01. Crache le morceau, beau brun !

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Joy

— T’étais vraiment pas obligé, Kenzo, je ne suis plus à quelques heures près, tu sais. Surtout qu’à l’ESD, ça ne va pas servir à grand-chose…

— Oh allez, tu vas au moins pouvoir baver sur lui et profiter de loin, Belle-maman !

Je sors de la voiture en levant les yeux au ciel. Kenzo a profité de la pause déjeuner pour venir me chercher à l’appartement. Il a insisté pour que je vienne à la petite sauterie en l’honneur de la troisième place du duo au concours, disant que cela ferait plaisir à son père. Possible, mais moi ça m’enquiquine d’avance de la voir se pavaner avec lui.

Alken est déjà là, occupé à discuter avec Elise devant l’entrée du théâtre alors que Charline est avec ses copines de première année. Il est tout beau, dans son long manteau noir. Avec son bonnet et sa barbe, on pourrait presque le prendre pour un bûcheron. Un bûcheron sexy qui me donne très envie d’aller me lover dans ses bras, de le kidnapper pour ne l’avoir rien que pour moi, loin de toute cette foule, loin de tous ces gens de qui nous devons nous cacher.

En nous voyant débarquer, Kenzo, mes béquilles et moi, il se dirige vers nous et prend son fils dans ses bras pour le saluer. Comme toujours, je n’ai droit qu’à un sourire poli, mais je ne manque pas son coup d’œil sur le décolleté de mon pull cache-cœur.

— Bonjour, Joy. Tu devrais couvrir ta gorge, tu sais, tu vas attraper froid, me dit-il, le sourire aux lèvres.

— Je devrais sans doute, oui, dis-je en remontant la fermeture de mon manteau, mais je voulais être sûre d’attirer l’attention du héros du jour.

— Crois-moi, tu as déjà bien attiré mon attention. Sans parler de la photo de ce matin.

Ah, oui. Possible que je lui ai envoyé une photo de moi assise sur notre lit, les cuisses écartées, mon oreiller cachant juste ce qui doit l’être. Pourquoi ? J’avais envie, tout simplement. Et puis, c’était peut-être aussi un petit remerciement pour l’orgasme d’hier soir ? Même à distance, il m’embrase, ça vaut bien une petite photo coquine.

— Heu… Vous pourriez éviter les préliminaires juste sous mon nez ? ricane Kenzo.

— Quelle petite nature, me moqué-je.

— Sans doute, enfin je te rappelle que tu fricotes avec mon père, murmure-t-il. Allez l’éclopée, on rentre avant qu’il n’y ait plus de place devant et que tu manques de te fouler l’autre cheville en t’étalant dans les escaliers.

Je lui tire la langue et lance un sourire à mon amoureux, qui me semble un peu perdu dans ses pensées, avant que nous ne le dépassions pour entrer dans le théâtre.

Elise fait son petit discours et salue longuement la prestation de nos danseurs, même si elle parvient à glisser sa déception de ne pas avoir ramené le trophée à l’ESD. Alken me semble totalement ailleurs et je commence à m’inquiéter, surtout que Charline n’est absolument pas comme je m’y attendais. Elle s’est installée de l’autre côté de la directrice et regarde ses pieds depuis le début du discours. Je sens un malaise terrible sur scène et je me pose bon nombre de questions, persuadée qu’il s’est passé quelque chose.

Une fois la petite fiesta terminée, tout le monde ou presque se précipite hors du théâtre et j’attends que la vague soit passée pour ne pas risquer de me faire bousculer. Alken est toujours sur scène et discute à présent avec ses collègues, et, comme je le pressentais, je doute que nous puissions avoir du temps tous les deux avant ce soir, à la maison.

Ça se confirme davantage encore lorsqu’il sort du théâtre et qu’il est accaparé par les élèves de première année, et je finis par lui envoyer un message.

— Hey, beau danseur sexy. Tu penses qu’on va pouvoir se voir un peu avant ton cours, ou ça ne sert à rien que je t’attende ?

Je le vois sortir son téléphone de la poche arrière de son jean avant qu’il ne me cherche du regard dans la cour.

Oui, ça devrait le faire. Je fais au plus vite. On se retrouve à la bibliothèque dans dix minutes ? tapote-t-il rapidement.

