Silencieux constat
Lorsqu’elle se réveilla, la jeune fille découvrit qu’elle avait été déplacée. Une paillasse avait remplacé le bois de la charrette mais le sac dans lequel elle s’était emmitouflée, lui, était encore là. Seule sa frimousse en dépassait. Elle se trouvait à l’intérieur de ce qui devait être une chambre, comme en témoignaient les trois autres lits. Les rayons du soleil pénétraient dans la pièce par une fenêtre, simple trou dans le mur dont on avait laissé les rideaux ouverts. Pour tout meuble, une armoire disposant d’un miroir sur la porte de droite.
La jeune fille prit quelques secondes pour émerger totalement de son sommeil. Elle reprenait petit à petit conscience de ce qui l’entourait. Mais le peu de ce qui lui revenait à l'esprit n’avait pas de quoi l’égayer. Seuls les souvenirs de la veille lui trottaient en tête. Elle ne se rappelait toujours rien d’autre, pas même son nom.
Des cris d’animaux la sortirent de ses pensées. Elle se décida enfin à se lever pour partir à la recherche de ceux qui l’avaient accueillie. Avec un peu de chance, ils pourraient apporter des réponses à ses trop nombreuses questions.
Comme elle quittait le sac en toile, elle se fit face dans la glace. Elle resta interdite un instant. Quand elle avait eu ses flashs la veille, elle s’était imaginée très grande. Ce n’était pas le cas. Elle devait être âgée de quinze ans, environ. Une tignasse brune lui tombait jusqu’aux épaules, du moins après y avoir passé ses doigts. Un petit nez fin, des yeux d’émeraude et des cendres venues salir le tout. Elle portait une robe aussi, de riche facture, d’un bleu clair qui tirait sur vert. Seulement, plusieurs trous garnissaient ses manches et le tissu avait été brûlé par endroits. Ce dernier constat la rendit perplexe. Avant de trouver une hypothèse susceptible de la satisfaire, la porte de la chambre s’ouvrit sans prévenir.
Dans l’encadrement se tenait un jeune garçon, plus petit qu’elle. Sa chevelure était presque aussi fournie que la sienne et d’une couleur un rien plus foncée. Il portait une chemise rapiécée surmontée d’un blouson de laine ainsi qu’un pantalon percé aux genoux. La mine de l’enfant passa rapidement de la surprise à l’excitation en voyant la jeune fille réveillée. Celle-ci avait d’abord sursauté avant d’essayer de saluer l’inconnu. Mais, du fait de sa surprise sûrement, aucun son ne sortit de sa bouche.
— Bonjour madame en bleu ! s’exclama l’enfant. Vous avez bien dormi ? Moi, c’est Minos ! Et vous, c’est quoi votre nom ? C’est mon papa qui vous a trouvée hier soir en revenant de Leonne ! Maman dit que vous avez peut-être été détroussée par des bandits. Pas trop de casse ? Vous venez d’où, dites ? Vous avez faim ? Je peux vous préparer le petit-déjeuner, mais c’est déjà bientôt l’heure du repas !
Le flot de paroles laissa la jeune fille perplexe. Elle cligna des yeux, prête à ce que le dénommé Minos reprenne aussitôt la parole, mais il n'en fit rien. Il la regardait en souriant, attendant des réponses à ses questions. Hélas, des réponses, elle n’en avait toujours pas. Bien embêtée, elle chercha ses mots pour essayer de lui expliquer sa situation puis se lança.
Cependant, aucun mot ne franchit ses lèvres. Pas même un son d’ailleurs. Le jeune Minos haussa un sourcil tandis que la bouche de son interlocutrice remuait dans le vide. Très vite, la jeune fille s’interrompit, entre stupéfaction et horreur. Elle réessaya de dire quelques mots, sans plus de succès. Puis elle plaqua une main contre sa gorge et s'appliqua encore et encore. Rien à faire. Elle restait muette.
Des larmes perlèrent à ses yeux. Non, c’était impossible, comment pouvait-elle être muette ? Elle n’avait peut-être aucune idée de qui elle était et de ce qu'il lui était arrivé, mais elle ne pouvait pas avoir oublié quelque chose d’aussi important ! Comment allait-elle faire pour poser des questions autour d’elle, pour communiquer ? Horrifiée, elle se laissa tomber sur la paillasse où elle laissa l’angoisse l’emporter. Mais même ses pleurs restaient silencieux.
Face à cette scène, Minos prit quelques instants pour comprendre ce qu’il se passait. Puis il s’assit à côté d’elle et, d’un geste malhabile, lui donna de petites tapes dans le dos.
— Madame en bleu, vous ne pouvez pas parler, en fait ? Vous êtes… Vous êtes fluette ?
La jeune fille acquiesça en recroquevillant ses genoux contre son visage. Et si les habitants la mettaient dehors, maintenant, que ferait-elle sans parole ni idée de l’endroit où elle se trouvait ?
— Vous… vous pouvez peut-être écrire, alors ? Je vais vous chercher du parchemin !
Minos se leva et quitta la pièce en trombe pour revenir tout aussi vite, armé d’un stylet de bois brûlé et d’un parchemin déjà couvert de graffitis. L’adolescente haletait, mais cette vision lui rendit espoir. L’enfant lui offrait peut-être une solution à son problème ! Mais se souvenait-elle seulement de comment écrire ? L’avait-elle-même jamais su… ?
Heureusement, à peine essaya-t-elle de tracer quelques mots que tout lui revint comme un réflexe longtemps pratiqué. Elle savait écrire, et elle avait d’ailleurs une graphie parfaitement lisible. Ce qui lui manquait, c’était peut-être l’inspiration. Aussi se contenta-t-elle d’une explication assez brève pour résumer tous les problèmes dont elle avait connaissance.
« Je n’arrive pas à parler. Et je ne sais pas qui je suis, comment je m’appelle, ce qui m’est arrivé, ni même ce que je fais ici… Je suis désolée de ne pas pouvoir vous répondre… »
Aussitôt avait-elle terminé que Minos s’empara avec avidité du parchemin. Il l’approcha très près de son visage qui disparut derrière. Après quelques secondes, la jeune fille s’étonna de l'absence de réaction. Finalement, l’enfant baissa la feuille et la regarda avec un certain malaise.
— En fait… je sais pas vraiment lire. Pas encore très bien. Mais on n’a qu’à demander à Mamy Gabrielle !
Et sans lui laisser le temps de répondre, ce dont elle était de toute manière incapable, il sortit de la chambre et se précipita dans les escaliers. Avec beaucoup d’appréhension, elle lui emboita le pas.
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