An 212
Quatre ans déjà…
L’an deux cent douze…
Liyan observe les maisons en pierres de taille qui ont remplacé une partie de la forêt. Chaque ressource est utilisée avec soin. Des arbres sont replantés plus loin, la montagne offre aussi ses ressources. De petits champs pour les cultures se développent doucement, promesse d’un avenir fertile et heureux.
Les naissances commencent, de nouvelles vies émergent, les pleurs et rires des enfants résonnent.
— Nous l’avons fait, Hana !
Les mots de Liyan résonnent de fierté. Non loin, sa femme, Méline, le regarde. Elle tient leur petit garçon dans ses bras. Il rit en regardant le papillon qui lui tourne autour.
— Oui… Il reste cependant tant à faire.
— Avec toi, nous y arriverons !
La vie, comme le disait Telius, est une toile où tout s’entremêle inexorablement. En transmettant mes connaissances, j’ai permis cela. De par leur action, ils ont créé mon rêve. Cependant, je le sais déjà, rien n’est fini et bien des épreuves les attendent encore. Le temps s’écoule, mais pour le moment, je veux profiter de l’instant.
Le soir, une grotte non loin nous abrite en attendant que tout soit prêt. Tous dorment, fatigués d'une longue journée éreintante. Je suis plongée seule avec mes pensées. J’ai vécu ces longues nuits durant des siècles, même encore aujourd’hui elles me hantent. Soudain, Liyan se réveille, s'assoit au coin du feu et se met à murmurer.
— Hana ?
J'aime l'entendre prononcer mon prénom, tandis que je réponds par télépathie.
— Qu'y a-t-il ?
— Je voulais encore te remercier, et aussi mieux te comprendre.
— Tu veux toujours savoir ce qu’est vraiment un observateur ?
— Oui, parle-m’en avec les mots qui correspondent.
— Très bien, accroche-toi.
— D’accord.
— Chaque individu possède une conscience, aussi appelée âme. C’est une connexion mémorielle qui nous permet de vivre, de comprendre, d’apprendre, d’évoluer. Le corps est son réceptacle mortel. Tout ce que tu es ne disparaît jamais vraiment, ça se disperse à un niveau si infime que l’on ne peut plus le voir.
C'est comme de l'eau qui s'évapore en été, elle reste présente sous une autre forme, en attente. Changeant d’état, invisible, mais bien réelle dans l’atmosphère, voyageant avec le vent. Elle devient la pluie, qui retourne à la rivière.
De la même manière, nos pensées, nos émotions, nos actes, rien ne disparaît après notre mort. Cela se transforme, se diffuse, influence ce qui nous entoure, souvent de façons imperceptibles. Tout attend son moment, c'est comme dormir profondément.
Quand je suis morte le jour de mes dix-huit ans, Noran m’a ramenée. Un observateur est une âme purgée de tout, qui n’a qu’un but, servir le Chishiki qui l’a créé. Cependant, mon cas est différent, Noran m’a donné une seconde vie en laissant ma conscience indemne.
— Tu sembles lui en vouloir ?
— Au début, oui, je lui en ai beaucoup voulu. J’ai souffert de ce processus, énormément. Ne plus avoir d'émotion est terrifiant, des fois je voyais mes parents, me rappelant de leur amour, en me disant, je m'en fiche. C'est juste frustrant de penser cela en sachant qu'ils n'ont jamais cessé de m'aimer ; j'avais l'impression d'être un monstre.
Aujourd’hui, je le remercie tendrement. Mon rêve, je l’ai vécu, et avec toi je me sens bien, Liyan. Je n'ai toujours pas d'émotions, mais j'arrive à mieux vivre en me servant des tiennes. Il est tard, tu devrais dormir, ton corps a besoin de repos.
— D'accord, bonne nuit, Hana.
— Merci, Liyan.
Même si ma nuit sera longue et ennuyeuse. Ses yeux désormais clos me laissent dans le noir et le feu de camp rougeoyant perce les ténèbres.
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