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 Quand le monstrueux véhicule les télescopa, Hervé et Judith Wagner, professeurs de mathématiques, revenaient d'une promenade en forêt avec leurs filles et les nombreux trésors qu'elles avaient glanés : cailloux, petits bâtons, coquilles d'escargots, pâquerettes. Capucine, l'aînée, avait quatre ans. Ses sœurs, Lison et Lisette, tout juste deux. Judith conduisait ; derrière elle, les jumelles se donnaient la main comme à chaque trajet. C'était leur petit rituel. Le calme régnait dans l'habitacle.

  • Remets ta ceinture, Capu, dit Hervé sans crier, en entendant la plus grande se détacher.
  • Attends, papa, je ramasse mademoiselle Pati.
  • Non, ma chérie, c'est dangereux, ajouta-t-il d'un ton calme, mais ferme, en se décalant afin de tâtonner le sol de sa main gauche à la recherche de la poupée.

La fillette n'eut pas le temps de se rattacher. Elle fut éjectée brutalement de son siège auto - tête la première - contre celle de son père. Sous l'effet du double choc, ils décédèrent en même temps. Le pare-buffle avait frappé férocement de leur côté. Pile entre les deux portières.

Lison et Lisette hurlèrent. Leur mère se cramponnait au volant avec le vain espoir de reprendre le contrôle de la situation. Hélas, rien ne pouvait arrêter le 4x4 tout puissant. Après plusieurs tonneaux, Judith et ses filles perdirent connaissance. La voiture continua ses funestes cabrioles pendant encore un moment, puis s'immobilisa. Quand Judith revint à elle, tout était silencieux, trop silencieux. Elle ne pouvait bouger. De là où elle se trouvait, elle n'arrivait à voir ni son mari ni ses enfants. Elle savait seulement que la voiture était sur le toit. Judith respirait difficilement.

  • Hervé, appela-t-elle dans un filet de voix. Hervé, réponds-moi. Hervé...

Au loin, elle percevait le bruit des sirènes. Elle ferma les yeux et ne les rouvrit plus.

 Peu de temps après, les pompiers arrivèrent sur le lieu de l'accident. Ils coururent vers l'Espace flambant neuf quelques minutes plus tôt. Chaque seconde comptait. Les secouristes ignoraient ce qu'ils allaient découvrir. " Ne pas penser à sa famille. Ne pas penser à ses enfants. " était le leitmotiv de ces hommes et femmes, à chaque intervention. " Agir vite, de façon précise. " leur ligne de conduite. Il leur était impossible de sortir les occupants du côté embouti. De toute façon, il était manifeste que tout était fini pour eux. Par contre, il restait peut-être un espoir de l'autre. La portière avant était coincée. Par miracle, celle située à l'arrière s'ouvrit. Les petites filles bien calées dans leur siège étaient encore en vie. Inconscientes, mais en vie ; contrairement à la conductrice. L'hélicoptère arriva au moment où les fillettes furent désincarcérées. Elles se tenaient toujours par la main. Il avait fallu les séparer. Doucement, un pompier avait relevé leurs petits doigts. Un instinct réflexe ou la connexion particulière qui existait entre ces deux petits êtres leur fit resserrer leur étreinte. Hélitreuillées avec d'infinies précautions, les survivantes furent envoyées vers un hôpital possédant une unité spécialisée en traumatologie pédiatrique. Sauveteurs et personnes qui assistaient à la scène eurent l'impression de voir deux petits anges s'élever dans les airs. Le ciel se teinta d'un rouge-orangé.

 Leurs chances de survie étaient infimes. Les fillettes furent opérées en urgence. Lison, qui était du côté de la vitre, souffrait d'un traumatisme crânien. Lisette, suite à la pression du siège auto de Capucine, faisait une hémorragie interne : son foie, son poumon et son rein droits avaient été perforés. Le personnel hospitalier avait réussi à distinguer les fillettes grâce à leur gourmette nominative. Les machines respiraient à leur place. Les bips réguliers des monitorings donnaient envie de croire à l'impossible, même si leur pronostic vital était engagé. Leurs lits furent mis dans la même pièce. Réunies, elles réussiraient peut-être à trouver au plus profond d'elles la force de se battre pour l'autre. La géméllité réservait parfois des retournements de situations inattendus. Ce ne fut pas le cas, cette fois-là. C'était peut-être mieux ainsi. À quelques secondes d'intervalle, et après trois jours d'un terrible combat, les petites s'éteignirent aux soins intensifs. Lisette partit la première. Les médecins se demandèrent si Lison n'avait pas attendu la fin de sa jumelle pour pouvoir en faire autant. Ils avaient remarqué un brusque pic d'activité sur le tracé de son encéphalogramme au moment précis où la première des jumelles s'envolait. La seconde l'avait rejointe à peine l'heure du décès de sa sœur prononcé. Désormais, ce n'étaient plus leurs mains, mais leurs âmes qui étaient unies pour ce dernier voyage. Deux âmes pures unies pour l'éternité. Deux âmes pures que personne ne pourrait séparer.

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