Colère et Marchandage

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 Le Père Arnoldson était reparti à Leonne en laissant derrière lui toute une troupe de soldats sous les ordres de deux de ses plus fidèles Disciples. Comme Héron et les autres, Lucius et Agathe avaient été les élèves de l’Inquisiteur du temps où il gérait le Prieuré. Le premier était un homme aux cheveux noirs, large d’épaules, qui arborait tout un tas de cicatrices. Ceux qui ne le connaissaient pas avaient l’impression qu’il était toujours de mauvaise humeur. C’était aussi l’avis de la plupart de ses proches. D’un naturel très belliqueux, il prenait la mouche à la moindre contrariété et réglait ses problèmes à la force de ses poings ou de sa lame. Plus jeune, Lucius avait suivi la formation de la Garde Impériale, l’unité d’élite de l’Empire. Il avait finalement quitté sa place et les honneurs associés lorsque son ancien précepteur l’avait retrouvé. Il occupait depuis la place de celui qui n’hésitait pas à se salir les mains pour leur maitre.

 Agathe, elle, était l’opposée, calme et sérieuse. Ses cheveux blancs comme la neige lui arrivaient jusqu’aux épaules. Elle paraissait souvent fatiguée, du fait des cernes qui ornaient ses yeux bleus. Son petit nez fin allait de pair avec son sourire, à peine perceptible, qui laissait le flou quant à ce qu’elle pensait intérieurement. Issue d’une famille de commerçants réputés, elle aurait pu aisément faire fortune si le Père Arnoldson ne lui avait pas demandé de le rejoindre. Grâce à ses nombreuses relations, elle fut l’une de celle qui prodigua à son maitre le plus de Reliques pour le moins de sang versé.

 Malgré leurs personnalités très différentes, les deux Disciples travaillaient souvent ensemble. L’un comblait les défauts de l’autre et vice-versa. Plus que des collègues, ils étaient des amis, même si l’un comme l’autre aurait nié les faits si on le leur demandait. Ils avaient interrogé la plupart des voisins des Bernardonne. Leur autorité cultique suffisait souvent à obtenir ce qu’ils désiraient savoir. C’est ainsi qu’après quelques questions et démonstrations de force, ils se retrouvaient chez M. Eburio.

 Le moustachu était assis à sa table et regardait le duo d’un air mauvais. Alors qu’Agathe lui faisait face, Lucius, lui, restait debout et regardait par la fenêtre. La Disciple avait les doigts croisés devant son visage.

 — M. Eburio, c’est bien ça ? Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Où est la fille ?

 — Aucune idée.

 — Ne soyez pas idiot, monsieur. Nous connaissons votre lien avec les révolutionnaires. Vous savez tout comme moi qu’il serait bien bête de continuer à nous mentir. Cela reviendrait à mentir aux dieux eux-mêmes.

 — Vos dieux seraient-ils heureux de vous voir massacrer des innocents ? Pietro était un homme bon, et la vieille Cardamome n’était que gentillesse !

 — Cependant, ils ne sont plus, car ils ont été jugés pour leurs péchés. Mais dites-moi, vos dieux à vous seraient-ils différents des nôtres, monsieur Eburio ?

 Le Cyanidien se renfrogna. Il venait effectivement du seul et unique pays qui n’était pas encore soumis au Culte. Depuis la Croisade Perdue, ils étaient quelques-uns à s’être installés au-delà du Massif de Laya. Le Culte n’hésitait pas à les persécuter pour un rien. Ce ne serait pas une première mais, cette fois, cela risquait d’être la dernière. Néanmoins, il était hors de question de montrer le moindre signe de faiblesse à ces assassins.

 — Puisque vous êtes si peu coopératif, laissez-moi vous poser une dernière question, monsieur Eburio, soupira la Disciple. À combien estimez-vous la vie de cette fugitive ?

 — Je vous demande pardon ?

 — Estimez-vous que votre vie, ainsi que toutes celles de votre village, valent moins que celle de cette fille ? poursuivit Agathe d’un air très sérieux, tandis que Lucius, derrière, ricanait.

 — Je suis d’avis que toutes les vies se valent, qu’il s’agisse d’une vieille dame, de son Eydolon, ou d’une fillette.

 — Malgré tout, nous sommes ici pour récupérer cette jeune fille. Si nous ne pouvions mettre la main dessus, nous devrions repartir avec autre chose. Or, le Père Arnoldson a été très clair. Vos vies combleront à peine l’absence de cette esclave. C’est un simple échange en votre faveur que je vous propose. Je le répète donc une dernière fois. Où est-elle ?

 Le révolutionnaire ne répondit pas, soutenant le regard de la femme aux cheveux blancs. Intérieurement, il savait que la catastrophe n’allait pas tarder. Il se retenait au mieux pour ne pas jeter un regard par-dessus son épaule. Il avait des choses à cacher et, même si ce n’était pas exactement ce que ces gens recherchaient, il ne fallait surtout pas qu’ils tombent dessus.

 Avant que quiconque ne reprenne la parole, la porte de la maison s’ouvrit à la volée. Un soldat de Leonne entra précipitamment et chuchota quelque chose à l’oreille de Lucius. Ce dernier le dévisagea et le repoussa pour sortir de l’habitation, telle une furie. Agathe le suivit du regard. L’espace de quelques secondes, le Cyanidien s’imagina l’assommer afin de la prendre en otage pour qu’ils puissent s’enfuir. Mais avant qu’il ne se décide, l’homme poussa une exclamation de dehors.

