47. La chenille du bonheur

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Still falling for you : https://youtu.be/EY1A7H5sQDQ

Joy

J’ai l’impression d’être un vrai zombie depuis que je suis sortie du bureau d’Elise hier. C’est fou. Alken et moi avons pris un coup de massue sur la tête, vraiment. C’est un peu comme si je survolais ma vie, là, comme si je ne faisais que m’observer faire, c’est très étrange comme sensation. J’ai connu plus épanouissant.

— Joy, mange voyons, me gronde gentiment Kenzo, aux petits soins comme son paternel.

Je souris et dépose un baiser sur sa joue avant de prendre une bouchée de mon plat. Elise n’a toujours donné aucun signe de vie et ça m’angoisse. Soit elle nous fait languir pour nous faire payer notre affront, soit elle doute vraiment de ce qu’elle veut faire et ça peut tourner à l’orage comme au soleil. Toujours est-il qu’à quelques jours des vacances d’hiver, je prie pour qu’elle prenne sa décision et abrège nos souffrances. Je ne me vois pas partir en vacances sans savoir si je vais pouvoir passer mon diplôme ou non, si Alken va garder son emploi ou pas. Autant dire que nous serions loin de l’ambiance vacances.

— Joy, regarde qui est là.

Je lève les yeux sur mon ami en fronçant les sourcils avant de suivre son regard. Un sourire se dessine sur mes lèvres et je me lève d’un bond pour traverser la cafétéria sans aucune retenue et sauter au cou de mon ami d’enfance qui me soulève et me fait tournoyer en me serrant contre lui. J’ai l’impression que nous ne nous voyons plus et cette étreinte me fait un bien fou.

— Mais qu’est-ce que tu fiches ici ? lui demandé-je en l’entraînant à table où il fait une chaste bise à Kenzo avant de s’asseoir.

— J’ai entendu dire par un certain Mister K qu’il y avait des gens qui avaient des soucis, je me suis dit que je pouvais venir faire un petit coucou et aider ces personnes à mieux vivre leurs problèmes. On dit Merci Mister K ! conclut-il en jetant un regard vers Kenzo.

Je ne peux m’empêcher de prendre Kenzo dans mes bras et de le remercier je ne sais combien de fois de me prêter son amoureux. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression qu’avoir Théo à nos côtés va me permettre de sortir la tête de l’eau. Peut-être parce que c’est Théo, le seul et l’unique, celui qui a toujours été là quand j’ai eu besoin de lui, celui à qui je confierais ma vie sans hésiter une seule seconde.

— Fais-moi voir cette beauté, sourit mon ami d’enfance en attrapant ma main pour détailler ma bague. Ton comptable ne s’est pas foutu de toi ! Bravo ! Qui aurait cru que tu réussirais à mettre le grappin sur un si beau parti, hein ?

— Tu n’as plus qu’à te marier avec Mister K et nous ferons partie de la même famille, ris-je alors qu’il manque de s’étouffer après avoir englouti une fourchette de ma salade.

— Oui, enfin… On n’y est pas, hein ! On prend notre temps, nous, contrairement à vous ! Allez, dépêche-toi de finir de manger, je t’emmène danser.

— Je passe déjà mes journées à danser, Théo, pouffé-je en commençant malgré tout à manger.

— Oui, mais pas avec moi, alors c’est pas pareil. Grouille, sinon c’est Kenzo que j’embarque.

— Tu peux aussi nous embarquer tous les deux, je crois. Techniquement, ça doit être faisable, non ? me moqué-je.

— Non, je vous laisse un peu en tête à tête, intervient Kenzo. Je demande ma soirée en revanche, je vous préviens.

J’acquiesce et finis de manger rapidement avant que nous ne gagnions la salle de cours d’Alken, libre. Théo fouille dans son sac, en sort une clé USB qu’il connecte à la chaîne et passe je ne sais combien de temps à choisir la musique pendant que je m’échauffe.

— Mets n’importe laquelle, on s’en fout, bougonné-je finalement.

— Certainement pas ! A situation particulière, musique particulière, Baby !

Je lève les yeux au ciel, mais mon sourire apparaît en entendant la musique qu’il a choisi. Still falling for you, une chanson du dernier Bridget Jones. Evidemment. Théo fait quelques échauffements de son côté pendant que je danse dans mon coin, au feeling de cette chanson que nous avons déjà chantée tous les deux bon nombre de fois. Lorsqu’il me rejoint finalement et prend ma main, nous retrouvons rapidement nos automatismes et je me laisse emporter par le rythme et l’assurance de mon partenaire. Qu’est-ce que j’aime danser avec lui, c’est fou ! Évidemment, cela n’a rien à voir avec les moments où je danse avec Alken, mais après tant d’années ensemble, Théo et moi nous comprenons sans même nous parler. Un regard, une pression de sa main, un geste de la tête, et je sais quoi faire, où aller.

Je suis dans notre monde. Bien loin de l’ESD. Bien loin d’Elise et de ses menaces. Alken a raison, danser fait tout oublier quand il s’agit de nos soucis. Nous dansons à plusieurs reprises sur cette chanson d’Ellie Goulding et sommes surpris par des applaudissements à la fin de notre quatrième ou cinquième passage. Je n’avais même pas fait attention à l’entrée de certains de mes camarades de promo et notre professeur sexy qui me sourit avec bienveillance.

— Pardon, ris-je, un peu mal à l’aise de toute cette attention en allant récupérer ma bouteille d’eau.

