An 36

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Les années se sont écoulées… L’an trente-six marque ce jour sombre qui me terrifie…

Mirina laisse ta tête reposer sur ses genoux, un regard froid, empli de tristesse. Aucune larme, un cœur fragile. Les cuves hermétiques du dernier étage reflètent tous ces travaux… Sa peine devient aussi la mienne, son silence dure, le temps semble figé. Au loin, les cris de panique, ceux plus organisés, des pleurs…

Je viens de perdre mon Chishiki… Non, mon ami… Moi qui n’éprouvais plus rien, je me sens triste au travers de ses sensations et me demande pourquoi je vis encore. Je t'en ai voulu un temps de m'avoir ramené sous cette forme, je t'en veux encore un peu… mais te perdre me fait mal, pas physiquement ou émotionnellement, c'est plus profond.

— Je suis désolée… Noran.

Ce sont les mots de Mirina, alors qu’elle t’embrasse tendrement. Ce contact froid, chargé d'amour, ne dure pas, elle s'éloigne, puis repose doucement ta tête sur le sol métallique. D'un œil distrait, elle fixe les nombreuses espèces dans les cuves un court instant. Avant de se relever et de se diriger vers l’escalier d'un pas épuisé.

— Il est temps qu'on se sépare, Hana… Je veillerai sur toi…

Alors qu'elle murmure ses mots, sans que je comprenne, mes perceptions se connectent contre ma volonté sur les sensations de mon père. Il tient mon petit frère dans ses bras, le corps de ma mère est écrasé en partie par une lourde poutre de notre maison située au quatrième étage du laboratoire. Je la perds aussi, celle qui m'a donné la vie.

— Je prendrai soin de notre fils, Méline…

Les mots de mon père sont chargés de douleur.

—Veille sur ta mère depuis le paradis pour moi, Hana.

— Je ne peux pas, Papa… Même si je ressens ta tristesse.

Mon père attrape son sac et se dirige vers la sortie, alors que tous évacuent rapidement le laboratoire. La structure ne semble pas compromise pourtant, mais il faut croire que Mirina a vraiment eu tort de ramener cet homme de la surface. J’ai entendu le mot Eien, mais j’ignore sa signification ; Noran, lui, devait savoir.

— Par ici, on doit vite évacuer, Josh !

— J’arrive, Kenneth !

Kenneth semble paniquer, ses mains tremblent. Mon père tente de rester calme, mais il a peur. Il se dirige vers son ami qui tient la main de sa femme Anna et de leur fille, Lilian. Tous prennent le grand ascenseur qui remonte au premier étage du laboratoire. Sur place, de nombreuses personnes évacuent, mais aucune trace de Mirina.

— Est-ce que la surface est vraiment sûre ?

La femme de Kenneth pose cette question à mon père d’une voix inquiète. Son visage apeuré est révélateur, mais calmement, il lui répond d’une voix assurée.

— Tous les rapports le confirment. Les travaux de Mirina sont un succès et l’air est respirable.

— Tout ira bien, Anna !

Kenneth tente de la réconforter en lui serrant la main fermement. Après une longue période de marche, les gigantesques portes hermétiques s’ouvrent dans un bruit sourd, tandis que l’air frais s’engouffre doucement. Mon père foule le sol sablonneux, le vent chaud et sec réchauffe son visage. Le soleil brille dans le ciel.

Il n’y a ici aucune vie, mais l’air emplit les poumons de chacun, tandis qu’une grande avancée vers l’Est commence à traverser ce désert infini. Une question reste en suspens dans mon esprit, Noran m’avait dit que si le Chishiki qui crée l’observateur meurt, alors ce dernier disparaît également. Pourquoi suis-je encore en vie ?

Les pas se font plus lents sous la chaleur, je passe d’une personne à l’autre sans savoir pourquoi, vivant au travers de leurs sensations, sans but précis. Si ce n’est le souvenir de mon rêve que je ne pourrais sûrement jamais accomplir. Désormais, je n’ai plus personne à qui parler. Et je me demande ce que devient l’homme qui m’a tué.

Où est le père de Noran ? Telius ! Quoi qu’il en soit, le temps s’écoule inexorablement, la vie continue malgré tout. Mon espoir reste qu’un jour, au-delà du temps, une âme réchauffe mon existence désormais devenue si vide. Je n'oublie pas mon identité, Hana… Kaze… La fleur des vents, comme le disait souvent maman.

J'attends, j'observe, j'existe, je note, je date… Mon rôle, dénué de sens.

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