19 juillet 2698
Mon regard impassible glisse sur les rangées d’étagères tapissant mon bureau. Chacune recèle des ouvrages anciens, reconstitués avec soin au fil des siècles. Des fragments d’existence aux mémoires effacées par le temps, mais jamais oubliées. Ce lieu impersonnel m'offre une sérénité que j'apprécie au-delà des mots.
Dans ce silence immobile, je contemple des milliers de vies. Je me souviens de leurs noms, de leurs choix, de leurs erreurs. Voilà ma fonction, ma malédiction peut-être... Je suis un Chishiki, un gardien des connaissances. Qu'elles soient scientifiques ou émotionnelles, notre rôle est de toutes les protéger. Non par amour, mais par dévotion.
De leur naissance à leur découverte du monde, mes observateurs veillent sans relâche, tandis que je préserve l’essence de ce qu’ils furent avant leur mort : Des humains, parfois joyeux, parfois tristes, désormais dépourvus de corps et dotés d'une conscience purgée. Ce sont des outils inexpressifs, mais que nous aimons énormément.
Pourtant, je ne suis pas entièrement détaché de ce que je protège. Mon sang porte l’empreinte des humains, et cette faiblesse héréditaire entraîne chez moi une habitude étrange, presque ridicule, de transcrire, sur de simples feuilles de papier, des bribes de leur histoire. Cela me laisse sourire, après tout, ces mots ne peuvent disparaître de ma mémoire absolue.
Les histoires se poursuivent et se croisent, tandis que de nouvelles s'y ajoutent, tissant lentement la vaste toile complexe, comme une araignée patiente et méthodique. Une trame fragile, mais dense, où chaque fil compte, et dont la rupture pourrait emporter l’ensemble dans le silence. La beauté vient de la diversité, tout comme le malheur.
En cet instant, un de mes observateurs me transmet les cris étouffés de Méline, sa respiration courte ainsi que la sueur qui perle sur son front. À travers son regard voilé par la douleur, je distingue une salle entièrement carrelée, froide et stérile, où les lumières blanches inondent l’espace sans douceur.
La grande main ferme de Josh est chaude et serrée dans celle de son épouse, son soutien muet la rassure au milieu de la tourmente. Elle inspire, expire, souffre, dans une douleur que peu de gens comprennent, un acte de partage, de dévouement, d'amour. Offrir la vie sera toujours le plus beau des cadeaux, mais également un poison.
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