Promenons nous dans les bois...
Maya sursauta et essaya de pousser un cri qui, bien sûr, ne vint jamais. Dans l’obscurité, une silhouette agitait ses bras pour l’inciter à se calmer. Les yeux plissés, elle reconnut là Minos. Comme elle s’était calmée, ronchonne, l’enfant lui fit d’autres signes, lui demandant manifestement de le suivre dehors. D’un geste de main, elle lui fit comprendre de l’attendre dans les escaliers, le temps qu’elle enfile quelque chose.
Tout en maugréant en silence contre le petit berger, Maya le rejoignit rapidement. Elle lui aurait bien demandé des explications mais l’enfant mit son doigt devant sa bouche pour lui faire comprendre qu’elle devait se taire. L’ironie de la situation ne plaisait guère à la muette mais, encore une fois, Minos ne lui laissa pas le temps de se manifester. Il entama la descente des escaliers sur la pointe des pieds et, malgré la contrariété, elle le suivit.
Ils se dirigèrent d’abord vers la cuisine d’où le petit berger ouvrit la porte qui donnait dehors pour laisser passer son amie. Celle-ci sortit avec une appréhension grandissante. Dehors, le ciel était sombre, avec quelques étoiles, seulement illuminé d’une lune blanchâtre, presque fantomatique. Peut-être avait-elle plus dormi qu’elle ne le croyait. Toute à sa contemplation, Minos passa devant et elle lui emboita le pas en direction des étables.
Comme le berger se dirigeait vers les advouquetins, Maya crut comprendre qu’ils allaient juste s’assurer de l’état de l’animal blessé. Il était simplement inquiet, pensait-elle, et comme elle se sentait responsable, sa mauvaise humeur la quitta immédiatement. Elle s’appuya négligemment contre l’enclos des porcs endormis tandis que Minos entrait dans celui des ovins. Aussitôt, Pan se releva sur ses quatre pattes et trottina vers lui. Le garçon lui fit une caresse sur le crâne et, à la grande surprise de Maya, sortit de là en sa compagnie
— C’est gentil de nous accompagner ! lança-t-il à voix basse, comme s’il avait peur qu’on les surprenne. Avec toi et Pan, je suis quand même plus rassuré !
Il attrapa un sac en toile et en sortit une un bâton et deux pierres. Maya resta interdite tandis qu’il cognait les cailloux l’un contre l’autre, produisant des gerbes d’étincelles qui eurent tôt fait d’enflammer sa torche.
— Tu veux bien prendre le sac ?
Maya hésita puis accéda à sa requête. Le petit berger se mit aussitôt en marche et ils sortirent. Curieuse, l’adolescente jeta un coup d’œil dans le sac. Dedans, il y avait les morceaux de viande que Minos avait subtilisés pendant le souper. Enfin, quand elle releva la tête, elle comprit vers où ils se dirigeait. Leur destination ? Les Bois de Styx.
Elle s’arrêta, pétrifiée. Elle devinait enfin ce que le petit berger voulait faire. Prise de panique, elle courut jusqu’à lui. À peine l’avait-elle dépassé qu’elle lui barra la route en pivotant frénétiquement la tête de gauche à droite et en secouant les bras, l’air désapprobateur.
— Ben quoi ? s’étonna Minos en la voyant ainsi. On a oublié quelque chose ?
Maya se frappa le front puis montra le Bois du doigt avant de le secouer de la même manière que sa tête, pour faire comprendre qu’ils ne pouvaient pas y aller. Elle répéta deux fois les gestes pour que Minos comprenne.
— Mais on doit y aller ! On doit retrouver le loup pour lui dire de partir ou de se cacher !
Les craintes de Maya se révélaient exactes et elle répéta ses gestes de plus belle. Il était évident que s’y introduire de nuit était une mauvaise idée.
— Si on ne fait rien, ils vont le tuer ! protesta l'enfant d’une voix inquiète. D’accord, c’était pas gentil de mordre notre advouquetin mais… c’est pas une raison ! Puis ce sera ma faute, parce que c’est moi qui l’ai montrée à papa…
Mal à l’aise, Maya s’arrêta. Le petit garçon n’y pouvait rien si son troupeau s’était dispersé. Elle avait été impuissante et elle était la seule responsable. Seulement, Minos aussi ressentait cette culpabilité. Son amour pour les animaux était tel qu’il ne voulait pas qu’ils meurent, même s’il s’agissait d’un dangereux prédateur. Elle se mordit la lèvre, maintenant partagée entre l’envie de retourner au lit et celle d’accompagner Minos en dépit du danger.
— Que tu viennes ou non, j’y vais quand même, dit finalement Minos, l’air décidé. Je suis avec Pan, il m’arrivera rien de grave !
