Sauvetage ?
Dans les bois de Styx, Maya tenait toujours compagnie aux brigands. Loin d’être hostiles, ils n’en restaient pas moins exaspérants. Chacun de ses gestes était détourné de ses sens, notamment par Kelvin. Ce dernier déblatérait de tels baratin que la situation avait au moins le mérite d’être amusante.
Au cours de la préparation du repas, Maya eut l’occasion d’apprendre quelques autres prénoms. Les deux frères qui l’avaient trouvée, par exemple, s’appelaient Gram’ et Tonne. Tous venaient de Lebey ou Monça, le village voisin. Sauf Kelvin, qui prétendait garder le secret pour ne pas que son village subisse les répercussions de ses prétendus méfaits.
Toutes les discussions tournaient autour de lui. Si Maya y voyait un pitre, les autres bandits lui vouaient une admiration sans faille. De ce que l’adolescente comprit, c’était lui qui leur avait appris à se battre, à confectionner leurs outils, ou à construire leurs cabanes, ce qui expliquait peut-être pourquoi elles penchaient tant… Kelvin leur avait aussi conté de nombreuses histoires dont il était le héros et auxquelles ils croyaient dur comme fer. Ils en réclamèrent d’ailleurs une que leur chef s’exalta à narrer. Il aurait, selon lui, vaincu trente membres de la Garde Impériale à lui tout seul. Indulgent, il les aurait épargnés, à condition que des trésors lui soient livrés. Tout au long de son récit, Maya dut se forcer à ne pas rire. Elle se demandait d’ailleurs s’il ne l’improvisait pas sur le moment-même. Les regards niais de ses camarades en étaient d’autant plus comiques.
Finalement, lorsque Pascal s’écria « Dégustation ! », chacun se leva et fit la file devant la marmite. Lui et Ampère leur servirent des bols de bouillon de légumes dont la consistance ressemblait plus à de la purée. De retour sur les souches, on commença à manger avec appétit et, surtout, beaucoup de bruit. Maya pouffa de rire et les imita à sa façon, c’est-à-dire plus discrètement. Le plat n’était pas spécialement bon, mais elle s’était attendue à pire.
Elle avait presque terminé quand elle entendit des cris. Comme les bandits se levaient pour mieux voir derrière elle, la jeune muette tourna à son tour la tête. Le vieillard et celui au bonnet, partis plus tôt, revenaient vers eux, paniqués. Ils trainaient comme ils le pouvaient deux grandes masses informes au sol. Ce n’est qu’en se levant que Maya comprit qu’il s’agissait de deux corps humains inanimés et couverts de sang. On se précipita vers eux, sauf Kelvin qui restait interdit, abasourdi, de plus en plus pâle, à côté de Maya. Se mordant la lèvre, la muette ne savait pas comment réagir. C’est un tout autre évènement qui la sauva de son embarras.
De nouveaux cris retentirent de l’autre côté. Un hurlement belliqueux qui les fit tous deux sursauter. D’abord apeurée, Maya écarquilla les yeux en apercevant Minos courir vers eux, son bâton de berger dressé en l’air, derrière Pan qui galopait à vive allure. Kelvin en resta tout aussi stupéfait avant de se jeter sur le côté pour éviter de justesse la collision avec l’advouquetin. Mais le petit berger, pas en reste, se jeta sur lui alors qu’il était à terre et commença à lui asséner plusieurs coups de bâton. Heureusement, le baratineur se protégeait efficacement le visage avec ses bras croisés.
— Chef ! s’exclamèrent les bandits en revenant aussitôt vers eux.
— Tu … Vas… Libérer… Maya ! s’excitait le petit berger en frappant entre chaque mot.
— Mais oh, eh, du calme !
Pan se dressa sur le chemin des complices de Kelvin. Même si le vieillard et l’homme au bonnet étaient armés, aucun d’eux n’osa affronter l’animal. Aussi se contentèrent-ils de crier des encouragements. Soudain, Kelvin repoussa le berger et profita que celui-ci se rattrapait de justesse, son bâton par terre, pour se relever. Puis, de la main gauche, il attrapa l’enfant par le col et le souleva en l’air, tandis que son autre main se saisissait de la grande massue qu’il portait dans le dos. Comprenant ce qui allait arriver, Maya essaya de crier, horrifiée, et le petit berger ferma les yeux pour ne pas voir le coup partir.
