Kibnolée !

7 minutes de lecture

 Ils eurent du mal à retrouver Kelvin, car le feu avait perdu en intensité. Et pour cause, le bandit s’était endormi. Pan veillait à sa place. Minos lui donna une caresse et s’enveloppa dans son drap, se couchant contre l’arbre. Maya l’imita et se plaça entre ses deux compagnons, dos à Gamla. Elle bailla un grand coup avant de s’abandonner à la fatigue.

 Une heure ou deux s’étaient écoulées quand l'adlescente entendit des cris de protestation. Elle crut d’abord qu’elle rêvait mais comme les bruits se montraient insistants, elle essaya d’en trouver la source. Leur feu s’était éteint. Elle se frotta les yeux puis regarda derrière elle, courroucée. Seulement, après avoir compris ce qu'il se passait, elle fit semblant de dormir, soudain angoissée.

 Ils étaient trois. Le premier, devant, portait deux torches et servait de guide aux deux autres. Ceux-ci transportaient un vaste sac de toile. Mais ce que ce paquet avait de particulier, c’était les diverses insultes qui en émanaient et la manière qu’il avait de se tortiller de l’intérieur. Maya reconnut à la fois la voix et les injures. Il n’y avait pas de doutes là-dessus. Elisabeth Ducaffet était en ce moment-même victime d’un kidnapping.

 Tétanisée, elle entendit Minos remuer et les ronflements de Kelvin qui se poursuivaient. Elle ne savait pas s’ils dormaient mais ils ne devaient en aucun cas attirer l’attention sur eux. Avec un peu de chance, les criminels ne les remarqueraient pas.

 — Eh bha, pourquoi tu t’arrêtes ? s’écria une voix hargneuse.

 — Y a des gens, là.

 Maya déglutit. Elle ne bougea pas d’un pouce et garda les yeux fermés. La muette sentait battre son cœur en percevant des bruits de pas s’approcher.

 — C’est bon, lança finalement la même voix après quelques longues secondes. Ils dorment, on n’a qu’à s’écarter de là.

 — Y a pas quelques trucs à leur prendre ?

 — Laisse tomber, c’est les gamins qui parlaient à l’autre peste, elle disait qu’ils étaient sans argent, m’semble. On n’a pas que ça à foutre, on a une cliente privilégiée.

 — Tu sais ce qu’elle va te faire, ta cliente, espèce de pisse de blobouille ? s’écria la voix de la marchande, quoiqu’un peu étouffée, avant d’être suivie d’un bruit sourd.

 — Allez, on se casse, on va bien prendre soin de toi !

 Maya n’osait toujours pas bouger, de peur qu’ils se retournent et changent d’avis. Mais au bout de quelques instants, elle sentit Minos s’extirper de sa couverture tandis que Pan se relevait d’un bond en s’étirant. Le petit berger, à quatre pattes, se rapprocha de son amie.

 — Tu es réveillée ?

 La muette ouvrit les yeux et hocha la tête lentement. Le petit berger lui demanda si elle avait entendu la scène comme lui et elle lui répondit une nouvelle fois par l’affirmative.

 — Qu’est-ce qu’on fait ?

 Maya déglutit tout en se redressant. La marchande n’avait pas été des plus sympathiques avec eux, au contraire. Mais ni elle ni Minos ne lui voulaient du mal pour autant. Comme elle semblait réfléchir, Minos porta son attention sur Kelvin. Il se releva et se plaça juste en face du bandit auto-proclamé.

 — Il dort toujours ! C’est un vrai vénéant !

 Maya se leva tandis que le berger commençait à secouer Kelvin. Ce dernier sursauta en s’agitant brusquement pour repousser le petit garçon.

 — Ah, je suis innocent ! Eh, mais, heu… Minos, qu’est-ce qu’il se passe ?

 — T’as pas entendu ? Y a des méchants qui viennent de passer !

 — Qu… quoi, comment ça, des méchants ? répéta l’homme en se relevant d’un bond.

 — Ils ont kibnolé Madame Pas Polie ! Elle était dans un sac et tout, puis ils sont partis plus loin parce qu’on n’a pas d’argent !

 À en voir le visage de Kelvin, tout juste éclairé par la lune, il n’avait pas l’air de comprendre le sens du mot « kibnolé », et cela semblait le perturber. Après quelques secondes, il ouvrit grand la bouche, comme en pleine illumination. Il porta alors une main au-dessus de ses yeux, comme pour faire mine d’observer les alentours.

 — Je ne vois rien, maugréa-t-il. Ils sont loin ?

 — Ils sont partis derrière toi ! répliqua Minos, presque blasé, en lui montrant ladite direction.

 — Mmmh… effectivement, il y a de la lumière par là.

 Il avait raison. Maya l’observait déjà depuis quelques instants. La luminosité de leurs torches ne bougeait plus, figée en bordure de forêt. Elle n’était pas très forte, on ne pouvait sûrement pas les voir depuis Gamla.

