite vers l’homme qui en sort c’est Jérémy avec un sourire des grands jours. Comme il s’approche de Valérie une portière claque, un homme qu’elle ne reconnaît pas à première vue est là debout, les bras ballants, droit comme un piquet comme tétanisé. Le cœur de Valérie s’emballe tout d’un coup, une étincelle jaillit de plus profond d’elle-même, l’impossible retour s’est produit.

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