 — Agathe, tu t’souviens de ces deux minables à l’aller ?

 — Ceux que tu as tués ? demanda-t-elle, suscitant l’effroi du fermier.

 — Ouais, ceux-là ! Leurs copains sont sortis du bois. Je viens de regarder à la longue vue, y a quelqu’un qui porte des vêtements féminins.

 — Il n’y a pas de femmes parmi ces bandits, intervint le maitre des lieux, dégouté par sa propre lâcheté. Votre fille a dû fuir par le Bois et les rencontrer.

 — Et pourquoi ces débiles l’aideraient-ils ? s’étonna Agathe.

 — Ils ne sont pas méchants, vous savez, et ils ignorent sûrement qui elle est, ils auront juste voulu lui rendre service. Si elle est avec eux, je suis sûr que c’est un malentendu…

 — Quoi qu’il en soit, moi, j’y vais !

 M. Eburio n’en revenait pas. Aussitôt Lucius avait-il dit cela qu’Agathe s’était levée pour le suivre. Ils le laissaient tranquille sans même avoir fouillé sa demeure. S’ils savaient à côté de quoi ils passaient… Enfin, qui que soit cette fille, le révolutionnaire priait les esprits de son pays pour qu’elle soit bien avec la bande de Kelvin. Car sinon, qui sait ce que les hommes de l’Inquisiteur feraient à Lebey.

 Lorsqu’Agathe monta sur son cheval, Lucius et les autres soldats étaient déjà loin. Elle pressa sa monture pour les rattraper, suspicieuse. La direction qu’ils empruntaient la laissait perplexe, car c’était la même que pour retourner à Leonne. Au bord de la route, elle vit leurs chevaux s’arrêter près du groupe de sept personnes. Son ami posait à peine pieds à terre qu’il balançait déjà des insultes à l’adresse des bandits. Elle se rapprocha pour mieux voir, comprenant que, encore une fois, Lucius était allé trop vite en besogne.

 — Vous vous foutez de nous, bande d’immondes scélérats !

 — Ce n’est pas très poli, fit timidement remarquer Gramme.

 Agathe observa mieux le groupe. Des hommes de tout âge, mal habillés, tous armés d’outils rouillés ou en bois taillés. Ils paraissaient certes costauds, mais la Disciple avait plutôt l’impression d’y voir une bande de gros bébés pris en faute. Puis elle le remarqua. La fameuse figure féminine que son ami avait crû voir avec sa longue vue n’était que le cadavre d’un de ces types qu’ils avaient croisés en chemin. Lucius les avait tués sans effort quand ils avaient surgi des bois en criant à l’embuscade. Cependant, ils avaient revêtu le pauvre bougre avec une tenue de travail pour femme, bien trop petite pour son gabarit. La situation était si ridicule qu’elle aurait été comique dans d’autres circonstances. Mais ni Lucius ni Agathe ne goutaient à la plaisanterie.

 — C’est d'un grotesque. Au moins, on tient là des gens qui ont forcément rencontré la fille, et récemment qui plus est, souligna Agathe.

 — Hein, heu, non, on s’pas qui est Maya ! s’écria précipitamment Gramme.

 — Ouais, on l’a jamais vue ! affirma Litre.

 — Bande de cloportes…

 — Ainsi donc, Héron avait raison, elle se fait appeler Maya. Où est-elle ? Je peux vous offrir une jolie somme de bel argent, des pierres précieuses, de l’or même, si vous nous guider à elle.

 — Vous l’traperez jamais ! s’exclama Hertz. Elle est avec not’ chef, le Terrible Kelvin le bandit !

 — Affirmation ! ajouta Pascal en levant fièrement son pieux.

 — Voyez-vous ça…, répondit Agathe en penchant la tête avec satisfaction. Puisque vous partez vers Leonne, je suppose que ce n’est pas leur cas, qu’ils prennent plutôt la route d'Orles ?

 — Ouais ! s’exclama le vieillard avant de subitement paraitre horrifié. Heu… non, non ! Ils… ils vont vers le nord ! Pas vrai les gars ?

 — Ouais, c’est que vers Bord qu’ils vont, affirma Ampère, qui soutenait le cadavre travesti.

 — Ne perdons pas plus de temps…, soupira Agathe en se détournant pour remonter sur son cheval. Leur distraction leur aura peut-être suffi pour gagner une sacrée avance, surtout si on doit contourner les bois.

 — Vas-y déjà, je te rattrape, fulmina Lucius en attrapant une dague qu’il garda dans son fourreau. J’ai un compte à régler avant.

 Agathe haussa les épaules puis ordonna aux soldats de la suivre. Ils devaient bloquer le périmètre de Lebey, en espérant que la jeune fille et le chef de cette bande d’idiots ne soient pas déjà trop loin. Au pire, elle enverrait deux gardes devant, pour essayer de les rattraper.

 — Madame, vous êtes sûre qu’on ne devrait pas rester avec votre ami ? se risqua un guerrier.

 — Parfaitement sûre. Ils n’ont pas l’air bien dégourdis, il ne va en faire qu’une bouchée.

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