Alken

C’est le grand soir, la première du spectacle que j’ai monté et je suis stressé comme jamais je ne l’ai été. C’est fou de se retrouver à la fois sur scène et d’être celui qui a créé la chorégraphie et tout préparé. Et quelle idée d’avoir inclus un cheval à la fin du spectacle ! Pour l’instant, à chaque répétition, ça a été différent et il faut tout notre talent à tous les quatre pour improviser et nous adapter à cet animal qui se moque de mes consignes et indications scéniques.

Je regarde le script du spectacle et surtout toutes les notes que mon fils y a apportées. Au départ, je voulais faire ce travail avec Joy mais elle n’a montré aucun intérêt pour ce travail d’écriture et de réécriture. Elle est beaucoup plus spontanée et toutes les modifications qu’elle a apportées sont le résultat de son instinct de danseuse et des nombreuses répétitions que nous avons faites. Kenzo, au contraire, s’est montré passionné par rapport à ce travail. Et talentueux ! Je crois que mon fils a trouvé sa voie et qu’il est doué pour la mise en scène car toutes ses suggestions démontrent sa bonne compréhension du spectacle. Vu son investissement, j’ai demandé à ce que son nom figure en premier en tant qu’auteur et chorégraphe du projet. Je suis fier de lui et franchement, j’ai hâte de voir ce que le public va penser de notre show.

En attendant, je me dirige vers les coulisses où tout le monde est en train de se préparer. Je m’arrête d’abord dans la petite pièce que partagent Kenzo et Théo et frappe avant d’entrer.

— Salut, les jeunes ! Vous êtes prêts ? Pas trop stressés ?

Ils sont magnifiques, tous les deux. Théo a revêtu un costume bien moulant de chevalier et, même s’ils nous en veut encore, est d’accord pour enfiler un casque magnifique pour remplir son rôle du Chevalier Noir, le méchant pas si méchant de notre histoire. Kenzo est habillé en paysan et jouera le rôle du héros naïf qui apporte son aide à toutes les situations sans vraiment le vouloir. J’adore comme il parvient à retranscrire dans la danse cette naïveté.

— Stressés ? Mais non, si peu, pouffe Théo. Kenzo va faire des trous dans le parquet à force de faire des allers-retours, et j’ai le ventre en vrac, mais tout roule, Prof ! Et toi ?

— Oh moi, vous savez, ce n’est pas mon premier spectacle, dis-je en souriant avant de faire une grimace. Putain, en vrai, je ne sais pas si je vais être capable de monter sur scène tellement je balise, là… Bref, je vais aller voir ma Princesse, elle saura comment me détendre, je suis sûr. Vous n’avez pas de questions, tout est bon pour vous ?

— On peut encore annuler ? me demande Kenzo en grimaçant à son tour.

— Non, tout le monde va enfin pouvoir apprécier ton talent dans la mise en scène ! Si la critique trouve ça nul, promis, je dis que c’est moi qui ai tout fait. Mais s’ils disent que c’est bien, je crierai sur tous les toits que tu es le génie qui a fait la différence ! Alors, on n’annule pas ! Théo, je compte sur toi pour le rassurer, je sais que tu peux employer des moyens que je n’ai pas !

— T’inquiète, je gère la bête ! Bon courage avec Joy, elle est aussi stressée que lui !

Je leur adresse un sourire un peu figé avant de me rendre dans la loge qui se situe au fond du couloir. Lorsque j’ouvre la porte, le spectacle que m’offre Joy me laisse sans voix. Elle n’a revêtu que le bas de son justaucorps et m’accueille avec un sourire magnifique, les seins à l’air. Cette femme… Que dire à part que je suis ravi qu’elle soit dans ma vie et qu’elle soit devenue MA femme ?

— Eh bien, c’est comme ça que tu accueilles tous les visiteurs de la loge ? demandé-je en venant l’enlacer.

— Seulement mon petit mari chéri, voyons, pour qui tu me prends ? sourit-elle en nouant ses bras autour de mon cou.

Je sens son corps se coller contre le mien et tout de suite, tout mon être réagit. C’est incroyable à quel point elle me fait toujours envie et comme c’est toujours aussi intense entre nous. Alors que nous échangeons un baiser, je me retrouve rapidement à l’étroit dans mon collant et cela a l’air de beaucoup amuser ma chérie.

— Arrête de me sourire comme ça ou je te prends là, sans aucun ménagement vu mon état de stress, mon Coeur.

— Chiche, souffle-t-elle à mon oreille avant d’en mordiller le lobe.

— Tu crois qu’on a le temps ? demandé-je sans résister alors qu’elle est déjà en train de de s’emparer de mon sexe bandé.

Elle jette un œil à l’horloge et stoppe immédiatement ses caresses en prenant un petit air frustré qui me fait fondre. Je la sens exercer une dernière pression avant de me relâcher, à regrets.

— Après le spectacle, on fêtera ça avec un orgasme. Enfin, sauf si tu es sur les rotules, Papy sexy !

