Discret départ
Alors qu’ils étaient enfin de retour à Lebey, Maya réveilla doucement le petit berger. Ensemble, ils déchargèrent rapidement le véhicule du peu que Pietro n’avait pas vendu. Ce dernier attrapa ensuite les rênes des domrochs et envoya la jeunesse se coucher pendant qu’il ramenait les bovins à l’étable.
Andromaque mena la marche dans les escaliers d’un pas lent pour éviter de les faire grincer. Arrivée au pallier, la sœur de Minos s’engouffra dans sa chambre sans plus de cérémonie, laissant les deux autres derrière elle. Maya hésita un instant. Elle n’avait qu’une hâte, partir d’ici pour leur éviter tout danger. Mais si elle ne la voyait pas la suivre, Andromaque s’inquièterait peut-être ? Un contact dans son dos la fit sursauter et sortir de ses réflexions.
— Ça va ? lui chuchota Minos avec inquiétude.
Maya répondit en hochant la tête. Elle était bien contente qu’il fasse si sombre en cet instant. Ainsi, Minos ne pouvait voir la mine affreuse qu’elle devait afficher. Malgré tout, son ami resta immobile. Il finit par lui faire signe de se rapprocher afin de lui susurrer quelque chose.
— On devrait dormir maintenant. On réchéflira demain pour… tu sais…
Maya déglutit. Même lorsqu’il s’inquiétait pour le loup, Minos n’avait jamais eu l’air aussi soucieux. Elle fit un pas en arrière et, les poings serrés, hocha à nouveau la tête. Le petit berger lui adressa un dernier salut puis poursuivit son chemin. Maya resta encore un instant dans l’encadrement de la porte. Comme elle entendait Pietro qui revenait, elle se décida enfin à rejoindre les filles.
Elle ne se déshabilla pas et se coucha immédiatement. Elle entendait les ronflements légers d’Eurydice et Europe, mais Andromaque en était encore à se retourner pour trouver une position confortable. Maya resta à l’affût du moindre son venu perturber le calme de la maison endormie, réfléchissant plus que jamais.
Elle s’était attachée au Bernardonne. Ils lui avaient offert un toit, de la nourriture, ainsi qu’un soutien moral sans lequel elle serait peut-être devenue folle. Excepté le vieux Bernardo, tous l’avaient traitée comme un membre de leur famille. Sûrement n’aurait-elle vu aucun inconvénient à rester avec eux encore un moment, des mois, voire des années, quitte à ignorer ses propres origines. Hélas...
Avec les révélations d’Héron, elle se savait poursuivie par un homme puissant. Elle ne savait pas encore à quel point elle était en danger, mais elle ne voulait surtout pas embarquer cette famille dans cette galère qu’ils n’avaient pas méritée. Leur seule faute avait été de l’accueillir parmi eux. C’est pourquoi elle était décidée à partir cette nuit même. Elle devait juste attendre qu’Andromaque soit bien endormie pour sortir de la chambre sans éveiller de soupçons. Ils remarqueraient son absence au matin, certes, mais elle serait déjà loin.
Minos, surtout, la hantait. Il avait été sa principale compagnie, l’accompagnant partout. Le petit berger était prêt à tout pour l’aider. Il le lui avait déjà bien fait comprendre. Peut-être était-il, lui aussi, à la recherche d’une solution miracle ? Mais Maya devait le laisser derrière elle, lui aussi. C’était dans cette ferme qu’était sa place. Pourtant, elle avait peur de l’abandonner, de lui faire de la peine.
Enfin, elle entendit le léger ronflement d’Andromaque. Elle patienta encore quelques minutes afin de s’assurer que la meneuse de chevaux dormait bien. Puis elle sortit de sa paillasse le plus silencieusement possible. Elle attrapa deux tenues de travail que la famille lui avait prêtées, un peu honteuse de les garder. Si elle était recherchée, elle ne passerait pas inaperçue avec sa robe. L’adolescente descendit lentement les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée. Là-bas, dans la cuisine, elle récupéra aussi un petit sac de jute, celui-là même que Minos avait pris avec lui dans le Bois de Styx. Ses pierres à feu s’y trouvaient encore. Enfin, elle récupéra sa caisse à pharmacie. Grâce à ses sangles, elle pouvait la porter dans son dos sans en éprouver trop de gêne.
Dehors, la lune était bien visible, mais l’obscurité semblait déjà faiblir. Maya observa l’horizon, perplexe. Elle n’avait aucune idée de la direction à prendre. Elle finit par choisir de passer par le Bois de Styx. Là-bas, elle serait cachée des habitants du village. Elle finirait par trouver un cours d’eau et le suivrait en faisant attention de ne pas trop se rapprocher des villes.
Tout d'abord, elle s’arrêta au verger afin de récupérer quelques fruits. La jeune fille passa là où elle avait gardé les advouquetins avec Minos pour la première fois. Elle soupira, se mordant la lèvre. Elle n’avait vraiment aucune envie de partir. Mais il le fallait. Pour leur sécurité. La muette poursuivit son chemin avant d’arriver près du Bois. Si Maya l’avait déjà bravé de nuit, aujourd’hui elle était seule. Respirant un grand coup pour se donner courage, l’adolescente pénétra sous la cime des arbres. C’était à peine si elle voyait ce qu’il y avait en face d’elle. Priant pour ne pas se prendre une branche comme la dernière fois, elle commença sa route, droit devant elle, d’un pas lent et sans se précipiter.
Sa marche se poursuivit à ce rythme pendant un long moment. Elle écartait les branches et ne s’interrompait que lorsqu’elle pensait percevoir du mouvement. L’obscurité persistante du Bois de Styx l’oppressait. Elle sentait l’angoisse s’insuffler dans ses veines, comme un poison mortel. Finalement, un peu découragée, extenuée, elle fit une pause et se laissa tomber contre un arbre. Elle respirait de manière saccadée. Après quelques minutes à rester là, immobile, elle aperçut les premiers rayons du soleil braver les feuillages. Elle regarda derrière elle. Impossible de retrouver par où elle était entrée. Maintenant, elle ne pouvait plus faire marche arrière. Elle eut un rire nerveux avant de s’abandonner à la fatigue et au stress.

Annotations
Versions