Il passa simplement à côté d’elle. Refusant de l’abandonner, Maya soupira et le suivit. Elle le vit se tourner vers elle et lui adresser un sourire de remerciement. Puis, sans rien ajouter, ils pénétrèrent ensemble dans le Bois de Styx.
À peine entraient-ils que Maya le regrettait déjà. Il y faisait si sombre malgré la torche. L’appréhension guidait chacun de ses pas tandis qu’elle sentait les ronces écorcher le bas de ses jambes. Elle suivait le rythme de Minos et de Pan qui avançaient prudemment.
Ils marchèrent quelques minutes avant que Minos ne s’arrête. Il n’avait plus l’air aussi assuré, comme si la peur s’insinuait peu à peu en lui. Il tendit le bras vers Maya qui lui passa le sac en toile. L’enfant dégagea les feuilles mortes à ses pieds et chercha autour de lui quelques rochers, qu’il disposa en arc de cercle. Il déposa des brindilles au milieu et y mit le feu. Il sortit ensuite des restes du repas qu’il fit réchauffer dans le foyer. Pan et Maya, pendant ce temps, se contentaient de l’observer.
— C’est pour l’attirer, dit Minos à Maya. Je réchauffe la viande pour que l’odeur lui donne faim.
Maya se mordit la lèvre. Elle n’était pas certaine que donner faim à un loup soit une excellente idée. Surtout, elle se demandait comment Minos comptait faire pour communiquer avec lui ? D’après Rhadamanthe, il devait d’abord toucher l’animal pour ça. L’inquiétude commençait à lui ronger l’estomac.
Ils restèrent un long moment sur place. À chaque bruit, ils sursautaient et inspectaient les alentours. Mais rien, pas un seul loup ne vint pointer le bout de son museau. Maya commençait tout doucement à se sentir rassurée. Cela valait sûrement mieux ainsi. Minos, par contre, semblait contrarié. Mais il était aussi fatigué. Assis près du feu, sa tête penchait de plus en plus, jusqu’à s’appuyer contre Pan, qui, au contraire, paraissait aux aguets. Maya aussi sentait qu’il n’était plus qu’une question de minutes avant de sombrer dans le repos. Rester inactif n’aidait pas à veiller convenablement.
Soudain, Pan poussa un petit bêlement nerveux et frappa le sol de ses sabots. Minos, à moitié endormi, tourna la tête et se releva subitement d’un bond lorsqu’il l’aperçut. Désormais parfaitement éveillée, Maya se releva, l’estomac dans les talons. Ce qu’elle redoutait venait d’arriver.
Un loup était apparu dans leur champ de vision. Il s’était approché silencieusement, si bien que Pan ne l’avait pas repéré avant. Le peu de lumière laissait voir son pelage gris et sombre ainsi que ses yeux jaunes. Il observait la bande, et plus particulièrement Pan, avec beaucoup de méfiance. À peine l’advouquetin s’était-il manifesté que le prédateur s’était figé.
— C’est lui…, murmura Minos, presque fasciné. C’est un loup ! Tu as vu, Maya ?
Maya déglutit. L’animal hésitait sans pour autant se montrer hostile. Maintenant qu’ils se trouvaient face à lui, que comptait faire le petit garçon ? Elle le regarda faire un pas tout en gardant une main sur le crâne de Pan. Le loup baissa légèrement le museau. Peut-être se disait-il qu’il devait s’agir d’un copieux repas ? Pourtant, lorsque Minos tendit le bras vers lui, et malgré les quelques mètres qui les séparaient, le canidé fit un pas en arrière et poussa un grognement. Puis, sans crier gare, il se retourna et prit la poudre d’escampette.
— Attends ! s’écria directement Minos, surpris. On te veux pas de mal !
Aussitôt, il attrapa la torche plantée au sol et se lança à la poursuite du fuyard, Pan galopant juste devant lui. Maya avait tenté, par réflexe, de crier son nom pour le retenir. Le temps qu’elle tende le bras vers lui, il était déjà loin. Elle resta environ une seconde immobile, indécise, avant de courir rejoindre l’enfant. S’il lui arrivait quelque chose, elle ne se le pardonnerait jamais. Mais la tâche se révéla rapidement difficile. Minos courait vite et la lumière commençait déjà à disparaitre de son champ de vision. Elle ne voyait pas bien où elle se dirigeait. La distance se creusait entre eux et elle avait du mal à éviter les obstacles.
Soudain, en pleine course, elle sentit quelque chose la frapper violement sur le front, au point que son corps ricoche et soit projeté en arrière. Elle s’étala dans les feuilles mortes, sur le dos, et sa vision se troubla rapidement. Alors que Minos et Pan continuaient de poursuivre le loup, elle restait là, couchée dans le Bois de Styx, plongeant dans l’inconscience.
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