Je lui réponds que c’est ok pour moi et me dirige sagement à la bibliothèque. Il n’a pas choisi le bâtiment le plus proche, mais je suis contente de revenir ici, même si notre petit coin de retrouvailles se trouve au premier étage. Je salue Ginette, la chargée d’accueil, et monte les marches comme je peux. J’avoue que j’apprécie grandement l’ascenseur de l’immeuble d’Alken, parce que les escaliers en béquilles, c’est vraiment la galère. Je suis contente de voir que mes efforts n’auront pas servi à rien car la pièce est vide et je m’engouffre dedans.

Je souris en voyant Alken entrer et fermer la porte. Personne ne vient jamais ici ou presque, la bibliothèque est un lieu de passage et cette salle d’étude est rarement utilisée. Je crois que nous devons être les occupants les plus fréquents, même si nous n’y restons jamais très longtemps de peur de nous faire surprendre.

Je me lève et suis beaucoup moins rapide que d’ordinaire pour me lover contre lui. C’est lui qui me rejoint plus qu’autre chose et m’enlace avec force. Nos lèvres se retrouvent et se savourent. Je me repais de mon homme autant que possible.

— Tout va bien ? lui demandé-je en constatant qu’il n’est pas aussi réceptif que d’ordinaire.

— Ouais, on peut dire que ça va. Même si je crois que je suis un peu dans la merde…

— Un peu dans la merde ? C’est-à-dire ? Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

— Rien, je suis content de te retrouver, c’est ça qui compte, non ? Je t’aime Joy, et c’est bien de t’avoir dans mes bras.

Je l’observe silencieusement et constate qu’il détourne le regard lorsque nos yeux se trouvent. Je ne sais pas ce qu’il a, mais mon inquiétude se confirme et j’ai maintenant un mauvais pressentiment.

— Ça compte, évidemment. Et je t’aime aussi, Alken, mais là je m’inquiète, surtout. C’est quoi le problème ?

— C’est Charline, me balance-t-il tout de go, en plongeant son regard dans le mien. Je crois qu’elle est folle et que ça va me retomber dessus.

Je me crispe instantanément dans ses bras et il le sent, je vois son regard se remplir de stress. Je soupire et l’incite à s’asseoir, prenant la chaise d’à côté. Si quelqu’un entre, il verra le dos d’Alken, cela devrait nous permettre de nous lâcher, mais pour le moment je me rapproche et attrape ses mains. Oui, il faut penser à ça, même dans ce moment où je sens que nous allons à nouveau connaître les galères.

— Raconte-moi ce qu’il s’est passé pour que tu en viennes à cette conclusion, Chéri, parce que ça ne me rassure pas davantage, là....

— Tu es sûre que tu veux savoir ? J’ai envie de tout te raconter car à part toi, je ne sais pas à qui me confier, mais je ne veux pas t’embêter avec mes soucis, Joy.

— Si ce sont tes soucis, ce sont les miens aussi, Alken. Il faut que tu me racontes, histoire que j’aie une excuse valable à balancer aux flics quand ils vont m’arrêter pour le meurtre de la prodige. Balance, Chéri.

— Par où commencer ? se lamente-t-il en se prenant la tête entre ses mains. Charline a passé les trois jours à essayer de me sauter dessus. Et à chaque fois, elle a très mal pris le fait que je la repousse. Tu vois le genre ?

— Je vois bien le genre, oui, marmonné-je. Et ? Elle est allée jusqu’où ? Pourquoi tu dis que tu es dans la merde ?

— Hier, après notre petite session vidéo, répond-il en souriant au souvenir, j’ai dû aller me laver un peu dans la salle de bain. Et elle est entrée à son tour. On s’est retrouvés tous les deux nus et elle a cru que je m’étais fait jouir en pensant à elle…

Il s’arrête, et fait des signes de dénégation de la tête, pris par un gros stress de ce que je peux voir.

— D’accord, murmuré-je alors que j’imagine Charline se rincer l'œil et se faire des films. Mais... Comment elle a pu rentrer dans la salle de bain ? Enfin, je veux dire… C’est pas important, laisse tomber. Et ensuite ?

— La porte de son côté n’était pas fermée, c’est tout. Ensuite, elle a essayé de me sauter dessus en se faisant des films sur ma soi-disant envie d’elle. Je l’ai à nouveau repoussée et j’ai eu des mots durs contre elle. Je l’ai traitée de pute, de gamine perdue avec ses hormones, enfin, de choses pas gentilles… Et elle a dit qu’elle allait me le faire payer. Je ne sais pas de quoi elle est capable.

