Automates
Maya suivait Minos tout en cachant un inavouable soulagement. Elle n’avait rien appris de plus sur son passé. Rien de bon, mais surtout rien de mauvais. De plus, elle allait pouvoir continuer à vivre à Lebey, en compagnie des Bernardonne. Et ça, ça n’avait pas de prix.
Ce qui en avait, par contre, c’était toutes les friandises exposées sur les différents étals et qui faisaient tant l’œil à Minos. Par trois fois il recompta les maigres Mercurules qui leur restait et soupira. Comme il ne pouvait satisfaire ses papilles, il laissa son regard vagabonder ailleurs. C’est là qu’il retrouva les drôles de porcins aux défenses sciées qu’ils avaient vus plus tôt. Aussitôt, il s’en approcha avec la ferme attention de les caresser.
— Hey là, c’est y pas le cadet Bernardonne ? s’exclama le vendeur à l’étal. Et vous, la d’moiselle qu’il a recueillie, non ? Rhadamanthe m’a parlé de vous !
— Bonjour Mr Eburio ! répondit poliment Minos tandis qu’il montrait son affection au porc.
Leur voisin révolutionnaire de Lebey ne ressemblait à personne ici. Il avait des cheveux roux très longs ainsi qu’une foisonnante moustache tressée. Il était torse nu, seules des bretelles qui remontaient depuis ses braies cachaient une partie de son impressionnante musculature. Il rit à voir ses bêtes offrir des léchouilles au berger puis attarda son attention quelques instants sur Maya, comme s’il la jaugeait. Un peu mal à l’aise, celle-ci le fuit du regard, apercevant une petite foule qui s’agglutinait plus loin.
— S’ils te plaisent tant, je peux peut-être vendre une portée à Pietro, gamin !
— Je sais, j’ai déjà demandé ! Mais papa veut pas, il dit qu’on a ce qu’il faut…
— Ah, c’est qu’il ne s’en est jamais servi pour labourer ! Chez moi, en Cyanide, c’est à ça qu’ils servent en priorité. Et aux festins, aussi !
Cette mention arracha une grimace au garçon qui se releva précipitamment. Ils parlèrent encore quelques minutes sans que Maya ne les écoute. De la musique s’élevait depuis le petit rassemblement de quidams qui laissait s’échapper de grands cris enthousiastes. La curiosité la piquait. Il ne s’élevait pourtant de là-bas qu’une répétition de quelques notes basiques, pas de quoi enflammer les foules. A moins qu’il n’y ait autre chose ?
Lorsque Minos et Mr Eburio finirent de parler, Maya indiqua le groupe et le petit garçon acquiesça. Lui aussi paraissait intrigué. Ils jouèrent de leur petite taille et des coudes pour se frayer un chemin et rejoindre d’autres jeunes de tous âges qui s’étaient installés au-devant. Le spectacle leur coupa le souffle.
L’être qui jouait de la musique n’était pas fait de chair ni de sang, mais bien de métal. Il avait une vague forme humaine mais de nombreux tuyaux lui sortaient de toutes part, laissant s’échapper de la vapeur d’eau. L’automate jouait de la flute en répétant toujours les mêmes mouvements dans une boucle infinie. Pendant ce temps, devant lui, quatre araignées de métal, aussi grosses que des régusans, avançaient machinalement, dans des gestes très saccadés. Elles ne faisaient pas grand-chose d’autre que déambuler. Ça n'en restait pas moins un spectacle inédit pour tous les spectateurs, petits et grands.
Leur concepteur, bras croisés, regardait ses machines avec fierté. Il portait de riches vêtements, mais ceux-ci étaient couverts de diverses taches. Lorsque les automates s’arrêtèrent, cessant de cracher des panaches de vapeur, il se plaça devant et salua humblement un public en folie. Quelques enfants, tous habillés de la même façon, se précipitèrent devant pour lui parler tandis que le gros de la foule repartait en discutant du prodige auquel ils venaient d’assister. Minos, qui avait gardé la bouche jusque par terre tout du long, s’approcha d’une des araignées et, après quelques hésitations, passa sa main dessus. Il la retira aussitôt et se tourna vers Maya.
— T’as vu ça ? Ça bouge tout seul ! C’est magique, ou bien hanté, tu crois ?
Maya n’eut pas le temps de faire un geste en réponse. Un homme les bouscula tous les deux en passant devant eux pour se saisir de l’automate qu’ils admiraient. Sans plus attendre, il prit la poudre d’escampette.
— Hey ! s’écria le concepteur avec effroi. Arrêtez-le !
Minos ronchonna avec mauvaise humeur en se relevant. Jetant un coup d’œil vers le voleur, il le vit arriver au niveau du stand de Mr Eburio. Ni une ni deux, il réclama l’aide des porcs balayettes qui chargèrent le malandrin. Surpris, celui-ci tomba à terre. Il se releva vite mais, comme le concepteur arrivait à son niveau, il abandonna son butin à son propriétaire et disparut dans une ruelle adjacente.
— Bravo ! s’écria Minos en courant pour caresser les porcs, Maya sur les talons.
— Par les milles pattes de Scolèra, maugréa Mr Eburio en sortant de son étal.
— Merci monsieur, s’écria le concepteur en lui attrapant la main pour la serrer frénétiquement. Vous n’avez pas idée du temps que j’ai passé sur ces automates, je …
— Hola, hola, calmez-vous ! C’est peut-être mes porcs, mais je pense que s’ils ont bougé, c’est à cause de ce p’tiot, là.
Il désigna Minos, qui câlinait les animaux. Celui-ci se releva, les bras derrière le dos d’un air un peu gêné. Le voir ainsi fit sourire Maya. On aurait dit qu’il ne savait pas s’il allait être puni ou récompensé. Le concepteur se rapprocha et lui ébouriffa affectueusement les cheveux tout en maintenant son araignée de métal avec son autre bras.
— Merci, bonhomme ! Tu es un Dompteur, alors ?
— Oui, monsieur.
— Je ne t’ai jamais vu avant. Tu vas au Prieuré ?
— Non, j’accompagne papa pour le marché avec ma sœur et mon amie !
— Oh d’accord ! Hum, dis-moi, bonhomme, vous ne m’aideriez pas à transporter mes automates en lieu sûr, toi et ta copine ? Mes petits assistants sont déjà partis en m’oubliant… Je vous promets une petite récompense à la clé.
— Vraiment ? On va vous aider ! Pas vrai, Maya ?
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