Sagement, elle m’aide à me réajuster et je compte sur cette frustration pour lui déclarer tout mon amour et toute ma flamme lors du spectacle qui va voir le Chevalier Noir essayer de s’immiscer entre elle et moi avant qu’elle ne cède finalement à l’amour qui nous attire inexorablement l’un vers l’autre. Basique comme ligne directrice, mais j’espère que ça va fonctionner.

Nous finissons par une petite séance maquillage et quand l’heure du spectacle arrive, nous nous retrouvons tous les quatre derrière le rideau. Kenzo n’arrête pas de regarder depuis le côté le public que l’on entend de manière diffuse et qui semble venu en nombre. Au moins, que ce soit un échec ou un succès, ce ne sera pas confidentiel.

— Kenzo, arrête un peu, les seules personnes qui comptent sont ici avec toi, le réprimandé-je gentiment. Viens avec nous, j’ai un petit discours à vous faire.

— Pitié, ne vire pas larmoyant maintenant, j’ai les nerfs en pelote, rit-il en approchant.

Je passe un bras autour de la taille de Joy qui attire les deux garçons autour de nous. Nous formons un petit cercle et, avant de prendre la parole, je les regarde tour à tour, magnifiques dans leur jeunesse fantastique.

— Non, je ne vais pas faire larmoyant. Je voulais juste vous dire à tous les trois un grand merci et vous féliciter dès maintenant du risque que vous prenez en vous lançant dans la création de ce spectacle. Je ne vous remercie pas pour tous les cheveux blancs que vous me créez avec vos erreurs de débutants, ajouté-je en souriant, mais pour être ici, avec moi. Cela n’a pas de prix et même si le spectacle n’est pas un succès pour le public, c’en est un pour moi. Sans vous, rien de tout ceci n’aurait été possible. Alors, je ne vous demande qu’une chose, ce soir. Faites-vous plaisir !

— Tu devrais nous remercier pour les cheveux blancs aussi, Prof, Joy trouve ça hyper sexy, me lance Théo en me faisant une accolade. Ce spectacle est génial, c’est nous qui te remercions pour cette opportunité.

— Il a raison en tous points, mon Cœur, sourit Joy. Danser avec vous trois… C’est juste parfait.

— Allez, on arrête de se congratuler avant même d’avoir dansé et on se met en place. Souvenez-vous que dès le départ, on est tous les quatre sur scène. Ça va leur faire bizarre au public, mais au moins, ils vont vite comprendre que la vraie star du spectacle, ce n’est pas le cheval, mais notre quatuor ! Merde à vous trois, les jeunes !

Joy vient se coller à moi et nous nous serrons l’un contre l’autre tandis que Kenzo et Théo font de même de leur côté. Le Régisseur nous fait signe qu’il va lever le rideau et nous prenons nos places, avec les trois garçons qui encadrent la belle Princesse qui va faire rêver tout le monde ce soir. J’ai beau dire que le clou du spectacle, c’est notre quatuor, dans l’écriture, je n’ai pas pu m’empêcher de mettre en lumière la partenaire de ma vie qui est resplendissante, comme toujours.

Lorsque le rideau se lève enfin, le public applaudit à tout rompre en nous voyant apparaître et la musique se lance. Nous sommes tous les quatre un peu tendus mais la danse reprend vite le dessus et les échanges se fluidifient rapidement. Je ne peux m’empêcher au fur et à mesure de prendre des notes sur les détails à améliorer maintenant que nous faisons ce spectacle devant un public mais tout s’enchaîne à merveille. Et quand le cheval blanc débarque sur scène, amené par un Kenzo tout souriant, les cris de surprise du public me font réaliser que j’ai remporté mon pari.

Le rideau se baisse enfin et le public explose dans un tonnerre d’applaudissements assourdissant. Nous tombons dans les bras l’un de l’autre et c’est ainsi que l’audience nous retrouve alors que le Régisseur, sûrement touché par l’image que nous offrons, ne nous laisse pas le temps de reprendre les positions que nous avions prévues et remonte immédiatement le rideau. Nous nous avançons alors d’un même pas, unis dans ce succès et saluons le public alors que le cheval pousse un puissant hennissement, sûrement un peu apeuré par le bruit des applaudissements. Quelle fierté ! Quel bonheur !

Je crois que je suis le plus heureux des hommes et le regard que j’échange alors avec Joy, la femme de ma vie, finit de me convaincre que je sais désormais ce qu’est le Paradis.

— Je t’aime, mimé-je avec mes lèvres avant de lui envoyer un bisou avec ma main.

— Je t’aime encore plus, sourit-elle en se jetant dans mes bras pour m’embrasser avec une folle passion.

Si danser est déjà un plaisir immense en tant que tel, le faire avec la femme qui fait battre mon coeur, mon fils et son compagnon est mon Nirvana à moi. Je viens de côtoyer le ciel et je crois que j’y ai emmené avec moi tous ceux à qui je tiens. Quel bonheur de danser avec une telle Joie !