Cadeau
Bientôt deux mois s’étaient écoulés depuis que Maya s’était réveillée dans la demeure des Bernardonne. Sa petite vie à Lebey poursuivait sa route, tranquille et sans plus de péripéties. Les villageois avaient échoué à débusquer le loup. Selon Minos, il était sûrement encore présent mais il se tenait à carreaux, comme il le lui avait conseillé. La muette, quant à elle, avait appris à relativiser. Elle ne découvrirait surement jamais qui elle était, mais ce n’était peut-être pas un mal. Sa petite existence sans prétention lui convenait à merveille.
Elle avait commencé à suivre l’apprentissage des plantes médicinales auprès de madame Cardamome. Tous les jours, après avoir aidé Minos avec les advouquetins, elle se rendait chez la vieille dame qui lui présentait ses trésors de la nature.
Le temps s’écoulait et s’écoulait encore. Jusqu’au jour où, en plein repas de midi, Europe évoqua une idée qui allait changer le cours de leur petite vie tranquille.
— Au fait, Maya, quand tu es allée à Leonne avec papa, tu as porté ta robe ?
La muette cligna des yeux, surprise. Elle s’était rendue en ville pour le marché hebdomadaire à trois reprises. Mais ils avaient été si occupés ces fois-là qu’elle n’avait pas eu l’occasion de quitter le stand. Pietro avait bien posé des questions à quelques clients réguliers mais personne ne se souvenait d’une Cobalte muette. Cette dernière avait vite renoncé mais il était vrai qu’elle portait alors ses habits de travail. En vérité, si Maya avait baissé les bras si vite, c’est surtout parce qu’elle avait peur de découvrir des choses déplaisantes à son sujet.
— C’est trop bête, faut essayer ! lança la jeune femme devant la réponse négative de la muette.
— C’est vrai qu’on n’a pas eu beaucoup de temps pour investiguer les fois où tu es venue, intervint Pietro. Vous n’aurez qu’à vous balader avec la robe en ville, peut-être que la mémoire te reviendra ?
— Oh, oui, on va avestiger !
La remarque de Minos fit rire la petite famille, à l’exception de Bernardo qui jetait un regard mauvais sur Maya. Le vieillard n’acceptait toujours pas sa présence sous le même toit. Mais il devait aussi avoir remarqué que la jeune fille n’était pas des plus à l’aise à l’idée de découvrir quelque chose.
Il fut donc convenu que Maya et Minos prendraient part au convoi pour Leonne le lendemain. Andromaque les accompagnerait aussi car elle tenait absolument à exposer sur le stand de son père les différentes fiches qu’elle avait préparées. Sur celles-ci, elle listait toutes les caractéristiques de ses chevaux. Elle comptait s’en servir pour donner aux clients envie d’acheter un de ses animaux.
En fin d’après-midi, la muette se rendit chez madame Cardamome qui lui montra comment se servir des gousses de roseau Salut, celles qui ressemblaient à des mains, pour fabriquer une crème contre les brûlures. Mais l’adolescente était distraite, cette fois-ci.
— Il y a quelque chose qui ne va pas ? lui demanda-t-elle.
Sortie de ses pensées, Maya hésita puis attrapa son stylet et son parchemin. Pour dire ce qu’elle avait sur le cœur, de simples gestes ne suffiraient pas. Elle pouvait faire confiance à madame Cardamome pour lui partager plusieurs petites choses. Aussi lui fit-elle part de ses craintes.
— Je vois… Tu te plais bien à Lebey, et tu as bien raison ! J’ignore si tu découvriras quelque chose mais… Même si ça devait arriver, tu aurais encore le choix après d’en faire ce que tu veux ! Et si ça peut te rassurer, je suis persuadée que tu ne découvriras rien de mauvais sur toi. Tu as peut-être perdu la mémoire, mais tu es une gentille fille !
Elle fit un sourire à Maya et celle-ci le lui rendit. Elle avait surtout peur d’être une esclave. Elle avait appris à force de question auprès d’Europe que ces derniers étaient considérés comme des objets et que les propriétaires avaient droit de vie ou de mort sur eux, mais aussi que les esclaves en fuite risquaient les pires punitions, la mort étant sûrement la plus douce de toutes. Bernardo prenait un malin plaisir à proposer cette piste de temps en temps.
— Tu ne viendras donc pas demain, devina la vieille dame. Vous rentrerez sûrement bien tard de la ville. Dans ce cas, je vais te l’offrir maintenant !
Maya fronça les sourcils. De quoi parlait-elle ? La vieille dame s’était retournée pour appeler Sisymbre. L’Eydolon arriva très vite avec une caisse en bois entre les mains. Il la déposa sur la table du salon, devant une Maya interdite.
— C’est une caisse à pharmacie, expliqua madame Cardamome. J’ai déjà mis quelques échantillons que tu reconnaitras. Je t’ai appris tout ce que je pouvais avec les plantes du coin, mais j’ai aussi mis dedans un vieux guide de botanique sur les plantes de Safranie. C’est un cadeau pour te remercier. Ta présence était un plaisir ici !
Si Maya n’avait pas été muette, elle n’aurait tout de même pas su quoi dire. L’attention de la vieille dame la touchait en plein cœur. Elle alla la serrer contre son corps et madame Cardamome lui rendit son étreinte avec joie. L’adolescente se promit ce jour-là de revenir quand même les fois suivantes. Même si elle n’avait plus rien à apprendre, elle pouvait quand même l’aider à jardiner.
De retour chez les Bernardonne, elle alla vite ranger son cadeau dans la chambre des filles avant de retourner aider la petite famille. Ils avaient apprêté deux domrochs pour demain à une charrette que Maya connaissait bien. Il était maintenant question de remplir l’arrière de toutes les denrées produites par la ferme cette dernière semaine : confitures, charcuteries, produits laitiers, laine, cuir, etc. Une fois fait, on partit vite souper. Il ne fut pas question de se distraire pour ceux qui partaient le lendemain. Afin d’arriver assez tôt à Leonne, Pietro viendrait les réveiller alors qu’il ferait encore nuit. Il était donc déconseillé de manquer plus de temps de sommeil que nécessaire.
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