3

3 minutes de lecture
  • AUCUNE trace de freins, Monsieur le Président. Non. Pas UNE ! tonnait l'avocat de la partie civile en projetant des photos de la chaussée après l'accident sur grand écran.

Les deux véhicules avaient terminé leur course dans un champ de blé moissonné quelques jours plus tôt. Le 4x4 avait été stoppé par les immenses rouleaux de paille, tandis que l'Espace s'était figé tel un automate que l'on débranche brusquement - les roues face au ciel - à l'issue d'une série de tonneaux.

Pour le maçon ivre, la collision avait ressemblé à un brutal atterrissage. Sans ménagement et dans un vacarme fracassant il avait été tiré de sa rêverie avec la désagréable sensation de devoir poursuivre sa route dans un épais brouillard. D'effroyables images étaient venues le percer. À la fois acteur et spectateur, Rudy s'était vu successivement emboutir et pousser la voiture familiale, puis entrer dans un champ et heurter des cylindres de blé. Dans ce cauchemar en mouvement, il avait cru apercevoir une fillette catapultée contre le siège avant. Il avait eu l'impression que sa tête allait éclater. Les sons qu'il avait perçus avaient été assourdissants : crissements de son pare-buffle en acier contre de la tôle, frottement de tôle sur le bitume, appels et injonctions réitérés de voix qu'il ne connaissait pas : " Monsieur, vous m'entendez ? ", " Monsieur, ne bougez pas. ", sirènes des pompiers et des forces de l'ordre, rotor d'un hélicoptère survolant la zone.

 Rudy s'en était sorti avec quelques hématomes, un cou douloureux et un poignet foulé. Par contre, son élocution tout comme sa locomotion avait indiqué, à tous ceux qui étaient venus à sa rencontre, un état d'ébriété élevée. Éthylotests et résultats de prises de sang avaient confirmé plus tard les soupçons des uns et des autres. Au moment de l'impact, le chauffard roulait avec 3,9 grammes d'alcool par litre de sang. Après différents examens à l'hôpital, Rudy avait passé la nuit à la gendarmerie, dans une cellule de dégrisement. Le lendemain, il avait été interrogé par un officier de police judiciaire. Les bruits avaient continué de lui marteler le crâne et des images avaient surgi comme des flashs. Il n'avait pas osé demander si celle de la petite fille projetée tel un vulgaire pantin était vraie. Il avait raconté les faits sans chercher à mentir ou à nier. Il savait qu'il n'avait aucune circonstance atténuante. Tout était de sa faute. Il en avait pleinement conscience. Il avait trop bu et provoqué un accident. Le reste, il l'ignorait ; tout comme le nombre exact de bières et de verres de whisky qu'il avait consommés.

 Carmen Dos Santos, la femme du chef de chantier, était rentrée de courses quand elle avait reconnu le 4x4 bleu-nuit venu chercher son mari dans la matinée. En voyant l'ampleur du drame, elle avait accéléré pour arriver chez elle.

  • Diego ! Diego ! Où es-tu ? Ton collègue s'est mis dans un sale pétrin, avait-elle hurlé en ouvrant la porte d'entrée de sa maison.

Rapidement, elle avait fait le tour des pièces avant de découvrir son époux comatant sur un transat.

  • Réveille-toi ! Réveille-toi ! lui avait-elle crié en le secouant.

Trop saoul pour bouger, celui-ci avait marmonné quelque chose comme " Fous-moi la paix ! " avant de se remettre à ronfler bruyamment.

Carmen avait réfléchi. À l'issue de l'interrogatoire de Rudy, les gendarmes ou les policiers débarqueraient chez eux. Ils n'y couperaient pas. Les cadavres gisant ici et là ne joueraient pas en leur faveur. Le collègue de son époux s'était mis tout seul dans cette situation. Qu'il se débrouille ! Il savait qu'il aurait dû attendre avant de reprendre le volant. Il aurait donc dû agir en conséquence. Ce n'était pas son problème. Pour elle, une seule chose comptait : la réputation de sa famille. Si elle était entachée, tout son petit univers s'écroulerait. Ce qu'il se passait au sein de son foyer ne regardait pas les curieux. Déterminée, elle avait jeté précipitamment les canettes de bières et la bouteille de whisky dans un sac poubelle, puis s'était attaqué au grand nettoyage. Celui-ci ne s'était pas limité au mobilier de jardin, mais s'était poursuivi dans toute la maison. Elle y avait passé la nuit et avait souri en entendant le camion des éboueurs emporter les objets du délit. À la première heure, elle avait réveillé son mari, lui avait raconté ce qu'elle avait vu, l'avait obligé à boire deux bols de café ainsi qu'une bouteille d'eau, puis l'avait envoyé se doucher, tandis qu'elle avait lancé une machine avec ses habits et décapé le transat dans lequel il avait dormi.

  • Diego, si on t'interroge, dis que Rudy t'a déposé devant le portail à seize heures quinze et qu'il est parti aussitôt. Tu as bien compris ? lui avait-elle fait promettre peu de temps avant l'arrivée des gendarmes.

Lorsque ceux-ci avaient pénétré dans la propriété des Dos Santos, la maison et le mari brillaient et sentaient bon le propre.

Annotations

Vous aimez lire FannyO2R ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0