Sanglots

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 Ils étaient trois à marcher d’un pas rapide à travers les prairies, longeant les forêts pour rester les plus discrets possible. Ils étaient sortis des Bois de Styx depuis longtemps maintenant, ayant suivi des chemins tortueux sous les indications de Kelvin. Plusieurs heures s’étaient déjà écoulées depuis que le trio avait dit au revoir au reste des bandits. L'épuisement les consumait. Comme le soleil n’allait plus tarder à se coucher, une pause s’imposa à eux.

 Ayant deviné qu’ils s’étaient arrêtés, Pan revint vers eux. Minos l’avait envoyé en éclaireur, plus loin, afin de les avertir au cas où il y aurait du mouvement sur les routes. L’advouquetin avait ainsi pu les prévenir des passages de cavaliers. Dans le doute, ils s’étaient cachés à chaque inconnu, profitant de l'instant pour reprendre leur souffle.

 Le petit berger se laissa tomber face contre terre, vidé de toute énergie. Contrairement à son habitude, il était resté aussi muet que Maya pendant tout leur trajet. Il avait sangloté, par contre, pris de chagrins incontrôlables. Maya avait fait tout son possible pour le soutenir, mais son propre sentiment de culpabilité n’avait fait qu’empirer. Elle s’était refusée à laisser s’exprimer sa douleur quand celle de Minos devait être cent fois plus forte que la sienne. Toute sa famille avait été dévorée par les flammes. Comment pouvait-elle se soucier d’elle après pareille tragédie ?

 Même s’il partageait leur fatigue, Kelvin se releva très vite pour fouiller dans son sac. Le bandit avait insisté pour les accompagner. « Entre fugitifs, on se serre les coudes » avait-il clamé quand Maya et Minos avaient résumé leur situation entre deux sanglots. Il leur avait trouvé des gourdes, quelques vivres et avait demandé l’aide à ses compagnons pour attirer l’attention des hommes du Culte. Très emballés, ceux-ci avaient imaginé un plan saugrenu pour lequel Maya contribua en sacrifiant une des deux tenues de travail qu’elle avait « empruntées » aux Bernardonne. Ils comptaient faire passer le cadavre d’un de leur camarade pour elle.

 Le plan était voué à l’échec mais Maya n’eut pas la force de leur faire remarquer. Elle n’avait alors qu’une hâte, fuir de là, avec ou sans Kelvin. Maintenant qu’ils étaient loin, la muette se rendait compte du sacrifice qu’ils avaient choisi de faire. Ils risquaient leur vie pour elle. Et Kelvin aussi. Ils avaient tous abandonné cette vie, certes rustique, mais qui semblait pourtant leur plaire, afin de l’aider. Kelvin avait beau avoir affirmé tout au long du trajet que ses compagnons ne risquaient rien, ses paroles s’étaient peu à peu changées en prières. 

 Le terrible bandit finit par sortir des morceaux de pain sec et des pommes cabossées. Maya regarda Minos, abattu, laisser la moitié de son fruit sans toucher au pain. Elle était inquiète. Il venait de perdre toute sa famille, tout son confort, en l’espace de quelques secondes. Toute sa bonne humeur et sa gaieté étaient mortes dans l’incendie. Même son appétit était porté disparu. Elle aussi n’avait pas le cœur à manger. L’ambiance était morose alors que la nuit tombait doucement sur la plaine.

 — Il faut qu’on dorme, lança Kelvin en rompant un silence pesant. On se perdrait de nuit. Il faut qu’on soit en forme demain, on se lèvera tôt.

 — J’ai pas sommeil.

 Le petit berger avait usé d’un ton bourru que Maya ne lui connaissait pas. Kelvin l’observa sans mot dire puis soupira. Il retira de son sac de grandes pièces de tissu pour servir de drap. Il n’en avait pris que deux qu’il tendit tout de suite aux jeunes. Minos l’ignora tandis que la muette se sentit gênée. Elle fit des gestes de tête pour refuser, mais l'homme se montra insistant.

 — Il peut faire froid, la nuit, il vous faudra bien ça. Ne vous inquiétez pas pour moi, je prends le premier tour de garde, pas besoin de dormir !

 La muette fronça les sourcils et prit à contrecœur le drap. Minos l’imita d’un mouvement plus brusque. Kelvin les regarda, satisfait, puis se releva.

 — Je vais explorer les alentours ! Peut-être trouverai-je un dessert ! Ne bougez pas, je reviens !

 Aussitôt dit, il s’éloigna, profitant des dernières éclaircies. Pendant ce temps, Pan se rapprocha de son maitre qui commença à le caresser, absent. Ne pouvant parler, et comme Minos ne savait pas bien lire, Maya resta un instant sans bouger, attendant une réaction du petit berger.

 — J’ai jamais dormi en dehors de chez moi, dit-il finalement au bout de quelques minutes de silence. Ça fait bizarre.

 L’adolescente s’assit à ses côtés avec un regard compatissant. Elle remarqua immédiatement, malgré la luminosité qui baissait, que de nouvelles larmes coulaient de ses yeux.

 — J’ai jamais quitté ma famille, dit-il, tremblotant, comme si chaque mot le faisait souffrir. J-J’ai t-toujours… Qu’est-ce que je vais devenir... sans eux...

 Il se laissa tomber sur l’épaule de Maya et recommença à pleurer. Maya aurait tellement voulu le soutenir avec des mots, mais tout ce qu’elle pouvait faire, c’était lui frotter le dos et le maintenir contre son corps, sans aucune parole réconfortante. Son incapacité la dérangeait d’autant qu’elle s’en sentait responsable. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était être avec lui. Il sanglota encore un long moment. Il traita de tous les noms l’Inquisiteur, évoqua la possibilité qu’ils se soient trompés, ou que tout ça n’était qu’un vilain cauchemar, avant de pleurnicher de plus belle. Quand Kelvin revint vers eux, les bras chargés de mourfes sauvages, le petit berger dormait dans les bras de Maya, emporté par la fatigue et la peine. Compatissant, le brigand l'aida à installer l’enfant le plus confortablement possible. Puis, chuchotant, Kelvin fit comprendre à la muette qu’elle devait se reposer, elle aussi. Elle se coucha juste à côté de Minos, pour ne pas le laisser seul, tandis que Kelvin allait un peu plus loin, assis en indien, avec la ferme intention de ne pas bouger de la nuit.

 Alors qu’elle était couchée et à l’abri des regards extérieurs, Maya en profita pour, à son tour, laisser discrètement s’échapper toute sa peine. Elle pleura la mort des Bernardonne et le sacrifice des brigands en silence. Elle pleura le sort de Minos, désormais orphelin. Elle pleura Kelvin, qui, s’il ne le montrait pas, se retrouvait désormais sans ses compagnons. Puis, aussi, elle pleura sur son sort, elle, esclave en fuite qui semait la mort sans le vouloir. Ses responsabilités lui étaient insupportables.



Note de l'auteur : Merci, amis lecteurs, pour vos lectures ! Vous voir arriver jusqu'ici me touche déjà énormément. Hélas, j'ai un emploi du temps fort chargé en cette fin d'année scolaire... J'ai encore quelques chapitres écrits à l'avance, mais je ne sais pas encore à quelle fréquence je les posterai... J'aurais aimé un peu plus retravailler ce chapitre, mais, la fatigue, tout ça... N'hésitez pas à peinturlurer, je suis sûr qu'il y a des choses à redire ! Je reviendrai bientôt en forme, mais je continuerai à vous lire entre temps !  

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