Crieur public

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 Ils arrivèrent sur une large place, dominée par un grand dôme au-devant duquel se trouvait un escalier de marbre blanc. On y trouvait diverses statues. En les observant, Maya les trouva horribles. Chaque visage sculpté dans la pierre représentait une expression malade, mourante, criante d’un réalisme angoissant. On aurait dit une succession de condamnés, figés à jamais dans leur dernier soupir. Tout comme elle, Minos les dévisageait avec dégoût. Rapidement, il préféra attirer l’attention sur le dôme.

 « Le Cancrelat », comme le désigna Minos, était le centre administratif de Leonne, ainsi que la demeure du Consul de la ville. Maya s’étonnait que Minos en sache autant sur le sujet, malgré l’utilisation de mots approximatifs. D’après ce que disait l’enfant, son père parlait souvent du consul comme d’un homme qui faisait beaucoup la fête. Heureusement, il était aussi bon et aimé des citoyens. Maya observa longuement le bâtiment, soucieuse. Elle était persuadée de ne l’avoir jamais vu. Mais était-ce une mauvaise ou une bonne nouvelle ?

 Entre un bistrot et une boutique de tailleur les attendait le magasin de parchemin indiqué par Andromaque. Il y en avait de toutes les matières, des peaux d’animaux aux végétaux traités, mais aussi des tablettes de cire ou en pierre. Le souci, c’est que tout lui paraissait horriblement cher. Le plus onéreux de tous les articles étant un parchemin sur lequel avaient déjà été tracées d’étranges symboles… Il coutait une trentaine d’Occyans et la muette avait du mal à se figurer pourquoi.

 Après un long moment de prospection, ils prirent trois feuilles de parchemin standard. Elle n’avait pas besoin de plus. Leur achat leur revint tout de même à quatre Arsènes et huit Mercurules. Le vendeur leur rendit la monnaie sans même les remercier. Un peu dépité de voir leurs ressources si vite dépouillées, Minos pointa du doigt la Cathédrale toute proche.

 Le gigantesque édifice était sûrement celui qui intriguait le plus Maya. Elle se disait que s’il y avait bien un endroit qui pouvait l’avoir marquée, c’était bien la maison des dieux. Europe, encore elle, lui avait exposé en quelques mots la religion de la Terre des Murmures. Le Culte de Lithé et Meroclet dominait le monde. Il avait marqué l’histoire des différents pays et rares étaient ceux qui osaient ne pas croire en l’Architecte et le Bâtisseur. Tout était encore un peu vague à ce sujet et beaucoup de notions échappaient encore à la muette. Mais elle avait bien compris à quel point ce fameux Culte influençait le quotidien de chacun.

 La grande place de la Cathédrale était aussi la seule exempte de boutiques. Seules de grandes et riches demeures délimitaient le périmètre. S’il s’agissait sûrement des maisons des nobles de la ville, elles faisaient bien pâle figure à côté de la Cathédrale. Ses treize clochers s’élevaient haut dans le ciel. Aux fenêtres, les gigantesques vitraux multicolores contaient des histoires du Culte. Il y avait aussi d’innombrables sculptures gravées dans la pierre des fondations. Fascinée devant un tel ouvrage, la muette regretta de ne pas avoir posé plus de question aux Bernardonne au sujet de ce Culte. Mais après en avoir fait deux fois le tour, elle soupira. Il fallait bien se rendre à l’évidence. La Cathédrale était une impasse et ne lui rappelait absolument rien.

 Elle allait retourner vers Minos, dont l’attention avait été captée par quelques artistes de rue, quand elle remarqua deux statues de part et d’autre des portes du bâtiment. La première représentait un homme avec les mains écartées, les yeux fermés comme très concentré, vêtu d’une étrange tunique. En se rapprochant, Maya remarqua que son visage mêlait des traits masculins et d’autres féminins. De même, sa main gauche semblait plus douce et plus frêle que la droite. L’autre statue, par contre, représentait clairement un homme, le dos légèrement voûté et la main droite dressée perpendiculairement au coin de sa bouche, comme pour chuchoter quelque chose à quelqu’un. Il exposait un très large sourire, mais ses yeux étaient cachés par un drôle chapeau trop large pour sa tête. Maya les observa tous les deux longuement, presque hypnotisée, avant qu’un bruit de tambour ne la sorte de sa contemplation.

 Non loin d’elle, un homme tapait avec ses baguettes contre son instrument. Maya n’était pas la seule à le regarder, car une petite foule commençait à se rassembler tout autour. Surprise, l’adolescente rejoignit Minos qui lui confia qu’il devait s’agir d’un « crieur cubique ». Voyant son auditoire, l’individu cessa son appel, attrapa un parchemin, s’éclaircit la voix et commença :

 — Oyez, oyez ! Par la présente, l’Empire de sa Majesté l’Impératrice Lucrèce IV réitère son appel aux armes. Tous citoyens âgés de plus de quinze ans est invité à présenter sa candidature pour la Garde de la ville, l’Armée impériale ou la Flotte de l’Empire au Consulat de Leonne s’il désire participer à rendre l’Empire toujours plus sûr et garantir la sécurité à ses concitoyens. Une somme de 10 Occyans sera versée à la famille de tous candidats désireux de servir l’Empire. Toute information supplémentaire peut-être réclamée au Consulat.

 Il s’interrompit et observa la foule, qui restait silencieuse, presque blasée. Certaines personnes chuchotèrent une réflexion à leur voisin, déclenchant soupir ou hilarité. Après quelques secondes, il reporta son regard sur son parchemin.

 — Vous serez aussi heureux d’apprendre que son Excellence l’Inquisiteur Pontus Arnoldson est enfin sorti de sa convalescence. Les prières de tous les Safraniens ont été entendues ! Nous lui souhaitons un bon rétablissement et avons hâte de leur revoir aux cérémonies du Culte.

 Autour de Maya et Minos, beaucoup déglutirent. Des visages s’étaient tendus à l’annonce du Crieur public. Qui que soit cet homme, cela ne semblait pas réjouir tout le monde.

 — Les révoltes de la région de la Denvée, en Denimope, sont maintenant terminées, poursuivit l’homme. Sa Sainteté Botticeli a capturé le chef des rebelles, l’ancien capitaine de la garde, Andréas Charrette. Ce dernier a été exécuté par le Seigneur Alfgar de Rincoth, ce qui met un terme aux horreurs de ces dernières semaines. Que cela serve de leçon à toute personne qui aurait l’idée saugrenue de perturber l’ordre et la paix de nos pays.

 Le ton neutre avec lequel il avait parlé jusqu’ici avait fait place à un timbre de voix plus dur, menaçant même. Quelles que soient les révoltes de la Denvée, l’homme mettait en garde quiconque l’écoutait de ne pas les reproduire.

 — Mgr Luther, notre Évêque, rappelle que l’office en hommage à Ste Myrte sera célébré dans deux jours, dans la Cathédrale, reprit-il, plus réservé. La célébration suivante, qui remémorera l’épisode du Tsunami de Portbleurt, sera célébrée dans trois semaines, ici même sur la place.

 — Viens, on s’en va, dit soudain Minos en tirant sur le bras de Maya. Il va dire des trucs ennuyeux, c’est nul.

 La jeune fille se mordit la lèvre inférieure. Elle avait envie de rester sur place pour écouter la suite mais le petit garçon avait plutôt l’air de s’ennuyer. Elle hésita, adressant un dernier regard à l’homme qui continuait de lire derrière son parchemin, puis suivit Minos.

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