Chapitre 3 : La sortie négociée
Trois semaines après l'accident, l'équipe médicale semblait satisfaite de mon évolution générale. Dr Martinez consultait mon dossier avec un sourire que je qualifierais de prudemment optimiste.
― Alors, Vera, votre état s'améliore bien. On va pouvoir envisager votre sortie prochainement, m'a-t-il annoncé.
― Parfait ! Quand est-ce que je peux rentrer chez moi ?
― Pas si vite. Nous devons d'abord nous occuper d'un problème qui s'est développé. Vous vous plaignez de douleurs persistantes depuis quelques jours, et nous avons remarqué que vous aviez du mal à vous appuyer sur votre jambe.
C'était vrai. Depuis deux ou trois jours, ma jambe me faisait de plus en plus mal. Au début, j'avais pensé que c'était normal, mais la douleur s'intensifiait au lieu de diminuer.
― C'est normal après ce qui m'est arrivé, non ?
― Oui, c'est tout à fait normal après un impact aussi violent, parfois certaines lésions ne se révèlent qu'avec le temps. Nous allons faire une IRM et une radio pour vérifier qu'il n'y a pas de dégâts internes que nous aurions manqués lors des premiers examens.
Le lendemain, direction l'IRM. Cette machine qui ressemblait à un tunnel bruyant et claustrophobique. Allongée dans le tube métallique, entourée par le vacarme rythmé, j'ai fermé les yeux.
Et là, dans ce semi-sommeil provoqué par le bruit hypnotique, les voix sont revenues. Plus claires qu'avant, se détachant nettement du ronflement de la machine :
"Le timing est respecté."
"Cela permettra qu'elle soit au bon endroit au bon moment."
Cette fois, impossible de nier la réalité. Ces voix m'inquiétaient. Elles commentaient ma situation comme si j'étais un projet en cours, comme si chaque douleur faisait partie d'un plan que je ne comprenais pas.
Le plus troublant, c'était cette sensation bizarre que leurs paroles résonnaient en moi d'une façon que je n'arrivais pas à expliquer. Comme si une partie de moi voulait les écouter, alors que mon esprit rationnel se rebellait.
J'ai ouvert les yeux d'un coup, le cœur battant. À travers la vitre, l'infirmière me souriait en me faisant signe que c'était bientôt terminé.
Deux heures plus tard, Dr Martinez est revenu avec un confrère orthopédiste, l'air soucieux.
― Vera, l'IRM et la radio révèlent des dégâts significatifs à votre jambe gauche. Fracture complexe du tibia avec déplacement, et ménisque déchiré. L'impact a causé plus de dommages que nous le pensions initialement.
En l'entendant parler, j'ai eu cette impression étrange qu'il découvrait ces informations en même temps que moi. Ses mots sonnaient justes médicalement, mais il y avait quelque chose dans ses yeux... comme s'il lisait un diagnostic qui venait d'apparaître sur mon dossier.
― Comment ça se fait qu'on s'en aperçoive seulement maintenant ?
― Ces fractures complexes sont parfois masquées par l'œdème initial. Maintenant que l'enflure a diminué, les vrais dégâts sont visibles.
― Il faut opérer, a continué Dr Martinez. Réduction de la fracture et nettoyage du ménisque. Ensuite, plâtre intégral pendant six semaines minimum.
― Et après le plâtre ?
― Rééducation intensive dans un centre spécialisé. Votre jambe aura perdu beaucoup de force pendant l'immobilisation.
Six semaines immobilisée, puis des mois de rééducation. En entendant cela, une détermination froide que je ne me connaissais pas a pris le dessus.
― Écoutez, ai-je dit avec une assurance qui m'a surprise, je veux sortir d'ici dès que possible après l'opération.
En parlant, j'ai eu l'impression troublante que ce n'était pas tout à fait moi qui parlais. Ma voix sonnait différente, plus grave. Ça m'a fait froid dans le dos.
― C'est tout à fait possible, mais il faudra maîtriser les béquilles, et vous pourrez rentrer chez vous.
J'ai distinctement entendu : "parfait cela permettra d'enclencher la séparation."
Mais ni le médecin ni l'orthopédiste n'avaient bougé les lèvres. Ces voix m'intriguaient autant qu'elles m'inquiétaient. Que voulaient-elles dire exactement ?
Le jour de l'opération, j'étais dans un état bizarre. Une partie de moi était étrangement calme, comme si elle savait ce qui allait se passer. Mais l'autre partie était troublée par cette sérénité qui ne me ressemblait pas.
Pendant que l'anesthésiste m'expliquait la procédure, j'entendais encore ces voix :
"L'intervention va parfaitement réussir."
"Six semaines d'immobilisation permettront la maturation."
"Après, elle sera prête pour la rencontre."
Chaque mot m'intriguait autant qu'il m'inquiétait. Que voulaient-elles dire ?
― Comptez à rebours à partir de dix, m'a demandé l'anesthésiste.
― Dix, neuf, huit, sept...
Juste avant de sombrer, j'ai entendu quelque chose, mais les mots se sont perdus dans le brouillard de l'anesthésie.
Le réveil a été étrange. Ma jambe était emprisonnée dans un plâtre intégral, mais ce qui me troublait, c'était cette sensation de clarté mentale. Comme si quelque chose avait changé dans ma tête pendant l'opération.
― Comment vous sentez-vous ? m'a demandé l'infirmière.
― Bizarre, ai-je répondu.
― Bizarre comment ?
― Différente. Comme si... comme si j'étais plus éveillée qu'avant.
Elle a ri, pensant que je parlais de la sortie d'anesthésie. Mais ce n'était pas ça. J'avais l'impression que quelque chose s'était débloqué en moi.
Le lendemain, apprentissage des béquilles. J'ai eu quelques difficultés au début, mais j'ai fini par prendre le rythme. Les mouvements sont devenus naturels au bout de quelques heures.
― Vous vous débrouillez bien, m'a fait remarquer l'infirmière.
― C'est une question d'équilibre, j'imagine.
"Parfait", ai-je cru entendre murmurer quelque part. Mais c'était sans doute les conversations du personnel médical qui commentaient mes progrès.
Le surlendemain, j'ai franchi les portes de l'hôpital sur mes béquilles, ma jambe gauche transformée en pilier de résine blanche. L'air hivernal m'a giflée, mais c'était l'air de la liberté.
En boitillant vers la voiture de mes parents, j'ai eu cette certitude troublante que tout avait changé. Ces voix, cette impression d'évoluer selon un plan que je ne comprenais pas, cette sensation bizarre d'être... différente.
Et surtout, cette curiosité mêlée d'inquiétude. Qu'est-ce qui m'attendait ? Cette "rencontre" dont parlaient les voix, qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ?
Dans six semaines, on enlèverait ce plâtre. Et après...
Après, je commencerais cette rééducation dont tout le monde parlait. Dans un centre où j'apprendrais à remarcher.
Mais quelque chose me disait que j'y découvrirais des réponses à des questions que je ne me posais pas encore.
En m'installant dans la voiture, j'ai entendu une dernière fois : "Phase terminée. Elle est presque prête pour lui."
Lui ? Mon cœur s'est mis à battre plus vite. Une sensation étrange, entre anticipation et appréhension.
Prête pour qui ? Ça, je l'ignorais encore.
Mais quelque chose me disait que je n'allais pas tarder à le découvrir.
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