Eydolon
— C-C’est… un nez de lion… ?
— Exactement, confirma madame Cardamome avec un triste sourire. À sa mort, Sisymbre est devenu un Eydolon. Le fantôme d’un être qui avait encore une mission à accomplir avant de quitter la Terre des Murmures.
Maya était désormais fascinée face à ce qu’elle imaginait comme un véritable miracle. Comment était-ce possible ? Discrètement, elle se mordit la langue pour vérifier qu’elle n’était pas en plein rêve. La surprise d’être le centre d’attention passée, l’esprit du défunt se détourna d’eux, s’intéressant plutôt à la marmite dans laquelle il touillait.
— C’est la première fois que j’en vois un ! s’exclama Minos qui s’était ressaisi. Ça… ça fait longtemps qu’il est avec vous ?
— Il est apparu le jour de son décès. Il ne m’a pour ainsi dire jamais quittée. Il est un soutien indispensable dans mes vieux jours. Je continue de pouvoir compter sur lui, même dans sa mort…
Curieux, Minos s’approcha en dévisageant l’Eydolon. Il hésita quelques secondes puis essaya de toucher ses vêtements, mais sa main traversa le bras de Sisymbre comme s’il était composé de gaz. Ce dernier n’eut aucune réaction alors que le berger reculait déjà avec précipitation.
— Les Eydolons ne peuvent toucher directement les vivants, expliqua la vieille dame. Ils peuvent cependant attraper des objets et s’en servir.
— C’était tout froid…
— Laissons-le tranquille, si vous voulez bien.
Minos ne se fit pas prier plus longtemps. Avec un petit frisson, il retourna se réfugier dans le petit salon. Maya, par contre, eut du mal à détacher le regard de Sisymbre. Elle resta encore plantée là le temps que Lisette Cardamome n’attrape ce qu’ils étaient venus chercher dans la cuisine. La vieille dame dût lui tendre une fleur aux pétales rouges pour la sortir de sa rêverie.
— Ce sont les paverales rouges. Viens, je vais te montrer comment en faire un somnifère efficace.
Des tas de questions défilaient dans la tête de Maya à propos des Eydolons. Cependant, tout aussi intéressée qu’elle était par la concoction d’un somnifère, elle ne pouvait pas laisser passer cette occasion d’apprendre à en fabriquer. Elle suivit donc la vieille dame qui lui expliqua comment dénicher les graines des fleurs. Tout à sa leçon, Maya avait des étoiles plein les yeux. À l’aide d’un pilon, elles réduisirent les graines en poudre tandis que Minos observait les drôles de plantes en pots qui servaient de décoration.
— Pour finir, on glisse cette poudre dans ces petits sachets, dit-elle en désignant ces derniers. Il suffit ensuite de les plonger dans de l’eau qu’on met bouillir. L’eau devrait prendre une petite teinte orangée. Ne bois juste pas trop vite pour éviter de te brûler.
Madame Cardamome lui tendit trois doses de somnifère avec un grand sourire que Maya lui rendit de bonne grâce. Elle s’était montrée bienveillante tout du long de ses explications et la jeune fille s’était découvert une passion pour les plantes. Un souvenir de son ancienne vie, peut-être ?
Alors qu’ils allaient prendre congé, la vieille dame glissa à l’oreille de Maya qu’elle serait ravie de lui donner de nouvelles leçons sur les plantes médicinales. Elle n’avait qu’à lui rendre visite, de temps en temps, et elle se ferait un plaisir de lui enseigner ce qu’elle savait.
— Au revoir, madame, et merci pour les médicaments !
— C’était un grand plaisir de vous recevoir, assura-t-elle avec bienveillance en faisant un clin d’œil à la muette. N’hésitez pas à revenir, c’est que je me sens parfois un peu seule.
— Mais vous avez votre mari, non ? s’étonna Minos en faisant une drôle de tête.
— Certes ! Mais s’il est un soutien indéfectible, il est parfois ronchon, et surtout, il ne parle pas ! Comme tous les Eydolons, d’ailleurs.
Sur ces mots, Maya lâcha ses sachets de somnifère. Elle déglutit en les ramassant, n’osant plus regarder madame Cardamome. Un sentiment d’angoisse germait. Se pouvait-il qu’elle soit, puisqu’elle ne pouvait parler, elle aussi, un Eydolon ?
Le reste de la journée se déroula comme les autres, si ce n’est que Maya avait la tête ailleurs. À chaque fois, le petit berger plaisantait en prétendant qu’elle avait dû laisser sa caboche dans le Bois de Styx. Mais la jeune fille avait beau essayé de se rassurer, à penser qu’elle n’était pas transparente, qu’elle pouvait toujours toucher Pan ou Minos, rien n’y fit. Elle ne parvenait pas à éliminer cette horrible pensée. Et si elle était morte, ce soir-là, avant de trouver refuge dans la cargaison de Pietro ?
Le repas du soir apporta au moins une bonne nouvelle, pour eux du moins. La battue pour débusquer le loup du Bois de Styx n’avait rien donné. Pietro et Eaque étaient d’une humeur digne de Bernardo, mais Minos en fut ragaillardi. Au moins, ils n’avaient pas fait tout ça pour rien.
Le soir, ce ne fut pas la douleur dû à son coup sur la tête qui empêcha la jeune muette de s’endormir. Toujours trop de questions, il lui était impossible de trouver sommeil. Alors elle quitta son lit. Dans la cuisine, elle se servit des pierres à feu de Minos pour allumer un petit foyer et prépare, comme le lui avait expliqué madame Cardamome, un somnifère qui la fit plonger dans le royaume des rêves, rempli de plantes fantastiques.
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