Révélations
D’abord interdite, Maya finit par opiner du chef. Elle n’avait aucune raison de trouver cet homme suspect. Pourtant, elle avait eu comme un mauvais présentiment au moment où il leur avait proposé de l’accompagner. Mais comme les enfants de la ville semblaient le connaitre, et même l’apprécier, la muette balaya ses soupçons pour donner un coup de main à l’ingénieur.
Celui-ci récupéra lui-même son automate joueur de flute, laissant Maya et Minos transporter les araignées. Maya s’était attendue à ce qu’elles pèsent leur poids, mais elles étaient étonnamment légères. Le concepteur les guida jusqu'au Prieuré de Leonne, qui n’était pas bien loin, dans la cour duquel ils déposèrent les automates. Il héla ensuite un surveillant qui lui répondit d’un signe de bras. Puis il se tourna vers le petit berger et la jeune muette en soupirant sous l’effort.
— Pfiou ! Bon, je vous avais promis une récompense, non ? Vous me suivez ?
Ils entrèrent dans le réfectoire du Prieuré où le concepteur leur proposa de s’asseoir à une tables. Il s’absenta quelques secondes avant de revenir avec trois pommes caramélisées sur un bâton. Il en donna une à chacun et jeta un air gourmand vers celle qui lui restait. Minos ne se fit pas prier et entama sa friandise tandis que Maya, un peu gênée, secouait la tête vers l’inconnu pour le remercier. Ce faisant, elle remarqua au mur un portrait déchiré en deux. Il représentait la cour qu’ils venaient de quitter, avec jeune femme rousse en toge fauve qui souriait, tenant une main dont le propriétaire avait disparu. Maya n’aurait su dire quoi, mais elle avait quelque chose de familier dans le regard.
— Au fait, s’exclama l’homme après avoir mordu à belles dents dans sa pomme. Comment s’appellent le sauveur de mes petits bijoux et sa copine ?
— Moi, c’est Minos ! Minos Bernardonne ! Et elle, c’est Maya, mais elle peut pas parler, elle est muette.
— Oh ! Je pensais que vous étiez juste timide… Enfin, peu importe.
— Et vous monchieur ? demanda Minos en machant. Ch’est quoi vot’ nom
— Je m’appelle Héron. Héron Brecht.
Son regard se dirigea vers l’une des fenêtres donnant sur la cour. Il soupira et continua la sucrerie. Maya, qui n’avait pas encore mordu dedans, s’y attela à son tour. Elle ne fut pas étonnée de constater que Minos avait déjà presque terminé la sienne.
— C’est agréable de revenir ici, lança Héron, presque pour lui-même. J’ai passé des années au Prieuré, dans ma jeunesse…
— Ah, vous ne travaillez pas ichi ?
— Non, mais ils ont conservé le petit atelier qui était à ma disposition autrefois. C’est de là que j’ai ressorti les petites merveilles que j’ai exposées tout à l’heure. Les enfants voulaient voir comment ça fonctionnait, ils me les ont amenées pendant que je visitais le marché. Même si ce sont de très vieux modèles, j’y tiens beaucoup. Ils ont une valeur sentimentale, dirons-nous.
Maya eut un faible sourire, abandonnant l'espace d'un instant sa dégustation, tandis que Minos léchait minutieusement son bâton. La jeune fille comprenait ce que ressentait Héron. Les petits automates qu’ils avaient vus étaient comme ces créations d’enfant, pas encore optimisées ni parfaites, mais qu’on gardait avec mélancolie, toujours aussi fier qu’à l’époque où on les avait fabriquées. Seulement, si ceux qu’ils avaient vus étaient vraiment obsolètes, de quoi cet homme était-il capable aujourd’hui ?
— Vous êtes un savant, alors ? questionna le berger.
— Spécialiste des machines à vapeur, confirma Héron avec un sourire. Mon mécène est quelqu’un de très important et j’ai une équipe à Lucrèce qui m’aide à réaliser mes créations. Cependant, j’ai aussi eu la chance de beaucoup voyager et j’ai pu apprendre beaucoup de choses sur les technologies étrangères.
— Et c’est qui, votre tésène ?
— Son Excellence, l’Inquisiteur de Safranie et Père Pontus Arnoldson.
Son visage avait perdu toute trace d’enthousiasme. Il semblait désormais plus sombre, teinté d’une certaine tristesse. Maya, quant à elle, avait l’impression d’avoir reçu un coup de poing dans l’estomac, sans vraiment comprendre pourquoi. Ce nom, elle l’avait déjà entendu un peu plus tôt, lors des annonces du crieur public. Elle n’avait eu aucune réaction. Alors pourquoi en était-il autrement cette fois-ci ?
— Avant de devenir Inquisiteur, c’est aussi le fondateur de ce Prieuré. Lui et Mère Pétronille étaient plus que des éducateurs pour les orphelins, même pour les jeunes qui, comme moi, leur étaient confiés. Ils savaient mieux que quiconque ce que vivaient les orphelins à Leonne. Eux-mêmes y avaient survécu avant d’être sauvés par le Père Supérieur d’Arela. Plus que n’importe quel autre Cultiste, ils méritaient le titre de Père et Mère. Ils m’ont tout appris, de la lecture aux mathématiques. Ils ont nourri ma curiosité pour les sciences. Je leur dois tout.
Soudain, il plaqua une main aux doigts crispés contre sa face. Tout son corps semblait pris de légers tremblements, presque des spasmes, et la muette était persuadée de l’avoir vu verser une larme. Mais au lieu de s’inquiéter pour lui, l’angoisse la paralysait sur place. Elle ne remarqua pas Minos, bien loin de se rendre compte de leur état, lui subtiliser sa pomme.
— Tout a basculé lorsque ce maudit incendie s’est déclaré, reprit-il avec un soupçon de rage dans la voix. Mère Pétronille… Mère Pétronille est morte et le Père Arnoldson, blessé gravement, n’a plus jamais été le même… Je regrette tellement…
Il poussa un souffle entre désespoir et fatigue. Il avait la respiration saccadée, offrant un spectacle peu rassurant si bien que même Minos s’était arrêté de dévorer la pomme de Maya. Ils restèrent ainsi sans bouger pendant quelques secondes qui leur parurent des heures avant qu’il ne finisse par se ressaisir.
— J’ai une énorme dette envers le Père Arnoldson. Je me suis juré de lui vouer mon existence. C’est pour lui que j’ai fait tous ses voyages. En tant qu’Inquisiteur, il s’est lancé dans la recherche de différentes Reliques du Culte pour son grand projet. Et après vingt ans, nous touchions au but.
Il les fit tous deux sursauter lorsqu’il frappa de son poing avec rage contre la table.
— Mais voilà, son rituel s’est mal passé… Il a été plongé dans le coma pendant deux mois et une de ses sacrifices est parvenue à s’enfuir ! Tout est à refaire !
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