Je reste silencieuse et me repasse ses mots en tête encore et encore. Honnêtement, si je n’avais pas la cheville qui me lance, je crois que je serais en train de faire des allers-retours dans la salle.

— Non mais Alken, sérieusement, qu’est-ce qui t’a pris de laisser la porte ouverte ? T’es fou ou quoi ? Tu voulais pas non plus faire une annonce pour qu’elle sache que t’étais à poil dans la salle de bain ? lui dis-je, incrédule.

— C’est une salle partagée, j’ai juste pas fait gaffe que le loquet n’étais pas tourné. J’avais l’esprit ailleurs, s’emporte-t-il un peu. J’avais encore envie de toi, ma Chérie !

— Ok, ok, excuse-moi, je… J’essaie de comprendre, Alken. Pardon.

Je pose mes mains sur ses joues et dépose un baiser sur ses lèvres. Je crois que ça sent le roussi, mais je n’ai pas trop envie de paniquer et d’imaginer mille scénarios.

— Est-ce que… Enfin, vous avez rediscuté depuis hier soir ?

— Non, rien. Le froid polaire… Et elle joue à faire sa petite malheureuse. Si tu savais ce que ça m’énerve ! Je n’y suis pour rien du tout, moi !

— Peut-être que tu devrais aller la trouver et t’excuser pour tes paroles ? Histoire d’apaiser les choses ?

— M’excuser ? Alors que c’est elle qui a un problème d’hormones ? Je ne vais pas m’abaisser à ça, non plus ! Ce serait honteux !

— Très bien… Alors, tu devrais en parler à Elise.

— Oui, je lui ai dit que je voulais lui parler, mais elle m’a répondu qu’elle n’avait pas le temps. Ça sent mauvais, Joy, mais tu me crois, toi, quand je raconte ce qu’il s’est passé ? me demande-t-il, les yeux implorants.

— Bien sûr que je te crois, Alken, dis-je sans réfléchir. Et je vais lui faire la tête au carré à cette dinde si elle ose quoi que ce soit. Foutue chaudasse.

Le sourire qu’il m’adresse vaut tout l’or du monde. Il a l’air soulagé de mes paroles et de mon soutien et me vole un baiser.

— Oh, mon Amour, merci de ta confiance. J’avais l’impression que personne ne me croirait alors que je dis vrai. Si elle met ses menaces à exécution, je ne serai pas seul, et ça, c’est formidable.

— Je t’aime, Alken. Je te l’ai dit, j’ai confiance en toi. Mais je t’en prie, il faut que tu réussisses à voir Elise rapidement, sans vouloir paniquer, je crois que c’est la meilleure chose à faire, mon Coeur. Il faut que tu te couvres au plus vite.

— Oui, j’irai la voir juste après les cours, tu as raison. J’espère qu’elle pourra me recevoir.

— Tu ne lui donnes pas le choix, Alken, ce n’est pas le genre de choses qu’on remet au lendemain. Et tu lui racontes tout, depuis le début, les répétitions où tu as dû la recadrer, vraiment tout.

— Oui, mon Amour. Mais là, il faut qu’on retourne en cours. Elise a tellement insisté pour que je n’annule pas le cours de cet après-midi que je ne peux pas me permettre de le rater ou d’arriver en retard. Ça va aller pour les escaliers ou tu veux que je t’aide ?

— Je vais me débrouiller et prendre le bus pour rentrer, je suis encore en arrêt, moi. Même si je n’aurais pas dit non à un cours avec mon tyran préféré, souris-je en l’embrassant tendrement. Je t’attends à la maison.

Ça me fait toujours bizarre de dire ça. À la maison. Notre maison. Enfin, son appartement que je squatte.

— Rentre bien, ma Chérie. J’ai hâte de te retrouver. A ce soir, conclut-il en m’embrassant.

Je le regarde quitter la pièce et soupire lourdement. Cette histoire sent vraiment mauvais, et j’ai presque envie d’aller trouver cette foutue garce pour lui dire le fond de ma pensée, mais je crois que ça ne serait pas la solution. D’autant plus que ça risquerait de faire plus de mal que de bien. En tous cas, j’espère qu’elle ne va pas mettre ses menaces à exécution mais il ne nous reste qu’à être patients et voir ce que ça donne. Enfin, mieux vaut l’attaque à la défense, et j’ai bon espoir qu’en discutant avec Elise avant qu’elle ne le fasse elle-même, Alken puisse désamorcer une situation potentiellement vraiment merdique.

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