 Ils avaient tous les trois le regard porté sur ce faible éclairage. Ils se regardèrent ensuite, percevant à peine la même interrogation sur le visage de chacun. Après un bref instant, chacun d’eux ramassa une partie de ses affaires et, d’un commun signe de tête, ils se dirigèrent ensemble vers la lueur. Ils n’avaient pas eu besoin de parler pour prendre leur décision.

*

* *

 — Alors, venez d’où, ma ptite dame ?

 — Qu’est ce que ça peut te foutre, pestiférée catin ?

 L’insulte provoqua un petit rire chez l’un des trois bandits mais il cessa dès que le regard sévère de son chef se porta sur lui. Elisabeth en profita pour jauger ses ravisseurs. Celui dont elle avait provoqué l’hilarité se distinguait avec un nez crochu. Lui et leur leader avaient une barbe crasseuse de plusieurs jours et des cheveux diablement trop longs pour les critères de beauté de son Assyr natale. Seul le dernier s’était rasé, mais ses pansements sur les joues restaient témoins de sa maladresse. Elle n’en revenait pas d’avoir été capturée par cette bande de bras cassés. Si seulement elle avait eu son tromblon à portée de mains. Hélas, en ce moment, seule sa tête dépassait du sac où ils l’avaient piégée.

 — Bon, on n'a pas toute la nuit, je suis crevé et j’ai envie d’aller dormir. On te laissera partir si tu nous expliques ce que c’est que ta fameuse marchandise ?

 — Ma marchandise ? répéta la captive, outrée. Vous avez volé ma marchandise ?

 — Ouaip, en même temps, fallait pas se vanter qu’t’avais de quoi devenir riche. Du coup, on a pris tes sacs. Mais, par Lithé, on a aucune idée de ce que c’est, dedans.

 Il claqua des doigts. Le rasé pivota pour plonger sa main dans un gros sachet et en retirer une poignée du contenu qu’il tendit à son chef. Celui-ci le glissa sous les yeux de la marchande, qui pesta. Il s’agissait bien de ce qu’elle était venue vendre en Safranie.

 — C’est la première fois qu’on voit ces trucs, précisa l’homme. Pyracmon en a goûté un, disait que c’était pas dégueu. Mais on peut rien vendre sans savoir ce que c’est. Alors explique-nous. Et après, on te laissera repartir en Assyr, les poches vides.

 — Alors ça, vous voyez, vous pouvez tout aussi bien vous les foutre par le trou du…

 Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase que l’homme lui assénait une puissante gifle qui la fit chuter. La douleur était vive et les cailloux au sol lui éraflèrent l’autre joue. Elle lança un juron tandis que le type au nez crochu l’attrapait par les épaules pour la remettre droite, telle une simple quille.

 — Feriez mieux de pas la jouer trop fine, ma ptite dame. On vous fera cracher le morceau. Ne nous faites pas perdre notre temps pour rien.

 — Ouais, nous faites pas perdre notre temps ! répéta le nez crochu en rapprochant sa tête trop proche de celle d’Elisabeth à son goût.

 — C’est bon, Ad’, merci…

 — C’est lequel qui a bouffé mes grains ? demanda-t-elle dans un soupir.

 — Moi, répondit le gars aux pansements.

 — T’en as encore pour cinq ou six heures. C’est un poison qui dévore les entrailles de l’intérieur.

 Il resta bouche-bée, horrifié, à la fixer. Le troisième luron se retourna vers son ami, tout aussi effrayé. Leur chef, enfin, passait son regard de la dame à son compagnon dont elle venait de prédire une mort horrible, ne sachant s’il devait y croire ou non. Méfiant, il brisa le silence.

 — C’est du bluff. Pyracmon ne se sent pas mal, et pis, si c’était vrai, ce serait vraiment une marchandise de merde pour devenir riche.

 — Votre famille impériale n’est pas sujette aux empoisonnements ? J’étais sûre qu’elle m’en offrirait une coquette somme, pourtant.

 Cette remarque fit faire un pas en arrière au chef. Faire entrer les Lucréciens dans leurs affaires était loin de l’enchanter. Soudain, Pyracmon se releva d’un bond et se précipita vers elle, prêt à la massacrer. Il fut rattrapé par son chef, qui l’empêcha de rouer de coups leur otage. Le dernier s’était relevé, mais ne savait que faire.

 — Laisse-moi la buter, Acamas ! Elle m’a tué, putain !

 — Calme-toi, bordel, Pyrac'. Elle doit bien connaitre un antidote !

 — Ah, bha oui, bien sûr, et je vais le révéler comme ça aux trois gueules de griloo qui ont essayé de m’enlever !

 — Tu ferais mieux de ne pas faire la maligne, toi…, grommela le chef en forçant Pyracmon à reculer, dégainant un coutelas qui fit immédiatement perdre son sourire à Elisabeth.

 — Hey, si vous me tuez, vous ne pourrez jamais soigner votre pote !

 — Ouais, sans doute. Mais d’un autre côté… c’est pas avec une oreille ou une main en moins que tu pourras rien nous dire, si ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire C.Lewis Rave ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0