Sentence
— Mais lâchez-nous !
— Bah chef, qu’est-ce vous faites ?
— Je les ramène chez Pietro ! Avec un loup dans les parages et sûrement quelque chose d’encore plus dangereux, je ne peux pas les laisser rentrer seuls, ce ne serait pas prudent !
Minos cessa de gesticuler, soulagé, avant d’adresser un sourire à Maya. Celle-ci, par contre, se mordit la lèvre. À moins qu’elle ne parvienne à lui échapper, son plan de base était définitivement fichu. Elle allait devoir s’expliquer auprès de Pietro et Clarisse. Elle n’aurait d’autres choix que de leur avouer la vérité. Qui sait comment les choses tourneraient ?
— Voulez pas qu’on vienne ‘vec vous, chef ? demanda Gram’ qui s’avançait déjà avec son frère.
— Comme vous voulez, je peux me débrouiller seul, vous savez ! s’exhorta Kelvin avec un rire hautain. Mais… pfiou… Oui, vous pouvez venir, tous les deux. Les autres, restez au campement, il faut le protéger et… peut-être s’occuper de Newton et Volt…
— Vous pouvez aussi reprendre nos affaires, monsieur ?
Accédant à la demande de Minos, Tonne ramassa le bâton du berger, le sac de jute et la caisse à pharmacie. Pan trottina derrière eux en observant la scène avec perplexité. Les deux hommes les suivirent d’abord sans mot dire.
Même s’il était plutôt costaud, porter à la fois Minos et Maya fatigua rapidement le terrible bandit Kelvin. Aussi, une fois qu’ils furent assez éloignés du campement, il les déposa à terre et prit appui contre un arbre afin de reprendre son souffle, haletant. Minos rigola et Maya en profita pour regarder autour d’elle, à la recherche d’une échappatoire. Hélas, Gram’ et Tonne étaient trop proches. Finalement, quand il se releva, Kelvin demanda à ses hommes d’échanger les rôles. Gram’ attrapa Minos et le plaça sur ses épaules, à la grande joie de ce dernier tandis que le massif Tonne s’accroupit en tournant le dos à Maya, lui demandant d’imiter son ami. Elle hésita puis grimpa, résolue.
Si Kelvin et ses hommes parlaient avec Minos, Maya n’écouta que d’une oreille. Elle observait droit devant elle, son cœur battant. À plusieurs reprises, elle dût se baisser pour éviter de se cogner à une branche, Tonne ne faisant guère attention à ce qui ne pouvait l’atteindre lui. Minos avait au moins la chance de pouvoir s’exprimer, dirigeant Gram’ en criant devant les obstacles.
C’est en sortant des Bois de Styx que Maya comprit qu’ils n’avaient pas emprunté le même chemin qu’elle pour venir. Ils n’étaient pas les terres des Bernardonne mais sur une route usée par les passages réguliers des charrettes. Plusieurs petits sentiers menaient aux autres exploitations agricoles de Lebey. Le domaine de Pietro n’était pas encore visible, caché par les bois en bordure de route.
Lorsqu’enfin la route tourna, ils virent les champs de céréales se dresser face à eux, immenses. Le verger sauvage des Bernardonne mettait un terme au chemin. Au-delà, on pouvait apercevoir la maison dans laquelle Minos avait grandi. Mais justement, lorsque celle-ci fut à portée de vue, ils s'immobilisèrent. Même les tourments de Maya s’étaient envolés, tant ce qu’elle avait sous les yeux l’horrifiait. La maisonnée était en proie aux flammes.
Après quelques secondes, le temps de réaliser que ce qu’ils voyaient était bien réel, Minos sauta des épaules de Gram’ et se précipita à travers le champ de céréales, droit vers sa maison. Maya l’imita, très vite suivie par les trois bandits paniqués qui leur criaient d’attendre. Mais Maya n’avait que faire d’eux. Tout ce qu’elle voulait, c’était rattraper son ami et s’assurer, comme lui, que les Bernardonne allaient bien. Pan bêlait tandis que la voix de Minos qui se parlait à lui-même se rapprochait de plus en plus. Elle le rattrapa à mi-chemin.
— Pas possible, pas possible, pas possible…
— Arrêtez ! Minos, Maya ! Quelque chose cloche !
Finalement, alors qu’ils étaient sur le point de sortir du champ de céréales, Kelvin se jeta sur le berger. Gram’ attrapa aussi vite Maya qu’il souleva et plaqua contre sa bedaine pour s’assurer qu’elle ne lui échappe pas. Elle se débattit tandis que le terrible bandit se relevait en maintenant Minos péniblement, s’assurant qu’il ne fasse pas de bruit en plaçant sa main contre sa bouche. Le berger, bien sûr, n’avait aucune envie d’obtempérer et le mordit férocement en s’agitant dans tous les sens. Tonne prit vite le relai, libérant son chef.
— Calme-toi, petit ! Chut !
— Mmmmaissez-moi !
