Marché de Leonne
Le voyage jusque Leonne avait été très calme et plongé dans la torpeur. Pietro et Andromaque avaient pris place à l’avant de la charrette, laissant les deux éternels compères parmi le chargement. En l’absence de conversation, Maya comme Minos s’étaient rendormis. Lorsque la muette se réveilla, elle eut tout de même la désagréable surprise de découvrir que la pomme que Clarisse lui avait laissée pour le trajet avait mystérieusement été remplacée par un trognon. Le petit berger feignit l’ignorance mais ne laissa pas dupe son amie. Cependant, ils venaient d’arriver et il n’était plus l’heure de se fâcher.
Il était encore très tôt mais, déjà, la ville débordait d’agitation. De nombreux marchands et producteurs venus de toute la région comptaient sur le marché du samedi. Les charrettes étaient de toutes les tailles, parfois tirées par d’autres animaux, comme de grands chevaux de traits, semblables à ceux qu’Andromaque élevait.
L'échoppe de Pietro Bernardonne était idéalement placée dans le quartier ouest de la ville. Heureusement, les rues dans lesquelles se déroulait le marché hebdomadaire étaient très larges et permettaient facilement de se croiser, quitte à devoir un peu manœuvrer. En chemin, Pietro salua le conducteur d’une carriole tractée par des grands porcs dont les défenses avaient été sciées. Minos apprit discrètement à Maya qu’il s’agissait d’un de leur voisin, le fameux Mr Eburio que Rhadamanthe aidait en secret.
Enfin arrivés sur place, ils déchargèrent les nombreuses caisses de produits de la ferme. De leur position, ils apercevaient la Cathédrale qui les toisait, hautaine, richement décorée de toutes parts. Selon Pietro, il s’agissait du seul édifice de Safranie à pouvoir rivaliser avec le palais de l’Impératrice. Il les laissa disposer les victuailles de manière à attirer les clients tandis qu’il retournait garer la charrette en bordure de la ville.
Alors que Maya et Minos installaient la marchandises, Andromaque attrapa la caisse qu’ils avaient pris soin de cacher parmi le reste. Elle l’installa en sécurité derrière eux et l’ouvrit. Tandis qu’elle enfilait sa robe à l’abri des curieux, le regard de Maya fut attiré par les pièces de cuivre et d’argent. En Safranie, les Mercurules représentaient la plus petite valeur. Il en fallait vingt pour atteindre l’Arsène. Jusqu’à présent, Maya n’avait croisé que ces deux types de pièce de monnaie. Europe lui avait cependant appris qu’il existait aussi l’Occyan et le Riciniers. La première était aussi en argent, mais valait 25 Arsènes. L’autre, enfin, était frappée d’or et représentait 20 Occyan, soit 500 Arsène. Seuls les plus riches pouvaient se vanter d’en posséder.
La matinée fut très chargée. Incapable de répondre aux clients, Maya laissait toujours Minos communiquer et donner les prix, mais elle l’aidait en lui écrivant le résultat des additions. Pietro s’occupait de la majorité des clients, secondé à merveille par Andromaque. Du moins jusqu’à ce qu’un client ne se montre intéressé par les chevaux qu’elle vendait après avoir consulté le carnet qu’elle avait laissé à vue sur le comptoir. Elle était prompte à présenter les qualités de ses animaux et parla un long moment avec l’homme, n’hésitant pas à donner les détails les plus superflus.
Finalement, la matinée arriva à son terme. Ils se relayèrent pour manger des tartines remplies avec les invendus. Maya était déjà exténuée à force de bouger dans tous les sens. Ils avaient vendu environ les trois quarts de ce qu’ils avaient emporté. Selon les affirmations de Pietro, la journée se déroulait à merveille pour les finances de la famille. Il n’avait plus besoin d’eux.
— Allez donc vous promener, proposa-t-il. C’est pour ça que Maya est venue, après tout. Peut-être que la mémoire lui reviendra en voyant des endroits qu’elle connaissait ?
— Oh oui ! s’écria Minos, excité par l’idée de visiter la ville. On va faire le tour de lionne !
— Leonne, Minos, le corrigea Andromaque. Je peux te laisser le carnet des chevaux, papa ?
— Bien sûr, répondit son père en peinant à cacher son indifférence.
— Et, heu, est-ce qu’on peut avoir de quoi acheter du porchenain ? demanda Minos en voyant que Maya lui montrait le sien, complètement recouvert de son écriture et de graffitis.
— C’est vrai que s’il vous en manque, ça risque de compliquer la communication. Bien, je vais vous donner cinq Arsènes, ça devrait suffire pour quelques pages.
— Tant qu’on y est, je me demandais si…, commença Andromaque d’un air faussement innocent, rougissant un peu.
— C’est bon, j’ai compris, rit son père en lui confiant aussi cinq pièces d’argent de sa bourse.
— Merci papa ! s’écria-t-elle en lui sautant au cou avant de lui faire une bise sur la joue.
— Allez, profitez bien ! Et revenez ici pour le souper !
Ses enfants n’attendirent pas plus longtemps. Ils sortirent en trombe de derrière le comptoir et s’aventurèrent un peu plus loin dans la rue. Maya les suivit avec une certaine appréhension. Elle pensait qu’Andromaque resterait avec eux, mais celle-ci leur indiqua une boutique de parchemin avant de les abandonner en plein milieu de la rue. De nouveau à deux, son angoisse montait à chaque pas. Si quelqu’un venait à la reconnaitre, que se passerait-il ?

Annotations
Versions