Marche morose

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 Les jours se succédaient et se répétaient inlassablement. Comme leur méthode de reconnaissance portait ses fruits, Pan restait le plus souvent à l’écart pour guetter les passages. Pendant ce temps, ils avançaient, simplement, sur leurs gardes. Une marche sobre, que Kelvin essayait d’animer en racontant des histoires dont il était le héros et dont la véracité était plus que douteuse. Dans d’autres circonstances, Minos les aurait sûrement adorées. Mais le chagrin secouait toujours le petit berger. Plus d’une fois, il laissa éclater sa colère et le bandit encaissa, sans broncher. Puis, le temps passant, il s’était muré dans le silence.

 Maya faisait tout son possible pour soutenir le berger. Elle dut essuyer plus d’une crise, elle aussi. Le plus dur fut quand il l’accusa d’être responsable de la mort de sa famille. Même si elle le pensait aussi, sentir le reproche de son seul ami lui avait brisé le cœur. Heureusement, le berger lui-même comprit qu’il était allé trop loin et s’excusa de lui-même le soir venu.

 Ils ne se s'arrêtaient qu’au crépuscule. C’était l’occasion de se reposer et de rechercher de nouveaux vivres. En passant près des villages, Kelvin s’absentait pour revenir avec des légumes ou fruits volés, parfois quelques œufs. Ils pouvaient se servir d’eau facilement, car ils suivaient le cours du Sinistre, l’un des grands fleuves de Safranie. Kelvin leur avait assuré qu'il connaissait quelqu'un susceptible de les aider et qui vivait aux alentours d'Orles, une grande ville. Même s'ils ignoraient encore si c'était du baratin ou la vérité, ils n'avaient pas beaucoup d'autre choix que de le suivre vers cette destination.  

 C’est une bonne semaine et demi après leur départ que le miracle se produisit enfin. Comme à son habitude, Kelvin contait ses prétendus exploits alors qu’ils mangeaient la maigre pitance qu’ils avaient réussi à dénicher, quelques fruits et du pain sec. Maya n’écoutait pas vraiment. Elle avait déjà entendu une ou deux versions de la même histoire. Mais quand elle tourna la tête vers le petit berger, celui-ci avait un maigre sourire sur le visage. Le premier depuis ce fameux jour.

 Kelvin aussi l’avait remarqué et en profita d’autant plus. Il se leva, haussa le ton, ajouta de grands gestes et se laissa emporter par sa propre plaidoirie. Il en faisait tellement que Minos finit par laisser s’échapper un petit rire. Maya l’imita. Alors, pour poursuivre sur cette lancée et conclure ses exploits, le bandit les attrapa tous les deux et ils se mirent à tournoyer et à esquisser quelques pas de danse. Leur fatigue autant physique que mentale eut raison de toute résistance et ils se laissèrent emporter en riant de bon cœur.

 Mais alors qu’elle suivait les ses compagnons de fortune dans leur délire, Maya eut de drôles d’images en tête, comme de nouveaux souvenirs qui l’assaillaient. Elle vit une femme rire de la même manière que Minos, puis une bande d’hommes armés se pavaner dans les rues en distribuant des sacs de nourritures. S'en suivirent trois d’entre eux, sur l’échafauds, prêts à être pendus. Un autre visage se succéda, celui d’un homme richement vêtu qui criait de colère avant de se prendre une torgnole magistrale. Et enfin, les visages des bandits du Bois de Styx, souriant, acclamant leur héros.

 Perturbée, Maya retomba assise et laissa les deux garçons profiter de leur bonne humeur retrouvée. Elle ne prit pas longtemps pour comprendre ce qu’il lui était arrivé. De nouveau, elle avait eu un aperçu des souvenirs de quelqu’un d’autre, Kelvin cette fois-ci. Qu’est-ce que ça voulait dire ?

 Elle fit de son mieux pour cacher son trouble. Elle s’en serait voulu de gâcher une ambiance déjà tant mise à mal ces derniers jours. Lorsque vint le moment de dormir et que Minos, pour la première fois, vint se coller à elle, la muette avait toujours ses questions en tête, luttant contre la fatigue.

*

* *

 Loin de là, dans la cité de Rakhotis, en Assyr, une femme à la peau basanée observait les étoiles à l’aide d’un curieux appareil doré. Du haut de la tour de l’Université, tout était calme. La Directrice de l’Ordre des Savants pouvait profiter de ce havre de paix pour pratiquer son art secret, la lecture dans les astres.

 Elle s’arrêta un moment pour prendre des notes. Puis, avant même qu’on frappe à la porte, elle appela l’homme qui venait d’arriver et lui donna l’autorisation d’entrer. Ce dernier, guère surpris, ne se fit pas prier. Elle se détourna de la missive qu’elle écrivait pour lui adresser un large sourire.

 — Merci d’avoir fait le déplacement, David. Comment vont Amset et Saul ?

 — Je pourrais te répondre, mais j’ai comme dans l’idée que tu le sais déjà, non ?

Il s’approcha et serra sa vieille amie dans ses bras. Peu de monde pouvaient prétendre être aussi proche de la Savante la plus réputée de toute la Terre des Murmures. Mais David était un cas à part. Il avait été sous ses ordres lors d’un vieux projet, une vingtaine d’année auparavant, et ils étaient toujours restés en contact. La perte de plusieurs membres de l’équipe de manière simultanée avait fini de les rapprocher, scellant des liens d’amitié indéfectibles, même quinze après.

 — J’ai des nouvelles à transmettre à notre Inquisiteur, annonça-t-elle d’emblée. C’est à propos de Cassité.

 — Tu as des infos ? s’exclama David avec surprise. Mince, Lithé soit loué !

 — Disons que j’ai une piste solide. Les dieux sont facétieux, David, je peux me tromper.

 — J’aimerais bien voir ça, tiens ! La Grande Hypathie ne fait jamais d’erreurs !

 — Bien sûr que si. Mais cette fois-ci, je suis sûre d’une chose, c’est qu’il faut qu’on lui vienne en aide. J’ai besoin que tu envoies quelqu’un là-bas pour la ramener. Je me charge de prévenir des collègues sur place.

 — On ne peut pas simplement envoyer une colombe pour lui demander d’attendre quelque part ?

 — C’est compliqué. Le Géant la cherche aussi.

 Face à l’air surpris que prit son camarade, Hypatie lui résuma ce que les étoiles lui avaient raconté, tout en ajoutant une théorie qu’elle s’était forgée. Tout ce qu’il put répondre à cela fut un juron à faire frémir les bien-pensants.

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