— S’il te plait, tais toi !
Malgré les supplications, Minos redoubla d’efforts, mais Tonne n’y allait pas de main morte non plus. Maya aussi se débattait, ignorant pourquoi on ne les laissait pas voir ce qu’il se passait. Gram’ avait même plaqué son coude sur son visage, pour la faire taire, oubliant certainement qu’elle ne pouvait de toute façon pas parler. Dans un soupir, Kelvin leur tourna le dos. Il fit signe à ses compagnons de le suivre et s’avança prudemment.
Alors qu’ils s’approchaient, Maya commença à entendre des gens se disputer. Elle essaya de se concentrer afin de reconnaitre une voix, mais c’était un tel brouhaha qu’elle ne distingua rien qui puisse la soulager. Finalement, Kelvin sortit sa tête en dehors des céréales mais adressa un geste en arrière pour que les autres ne l’imitent pas. Après quelques secondes, il recula et regarda Minos et Maya, sombre.
— S’passe quoi, chef ?
— Il y a foule, quasiment tout Lebey, mais personne ne fait rien pour l’incendie…
— Qu’est qu’ils attendent ?
— Il y a un type devant… Il est énorme, c’est un Cultiste je crois et… on dirait que tout le monde a peur de lui…
Soudain, la rumeur des conversations cessa, ponctuée par des « Silence ! » insistants. Depuis leur cachette, Kelvin se tourna vers la foule. Il se rapprocha pour rester caché tout en tendant l’oreille. Tonne et Gram’ l’imitèrent, permettant ainsi à Maya et Minos d’entendre ce qu’il se disait là-bas.
— Je suis l’Inquisiteur Arnoldson, clama alors une voix à la fois forte et glaciale. Soyez témoins, citoyens de Lebey, de ce qui arrive aux hérétiques.
Maya crut un instant que son cœur avait cessé de battre. Horrifiée, elle s’immbilisa une bonne fois pour toute. L’homme qui était à sa recherche se trouvait juste là ! Pire, c’était sans doute le responsable du feu qui embrasait la maisonnée.
— Cette famille impie a fait l’erreur de vouloir cacher une vermine, une esclave en fuite qui doit être récupérée par le Culte de toute urgence. Toute personne qui tenterait de protéger cette gamine se verra châtier de la même manière par nos dieux, Lithé et Meroclet.
— Assassin !
Cette voix, Maya l’avait reconnue. Madame Cardamome ! La vieille dame avait fait le déplacement et n’avait pas eu peur de dire sa façon de penser. L'adolescente ne pouvait voir la scène, mais les bruits de lutte et de métal fendant l’air qui retentirent aussitôt lui brisèrent le cœur.
— Elle a un Eydolon ! s’exclama une autre voix connue, celle de l’ingénieur de Leonne.
— Godefroid.
— Oui, Père.
D’autres bruits, une plainte de tristesse de madame Cardamome, des cris d’effroi… N’avoir que le son rendait la scène encore plus angoissante pour la muette qui s’imaginait le pire. Ces hommes n’allaient pas épargner la vieille dame, ça ne faisait aucun doute. Mais Sisymbre, pouvaient-ils lutter contre l’esprit ? Vu le mouvement de recul de Kelvin, ce n’était pas beau à voir…
— Un autre hérétique voudrait-il se manifester ? Il est pourtant indéniable que la fille doit se terrer non loin d’ici. Livrez-la moi avant minuit, ou vous devrez en subir les conséquences.
— On dégage… marmonna Kelvin à ses compagnons. Vite, vite !
— Mais, et les jeunes ?
— On les prend avec nous, bougres d’idiots, c’est trop dangereux !
Sans plus attendre, ils firent demi-tour dans le champ de céréales, se dirigeant d’un pas pressé vers les Bois de Styx. Minos tentait toujours se libérer, en vain, les larmes aux yeux. Maya, elle, d’une pâleur fantomatique, avait le regard vide. Si elle n’était pas maintenue par Gram’, elle serait tombée sous le choc.
Près de la maison, alors que la foule se dispersait en toute hâte, effrayée par les menaces de l’inquisiteur, ce dernier soupira. Il se tourna vers l’incendie toujours à l’œuvre et observa les flammes danser, dévorant la bâtisse. Il avait enfermé les habitants à l’intérieur avant de réciter son parchemin. S’ils n’étaient pas encore calcinés, la fumée devait au moins les avoir étouffés, désormais. Ou peut-être que le plafond leur était tombé dessus, comme... L’espace d’un instant, il crut y voir une silhouette danser. Il serra les poings et se détourna du spectacle.
— Tu as été trop bavard Héron. Elle s’est doutée que nous arrivions.
— Je suis désolé, Père Arnoldson…
— Qu’on apprête mon impetalon. Agathe ! Lucius !
— Oui, Père Arnoldson !
— Fouillez le village de fond en comble. Tuez tous ceux qui se mettent en travers de notre route.
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