Par moi on va vers la cité dolente ;
Par moi on va vers l'éternelle souffrance ;
Par moi on va chez les âmes errantes.
(...)
Vous qui entrez, abandonnez toute espérance.

Dante Alighieri, La Divine Comédie, chant III, la Porte de l'Enfer

 Elle titubait dans le noir. Seules quelques torches mourantes guidaient ses pas. Son corps était à bout de force et son esprit confus. Que venait-il de se passer, exactement ? Qui était-elle, où se trouvait-elle ? C’était sans importance. Pas dans l'immédiat. La seule chose qu’elle savait, c’est qu’elle devait fuir.

 Elle s’était éveillée dans une pièce en proie aux flammes. Autour d’elle, elle n’avait vu que des cadavres d’êtres humains nus la fixant du blanc des yeux. Puis une main, une main gigantesque, s’était dressée pour l’attraper. Elle l’avait évitée de justesse. Son propriétaire rampait à terre. Un homme, non, un géant, le seul drapé d’une toge, essayait de la retenir. Elle n’avait aucune idée de qui il s'agissait, mais la rage qui brillait dans les yeux avait suffi à lui faire comprendre qu'elle ne devait pas rester là. Après quelques regards rapides aux alentours, elle avait repéré la sortie.

 Mais une fois dehors, elle ignorait encore trop de choses. Perdue, fatiguée, elle se contentait d’avancer sans vraiment savoir pourquoi. Si elle portait une robe, le froid de la nuit commençait tout doucement à engourdir ses membres mis à nu. Des flashs lui venaient en tête alors qu’elle s’obstinait à marcher malgré les protestations de son corps endolori.

 Elle voyait une enfant, une jeune fille à la chevelure de feu, courir à ses côtés. Puis un homme se penchait vers eux pour leur tendre une main. Clignant des yeux, elle se vit ensuite assise à un bureau, en train d’écrire et de discuter avec la jeune rousse qui avait grandi. Puis ils revêtaient tous deux une toge noire, défilaient avec d’autres, priaient dans des églises…

 Ces réminiscences paraissaient dénuées de sens. La jeune fille ignorait qui était la rousse de ses visions. D’ailleurs, elle n’avait aucun souvenir. Une seule volonté l'animait, fuir la chapelle de son réveil et l’être gigantesque qui avait tenté de l’attraper.

 Chaque pas lui faisait mal. Elle avait les pieds en sang. Plusieurs marques de brûlure déchiraient son corps. La douleur la désorientait. Hagarde, elle se contentait de longer les hauts remparts d’une ville. Elle se trouvait à l’extérieur de celle-ci.

 Plus loin, de nouveaux souvenirs revinrent accaparer ce qui lui restait de conscience. La gamine aux cheveux de feu était devenue une femme et, à ses côtés, il y avait de nombreux enfants, des dizaines, peut-être des centaines. Des regards d’anges qui leur souriaient et les remerciaient pour les bons soins qu’on leur accordait. Sa camarade lui adressait un clin d’œil puis lui sautait au cou.

 Puis de nouveau, des flammes. Un incendie rongeait un bâtiment. Son amie, inquiète, se précipitait à l’intérieur. Les enfants qu’elle avait vus s'y trouvaient-ils ? Elle se vit la suivre en dépit du danger. Ils avançaient en criant des noms, jusqu’au moment où un grand fracas retentit et qu’une lourde poutre leur tomba dessus…

 C’est une insulte qui réveilla la jeune fille au même moment. Elle s'était écartée des murs sans s'en rendre compte. Un homme en charrette avait dû s’écarter du chemin pour ne pas l’écraser. Il ne lui adressa pas plus d’attention, aussi l'adolescente poursuivit sa route péniblement. Tout était encore trop confus. La fatigue n'allait plus tarder à l'emporter.

 Aussi, quelques minutes plus tard, elle découvrit un préau où plusieurs charrettes attendaient leurs propriétaires. Sans réfléchir, elle s’abrita sous le toit. Là-bas, ses pas la guidèrent jusqu’à un véhicule. Deux bovins massifs y étaient attelés, mais ils ne réagirent pas à sa présence. Elle s’y appuya quelques secondes pour reprendre son souffle. Dans lle treuil, un sac de jute attira son attention. Il était vide et ferait une couverture de choix avec le froid qui régnait. Extenuée, elle ne réfléchit pas plus longtemps. Elle s’y pelotonna et plongea dans un sommeil profond.