La brebis égarée
Les journées s’enchainaient et se ressemblaient toute. Comme tous les après-midi, Minos et Maya gardaient les advouquetins tout en jouant avec Pan. Leur train-train quotidien fut cependant brisé lorsqu’ils entendirent une voix crier le nom du petit berger. Aussitôt, ce dernier fit un signe à Pan pour qu’il recrache le bâton qu’il leur ramenait fièrement. Andromaque s’approchait d’eux sur le dos de son cheval. Sarpédon, c’était son nom, était une belle bête à la robe brune tâchetée de blanc. Selon les dires de sa propriétaire, c’était aussi l’équidé le plus rapide de toute la région.
— Un problème, ‘maque ? demanda timidement Minos quand celle-ci arriva à leur hauteur.
— C’est Europe, elle a besoin de toi, lui répondit-elle. Elle sortait les domrochs et l’un d’eux s’est écarté du troupeau. Elle ne parvient pas à le faire revenir et il s’éloigne vers la propriété des Campello.
— Ok, je te suis ! répondit Minos en se tournant vers Maya. Tu veux bien rester pour surveiller le troupeau ?
La jeune fille approuva d’un signe de tête. Minos lui confia alors son bâton de berger, qu’elle regarda avec un air circonspect. De ce qu’elle avait vu, Minos ne s’en était jamais servi. Elle lui aurait bien demandé comment l’utiliser, mais le petit garçon était déjà monté sur Sarpédon qui lui tournait le dos pour s’élancer d’où il venait, Pan sur les talons.
Laissée seule, la jeune fille soupira et observa le troupeau. Les advouquetins se contentaient de brouter calmement, comme d’habitude. Mais lorsqu’elle en vit un lever la tête, elle sentit comme une crampe à l’estomac. De ce qu’elle avait vu, c’était toujours Pan qui empêchait ses congénères de s’éloigner. Or, celui-ci avait suivi son berger, laissant Maya démunie derrière lui.
L’ovin curieux jaugea un instant la jeune fille. Immobile, Maya déglutit. Puis, quand elle le vit sortir de troupeau, elle se précipita vers lui, agitant son bâton frénétiquement, tel un grotesque éventail. Cela sembla fonctionner, du moins quelques secondes, car une fois la surprise passée, l’animal reprit tranquillement sa route. L'adolescente dut s’interposer pour l’arrêter. La bête tenta bien de passer sur le côté, mais Maya la bloqua à trois reprises avec le bâton. Elle recula de peur lorsque l’animal tenta de donner un coup de tête au morceau de bois. Hésitante, elle finit par s’avancer avec un peu plus de zèle vers l’animal, qui, enfin, recula.
Satisfaite d’enfin avoir compris comment s’y prendre, ou presque, Maya releva la tête pour observer le reste du troupeau. Son teint devint blême en s’apercevant que d’autres advouquetins en avaient profité pour s’écarter à leur tour. En vitesse, elle se dirigea vers un autre et répéta l’opération jusqu’à avoir le dessus sur l’animal. Malheureusement, elle avait l’impression que plus elle ramenait de bêtes vers le troupeau et plus il en sortait. Elle était complètement dépassée.
Heureusement, Minos ne tarda pas à revenir en compagnie de Pan. Ce dernier s’élança rapidement et rassembla chaque membre de son groupe dans un périmètre de plus en plus restreint. Maya tomba par terre de soulagement. Elle avait dû beaucoup courir et s'agiter pour tenter de les repousser et éviter les violents coups de tête.
— Désolé, j’avais pas vu que Pan m’avait suivi ! Tout va bien ? Ils ne t’ont pas blessée ?
Maya respira fort et lui adressa un sourire pour signifier que tout allait bien. Gêné, le garçon le lui rendit puis se tourna vers les animaux. Il se mit à les compter en les pointant un à un du doigt. Ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’il fit un pas en arrière, inquiet.
— Il… il en manque une…
Maya se releva d’un bond, saisie d’angoisse. Son regard passa de droite à gauche pour repérer l’animal manquant. Mais rien n’y fit. Aucun autre advouquetin à l’horizon.
— Elle doit pas être bien loin, murmura Minos, plus à lui-même qu’à Maya. Je… Pan, tu restes ici ! On va se sép…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Un bêlement plaintif venait de s’élever bien fort, attirant tous les regards, y compris ceux des membres du troupeau, vers le bois. Ils en étaient proches et l’animal manquant avait très bien pu s’y engouffrer. Sans attendre plus longtemps, Minos se mit à courir vers les arbres, suivi de Maya.
Les arbres du Bois de Styx étaient si nombreux et si touffus qu’ils donnaient l’impression d’y faire nuit en permanence. Cela n’empêcha pas le garçon d’y pénétrer, esquivant les ronces. Maya le talonnait de peu, manquant de trébucher sur les racines qui jonchaient le sol. Finalement, Minos se figea et Maya faillit bien se cogner à lui. Une advouquetin boita vers l’enfant. La bête était blessée. Minos poussa un soupir de soulagement et ils l’escortèrent en revenant sur leurs pas. Sur le trajet, la jeune fille ne pouvait s’empêcher de se sentir observée. Elle avait la sensation que quelque chose, dans l’obscurité, les surveillait en silence…
Ce n’est qu’une fois sortis du Bois de Styx qu’ils purent voir l’ampleur de la plaie. Sa belle toison d’ordinaire d’un blanc éclatant était rougie de son sang sur les flancs. Minos lui chuchota quelque chose à l’oreille, pour qu’elle se calme, puis l'examina.
— Une morsure…, finit-il par dire, inquiet. Une sacrée morsure…
Maya observa alors le Bois de Styx qu'ils venaient de quitter. On lui en avait un peu parlé. On le disait sans danger, que le pire qui s’y trouvait était une bande de brigands plus gentils que méchants. Mais manifestement, il s’y trouvait aussi une créature assoiffée de sang…
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