08/06/10

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Mon père est introuvable depuis plus de deux ans, ma mère continue les recherches, mais je sens qu'elle n'en peut plus. J'ai voulu la réconforter, mais elle se referme sur elle-même. Mes observateurs cherchent et analysent chaque zone au fil des jours, en vain, malheureusement. Hana a déjà dix-huit ans, elle dépose un café sucré sur le bureau de Mirina.

Ma compréhension du monde a changé, je me suis attaché à Hana, et je sais que j'aime Mirina. Les Chishiki n'ont pas d'émotion… Alors, pourquoi j'en éprouve ? Ce n'est pas important de le savoir, ce qui compte, c'est ressentir. J'observe la pièce, méticuleusement rangée depuis que Hana est là, quand soudain, sa voix claire résonne dans le labo de Mirina.

— C’est le dixième anniversaire du nouveau calendrier que tu as créé, Noran.

Sans intérêt, je lui réponds d’un ton détaché, tout en observant Mirina mélanger des éprouvettes. Ce sujet, je le connais trop pour encore m'y intéresser, je préfère les beaux yeux de ma douce. Enfin, ce n'est pas comme si elle m'aimait.

— Ce n’est pas vraiment important, concentre-toi sur tes tâches.

Ma réponse la frustre, son regard expressif montre sa colère.

— Allons fêter ça !

Mirina se lève joyeusement, puis attrape ma main et celle de Hana. Je suis encore une fois surpris par elle, qui, normalement, ne pense qu’à ses expériences. Elle nous entraîne dans une grande visite du laboratoire, et nous passons dans de nombreux lieux.

Les salles informatiques, le quartier ouvrier où vit Hana. On s'arrête chez elle, nous saluons ses parents. Nous visitons ensuite les étables où les animaux sont élevés, la cafétéria où Mirina nous commande un gâteau délicieux. Pour finir, l’une des serres où les filles, comme deux enfants innocentes, admirent les plantes et les insectes.

Agenouillées, elles discutent joyeusement sans se soucier de rien.

— Mon rêve serait de créer un village à la surface, où tous seront heureux.

Ces mots que Hana prononce me marqueront toujours, tandis qu’un homme s’approche des filles. Discret, embusqué, trop tard pour que je ne remarque son couteau. Brusquement, Hana se relève devant Mirina. Une plaie saignante, alors que l’homme disparaît rapidement sans se retourner.

Hana s’écroule dans les bras de Mirina qui rattrape son corps sans vie. Je réalise que l’homme encapuchonné était mon père…

Pourquoi, Papa ? Hana était innocente… Non… ce n’est pas elle que tu visais…

Mirina… Il voulait la tuer…

Cela n’a pas de sens, il ne devait pas intervenir.

Les Chishiki se contentent d’observer, alors pourquoi, Papa ?

J'observe Mirina, calme, un regard glacial, mais une tristesse insondable que je ressens. Elle aimait Hana, la considérait comme une amie, une larme, discrète, sur sa joue. L’observateur en elle me permet de ressentir tout cela, une colère qui grandit, étouffée par ce sentiment d'impuissance. Les mots ne sont pas exprimés, mais moi, je comprends.

— Noran, appelle les forces de l’ordre et les services médicaux.

Je suis calmement ces instructions, tandis que je réalise que Hana n’a pas eu le temps de souffrir. Même dépourvu d’émotion réelle, je ressens un vide étrange qui me ronge. Cependant, il reste une solution que je peux encore utiliser. Cela prendra du temps et je vais devoir sacrifier plusieurs de mes observateurs, mais qu'importe.

Après plusieurs heures, le corps de Hana est emmené, des recherches lancées. Je ne mentionne pas mon père aux autorités. Cette affaire fait énormément de bruit au laboratoire, les parents de Hana sont dévastés. Cependant, le temps continue son œuvre inlassable et s'écoule. Les jours, puis les semaines passent, l'enquête piétine.

Le jour de l’enterrement de Hana, plus d'une centaine de personnes sont présentes, Mirina aussi. Inexpérimentée, elle souffre en silence. Après cela, elle s’est isolée, cela fait une semaine déjà. Cependant, mon observateur me permet de voir qu'elle est repartie dans ses expériences. De mon côté, il est enfin temps.

— Qu’en penses-tu, Hana ?

Alors que mes mots se répandent dans le silence de sa chambre, une voix dans ma tête s’élève. Douce, mais égarée, je la ressens en moi.

— Noran ? Où suis-je ? C'est… ma chambre ?

Je lui réponds calmement. Malgré sa confusion, elle reste neutre.

— Tu es désormais mon observatrice.

— Une observatrice ? Qu’est-ce que c’est ?

— Un être créé par un Chishiki, moi en l’occurrence.

— Un Chishiki ?

Égarée, elle cherche à comprendre comment exister désormais.

— Nous sommes à l’origine des humains, mais avons été modifiés génétiquement.

— Je ne comprends pas.

Depuis mes sens, elle perçoit désormais le monde, dépourvu de corps.

— Cela viendra, nous avons tout le temps pour discuter.

— D’accord. Peux-tu me dire pourquoi je ne ressens pas de peur en ce moment ?

— C’est parce que tu n’as plus d’émotions, il ne m’a déjà pas été facile de garder ta conscience.

— Je n’aime pas ça, ne rien ressentir est tellement douloureux.

— Tu t’y feras, et n’oublie pas ton rêve.

— C’est vrai, je pourrais quand même le voir à travers tes yeux.

— Je l’espère, Hana.

Nos destins sont désormais liés à jamais et, quand je mourrai, nous quitterons ce monde ensemble, mais il nous reste du temps. Dernièrement, j'ai repris le journal de mon père à la date du 11/09/10 du calendrier que j'ai créé il y a déjà dix ans. C'est la dernière entrée que je fais aujourd'hui, ma mère entre dans le bureau.

— Veux-tu… Qu'on aille manger ?

Affaiblie, son regard est vide, elle connaît ma souffrance et son instinct maternel cherche à me soutenir. Cependant, c'est à moi de l'aider à aller mieux, si bien sûr, il n'est pas déjà trop tard.

— Bien sûr, Maman.

Hana ne dit rien, je sens qu'elle m'en veut. Ce n'est pas facile pour elle de s'adapter, mais je sais qu'avec le temps ça ira mieux. Nous mangeons en silence, maman tente de sourire, je lui tiens la main pour la réconforter. Nous pourrions parler des heures, rien ne s'améliorerait. C'est comme discuter avec un sourd, pas de mots, des gestes.

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