Non, je ne dirai pas "tu"

de Image de profil de muriel Maubecmuriel Maubec

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Tu ? Non, pardon, je ne vais pas utiliser ce pronom personnel pour m'adresser à votre personne. Pourquoi ? C'est pourtant simple, non. Tu ? Ça ne sonne pas comme un ordre ? Comme une supplique ? Je ne suis pas ce genre de personne. Je ne tue personne, contrairement à vous. Et on dirait que ça a l'air de vous amuser. Vous en avez pris tellement, et parmi tous ceux là, les deux qui comptaient tant dans ma vie. Mon époux et mon père. Vous étiez tellement pressée de mettre un terme à leur vie, alors qu'ils avaient encore tant à nous offrir.

Vous arrivez toujours trop tôt, et surtout vous vous introduisez sans être invitée, vous débarquez comme ça, en fracassant les portes; et quand vous arrivez sur la pointe des pieds, oui, oui, ça vous arrive, vous faîtes encore plus de dégâts.

Oh oui, parfois, ça vous arrive d'être la bienvenue, mais c'est pire encore, vous détruisez tout sur votre passage. Une fraction de seconde pour celui qui va se pendre, suspendre son souffle et sortir par la petite porte. Vous êtes toujours là pour couper le lien de vie. Ça vous amuse ? Espèce de garce.

Et que dire de ceux qui vous sème, comme mauvaise graine lancée au rythme d'une kalachnikov, pour un idéal, mon œil, oui, tout au plus, une connerie.

Combien sont tombés, fauchés sur des champs de bataille rougis de sang innocent.

Et quand vous vous couchez sur les pages blanches d'un roman, c'est tout aussi cruel. Roméo, Juliette, Jean de Florette. Vous ne respectez rien, ni l'amour, ni la famille, vous venez foutre la merde dans les histoires. Certains, certaines vous trouvent attirante, dernière issue pour s'échapper. Qu'avez-vous à offrir ? Dites-moi au moins que vous n'êtes qu'un rideau et que vous nous laisserez avoir des signes de ceux qui sont partis.

Mais peut-être que je suis injuste avec vous, peut-être que j'en oublie l'autre possibilité, celle qui consisterait à prendre conscience que vous ne venez pas, parce que vous êtes en nous. Celles qui donnent la vie nous donnent aussi la mort, c'est ainsi. Peut-être que vous n'êtes pas que vilaine. Vous n'êtes, après tout, qu'une partie de nous, vous êtes en nous. Vous êtes là. Et peut-être que vous vous manifestez quand c'est le moment pour celui qui s'en va. L'autre ne nous appartient pas. J'étais et je reste la fille de mon père, mais il ne m'appartenait pas. J'étais et je reste la femme de mon prince mais il ne m'appartenait pas. Je le sais mais ils ont fait et ils font toujours partie de moi. Et je sais la force de l'Amour qu'ils me portaient, car c'est l'intensité du poids du chagrin de ne plus les avoir près de moi.

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Je pense que vous faites partie de la vie. Vous faites partie de ma vie, puisque vous êtes au bout du chemin, au bout de mon chemin. Vous avez déjà fait partie de ma vie puisque vous ave emporté mon mari et mon papa, ainsi que quelques autres êtres chers. J'ai appris à vivre avec, je ne vous redoute pas vraiment, je suis juste bouleversée par la soudaineté avec laquelle vous surgissez, sans vraiment prévenir. Et je suis surtout atterrée par l'intensité de la douleur que vous laissez. Bon, j'imagine que c'est une intensité liée à l'intensité de l'amour que je portais à ces deux êtres qui ont été arrachés à mon existence. Ça veut dire qu'on a aimé fort et que ce fut une chance immense que d'avoir de tels êtres lumineux et bienveillants autour de soi. Je pense aussi que vous êtes comme un rideau, mon mari, mon père et tous les autres sont juste passés dans la pièce d'à côté, je sais que leur lumière brille sur moi, sur les enfants, je ressens l'amour qu'ils nous portaient, je sais cette force qui nous anime, qui nous aide à avancer sur le chemin de l'existence, jour après jour. Nous avons appris à nous contenter de la beauté vivante d'un rayon de soleil et de bons moments avec des amis ou nos proches. Nous n'avons jamais vraiment su planifier ni anticiper, mais depuis ces deux drames qui nous ont frappés, nous vivons au jour le jour, en se disant que chaque souffle est un bonheur, une joie dont nous pouvons profiter en attendant le moment où les larmes viendront de nouveau inonder nos visages.

Vous êtes ce mystère grandissime entouré d'inconnu mais que nous avons appris un peu à apprivoiser. Vous remettez tout à sa place : pas de place pour les mesquineries, les injures et la haine, juste l'amour qui nous manque, juste un sourire qui nous manque, juste des paroles qui tombaient juste pour alimenter un échange d'idées.

Vous pouvez, par contre, venir attiser le feu des regrets, si vous survenez dans un moment de dispute. Ne pas avoir eu le temps de dire "je t'aime" ou pardon; alors qu'on ne savait pas que l'autre n'allait pas se réveiller le jour d'après. Chaque soir, à la fin d'une journée, il est important de se déshabiller le corps, mais aussi de se déshabiller le cœur, pour laisser les rancœurs dans le sac à linge sale. La vie est tellement fragile, elle peut cesser si brutalement. Le dernier mot, c'est important qu'il soit un mot d'amour, de pardon et d'encouragement.

J'ai eu à cœur d'enlever du mot "mort" tout ce qui était peur, tabou et non-dit, j'ai expliqué à mes petits le mot "mort" avec ce que ça comporte de biologique et de ressenti. Je n'ai pas dit "papa, il dort", je n'ai pas dit "papa est parti", je n'ai pas dit "Papa est au ciel". J'ai dit "Votre papa est mort". J'ai parlé de sa respiration, de son cœur, de ses yeux. Puis je les ai emmenés au jardin, à la tombée de la nuit, et je leur ai dit de lever la tête et d'accrocher avec leur regard, la première étoile, vous savez laquelle, la plus brillante. Et ils y ont vu le sourire et la lumière de leur papa. Et c'est ainsi qu'ils ont débuté leur voyage-rencontre avec vous. L’aîné avait à peine sept ans, ma fille avait quatre ans et demi et la petite dernière venait d'avoir deux ans.

Nous n'avions rien demandé, nous avons pris de plein fouet, en pleine figure, cette effroyable nouvelle. Mort, ce n'est pas un mot qu'on a envie de mettre dans le "sac à mots" du lexique des tout-petits.

Et pourtant vous faites partie de la Vie.

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Table des matières

En réponse au défi

À votre porte se trouve...

Lancé par Milia

... la Mort.

Vous entendez votre sonnette, ouvrez la porte et là, la Mort vous salue. Attention, elle n'est pas là pour vous tuer, elle est là en visiteur. Elle sait que vous avez des questions, des choses à lui dire. Alors elle est venue.

Quel serait votre conversation ?

Pas plus de dix minutes ^^

Vous avez jusqu'à dimanche 31 mars pour y répondre.

Commentaires & Discussions

Non, je ne dirai pas "tu"Chapitre9 messages | 1 an

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