— Mais non, c’était parfait ! Un beau couple ! On voit que vous avez vos petites habitudes tous les deux. Théo, tu restes pour le cours et tu m’assistes ? Ou tu es trop occupé pour ça maintenant que tu es une star de la danse ?

— Je reste avec plaisir, Prof. J’ai très envie de tyranniser des étudiants, rit mon ami d’enfance en se frottant les mains.

— Super, à deux, ils vont voir ce que c’est, les exigences professionnelles !

Je sens qu’on va finir sur les rotules, mais au moins je n’aurai pas l’occasion de penser. Je prends le temps de me désaltérer pendant que mes camarades s’échauffent et regarde Alken et Théo discuter près du bureau. J’ai presque l’impression de voir deux tortionnaires préparer leur plan de torture et ça me fait sourire. Je ferai moins la maligne, je crois, dans un petit moment, mais rien que pour passer du temps avec Théo, je suis prête à souffrir.

Effectivement, le début du cours est bien sportif, mais mon ami sait aussi mettre l’ambiance et c’est Alken qui fait moins le malin quand il intervient. Lui qui est toujours très sérieux lors de ses cours, le voilà à devoir gérer Théo qui lance une chenille en attrapant Kenzo par les épaules et en dandinant son postérieur. Tout le monde suit mon ami sous le regard amusé de notre Prof. C’est agréable de le voir, lui aussi, plus détendu, et j’espère voir ses yeux pétiller de la sorte pendant un moment. Voilà qui nous change de l’ambiance d’hier soir à la maison. Autant notre soutien mutuel était parfait, autant on ne peut pas dire que c’était la fiesta non plus. L’ambiance était à la fois tendre et lourde. Bref, la chenille a le mérite de tous nous faire rire, et je sors de la file pour aller attraper la main d’Alken et l’entraîner avec moi en bout de queue. Je le pousse à se mettre devant moi, mais mon amoureux m’attrape par les hanches et m’incite à faire l’inverse, se positionnant derrière moi. Quel dommage de sentir son corps se presser contre mon dos lorsque la chenille ralentit, vraiment ! C’est une torture sans nom.

— Oups, pardon Joy, sourit-il en glissant son bras autour de mon ventre alors qu’il m’a déstabilisée.

— Je devrais m’en remettre, pouffé-je en appréciant la chaleur de sa paume et la douceur de ses doigts lorsqu’il les fait glisser délicatement sur ma peau pour reposer sa main sur ma hanche.

Nous jouons avec le feu, mais après notre petit rendez-vous avec Elise d’hier, j’ai presque envie de dire que je m’en fiche totalement. Quitte à nous faire virer, autant bien le faire, non ?

Non, je sais que ce n’est pas la solution, et je peux clairement voir le regard de Kenzo dans le miroir qui nous incite à faire attention. Alken l’a repéré aussi, je crois, parce qu’il lâche mes hanches pour poser ses mains sur mes épaules, mais je sens ses pouces caresser ma nuque alors que nous continuons à faire cette danse ridicule mais qui a le mérite de détendre tous les cerveaux présents dans cette pièce.

— Allez, au boulot maintenant, beugle finalement Théo lorsque la chanson s’arrête. Je suis curieux de voir à quel point vous êtes nuls, les petits jeunes !

La suite du cours est un peu plus sérieuse et nous prenons une petite demi-heure après avoir subi la tyrannie de deux des hommes de ma vie pour que Théo nous parle un peu de son expérience en tant que nouveau professionnel et nous montre également l’une des chorégraphies du spectacle dans lequel il est. Mon ami reste hyper accessible et répond à toutes les questions, c’est un plaisir de le voir évoluer ainsi auprès des étudiants. Nul doute qu’il ferait un super prof, un de ces jours, si des fois il cherche à se poser un peu.

Je reste dans la salle une fois le cours terminé, en compagnie de Kenzo, Théo et Alken, et nous papotons un moment tous les quatre, jusqu’à ce que Marie pointe le bout de son nez. Immédiatement ramenée à son arrivée d’hier pour m’emmener dans le bureau d’Elise, mon stress s’accroît dans la seconde.

— Ah, vous êtes là, je vous cherchais partout ! Enfin, je vous attendais à l’entrée du campus pour être sûre de ne pas vous rater, dit-elle en approchant de notre groupe avant de nous tendre, à Alken et moi, une enveloppe. Je vous laisse signer ce papier, c’est remis contre signature.

C’est très officiel, ça, et j’avoue que cela ne me rassure pas vraiment. J’attrape l’enveloppe et la feuille et vais me poser sur le bureau d’Alken pour signer son foutu papier. Elise est décidée, ça y est, notre destin est scellé. On est passé d’une petite comédie agréable cet après-midi à un film à suspens, possiblement dramatique, à l’arrivée de la secrétaire cochonne. Alken me rejoint à son bureau et serre ma main dans la sienne en me prenant le stylo. Je soupire et rends le papier à Marie en la remerciant. Je me demande de quoi elle est au courant et, si elle sait tout, ce qu’elle doit penser de moi, de nous.

En attendant, quand j’ouvre l’enveloppe, je constate que nous serons fixés sur notre sort demain à dix-sept heures trente. Il nous reste vingt-quatre heures à attendre avant de savoir à quelle sauce nous allons être mangés. Alken referme la porte derrière Marie et soupire en venant m’enlacer, se pressant dans mon dos. On est tous les deux, c’est l’essentiel, non ? Je suis sûre que, quoi qu’il arrive, nous saurons rebondir. A quatre mains, quatre jambes et deux cerveaux, aucune hésitation sur le fait que, tant que nous sommes ensemble, nous nous relèverons.

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