Malgré sa position de force et les coups reçus, Kelvin ne frappa pas. Il resta immobile, haletant un peu, son regard passant de son arme au berger. Puis il reposa Minos par terre et lâcha son gourdin afin de poser sa main sur les épaules du garçon et le regarder durement dans les yeux. Maya poussa un soupir de soulagement tandis que les bandits retenaient leur souffle.
— Bonjour. T’es qui toi, déjà ?
— Minos, maugréa l’enfant, boudeur.
— Minos, Minos… Tu ne serais pas un gamin de Pietro ?
Tandis que le berger acquiesçait, Pan vint réclamer une caresse à Maya. Elle accéda à sa requête d’un air absent, mécontente d’avoir été retrouvée si vite. Les brigands en profitèrent pour se rapprocher. Leurs deux cadavres avaient déjà été relégués au second plan.
— Qu’est-ce que tu fais dans les bois ? Ton père nous a dit qu’il y avait un loup qui trainait, c’est dangereux pour un enfant de ton âge !
— Je suis venu libérer Maya !
— Maya ?
— C’quoi une Maya ? demanda Tonne.
Surpris, Minos baissa les épaules et perdit toute son agressivité en un instant. Il pointa ensuite un doigt en direction de la muette qui répondit par un signe de main timide.
— Aaaaah ! C’est donc ça, vot’nom ! Mais pourquoi vous l’avez pas dit plus tôt ?
— Mais… Elle peut pas ! Elle est muette !
— Ooooooh ! s’écria toute la bande en cœur.
— Mais tu n’as pas besoin de la libérer ! Elle est juste notre invitée, elle voulait me rencontrer, figure-toi !
— Hein ? C’est vrai, Maya ?
La jeune fille poussa un soupir. Elle n’était effectivement pas captive, même s’ils ne lui avaient pas laissé le choix de rester ou non. Cependant, ses retrouvailles avec Minos tombaient au plus mal. Voilà que sa fuite semblait définitivement compromise…
— Tout à fait, exactement, précisément ! Il ne faut pas lui en vouloir de ne pas t’avoir prévenu, c’est qu’on ne rencontre pas tous les jours le valeureux, le terrible bandit Kelvin !
Minos éclata de rire alors que Kelvin bombait le torse avec fierté. Même s’il ne l’avait jamais rencontré, son père lui avait déjà beaucoup parlé de cet homme. Le voir en chair et en os après avoir eu confirmation qu’il n’était pas hostile l’avait bien détendu.
— Mais du coup… C’est lui qui a tué Volt et Newton ! s’exclama Mole, le vieillard.
— Que de quoi ?
— Il les a tués !
— Suspicion !
— Holà, du calme ! intervint Kelvin. Vous l’avez bien regardé ? Il ne pourrait pas faire ça, voyons ! Même s’il frappait de toutes ses forces, vous avez bien vu que moi, je n’ai rien ! Pas vrai, gamin ?
— Bah, non… Moi je cherchais juste Maya !
— Mais du coup, c’qui ?
Chacun y alla de son hypothèse pour expliquer la mort de leurs compagnons, dont les cadavres étaient toujours par terre, sans plus de cérémonie. Pendant ce temps, Maya en profita pour rejoindre Minos et Kelvin, Pan sur les talons.
— Il faut qu’on rentre à la maison ! Papa et Maman vont s’inquiéter…
Maya déglutit. Elle s’était enfuie justement pour ne pas avoir à leur dire adieu. Maintenant, elle allait devoir lui expliquer sa décision, affronter sa réaction et résister à l’envie de rester. C’était les mettre en danger que de côtoyer cette famille dont le seul méfait avait été de l'accueillir. De plus elle ignorait comment elle allait lui exprimer tout cela, puisque personne ici ne savait lire.
Mais avant qu’elle n’ait pu trouver une solution, le chef des brigands avait de nouveau attrapé Minos par la taille pour le soulever. Pan recula tandis que Kelvin attrapait la muette de la même manière avec son autre bras. Surprise, elle ne réagit pas assez vite. Les deux jeunes sous les bras, tels des fagots de bois qui se débattaient, et sans leur demander leur avis, Kelvin s'éloignait tranquillement du campement.
Annotations
Versions