Chapitre 3

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En rentrant à son bureau, Mélinda réfléchit aux moyens qu’elle pouvait utiliser pour creuser les raisons qui avaient poussé les responsables à éloigner durablement une élève de l’établissement. C’était nécessairement quelque chose de grave. Peut-être cela avait-il fait l’objet d’un article de presse. Mélinda n’imaginait pas que l’Education Nationale en travaillant en connivence avec ce lycée privé ait pu obtenir une omerta parfaite.

Elle s’assit donc à son bureau, et commença sa quête d’articles de presse. Au bout de deux heures, elle finit par trouver un encart dans une rubrique de faits divers, d’une vingtaine de lignes, relatant un dépôt de plainte pour viol par les parents d’une élève de l’institution privée. Bien entendu, aucun nom ne figurait dans le corps de texte mais l’indication du transfert de l’élève en question y était. Elle chercha le nom du journaliste, auteur de l’article : Simon Béchart. Ce gars-là était peut-être la pièce maîtresse du puzzle.

Elle passa un coup de fil à la rédaction du canard, et elle apprit que le journaliste en question n’était plus en activité depuis une dizaine d’années. La jeune femme qui lui répondit et dont Mélinda ne retint pas le nom, semblait être une espèce de mélange entre une encyclopédie et la commère du coin. Celle-ci lui indiqua que ce Simon Béchart continuait d’écrire des articles, mais sur la partie blogs du journal.

« Journaliste un jour, journaliste toujours ! » fit-elle, non sans un certain enthousiasme.

Mélinda la remercia, raccrocha et s’empressa de retrouver la trace internet du journaliste. Elle lui envoya un courriel et voyant qu’il était presque midi, décida de prendre sa pause déjeuner.

En tout début d’après-midi, elle reçut une réponse. Ce Simon Béchart semblait s’ennuyer ferme à l’heure de sa retraite. Il lui proposait un rendez-vous à seize heures au bistrot à côté de l’Opéra. Il ne voulait pas discuter du sujet sans rencontrer de visu, la personne qui mettait son nez dans ce genre d’histoires. Il y avait certes un peu plus de deux décennies depuis les événements relatés dans l’article, mais il n’en restait pas moins que les personnes impliquées étaient loin d’être disparues : les précautions d’usage étaient donc de mise.

Mélinda trouva cela pertinent. Elle répondit à l’invitation, et se prépara donc à se rendre à ce rendez-vous.

*

Simon Béchart avait soixante-quinze ans, mais d’évidence, le temps n’avait qu’une emprise très relative sur le bonhomme. Physiquement, les stigmates de la vieillesse étaient présents. En revanche, intellectuellement, tout était intact.

« J’aurais bien apprécié que tous les privés vous ressemblent. De mon temps, ils étaient un peu plus barbus et moins agréables à regarder, si vous voyez ce que je veux dire. » fit-il en riant.

Après s’être enquis des motivations de Mélinda concernant ses questions sur l’affaire, le journaliste lui révéla qu’en fait, de viol, il n’y en avait pas. Cela dit, même si on pouvait peut-être regretter que les parents de la gamine se soient emballés sur le moment, ce qui avait conduit à tout le déroulé qui était relaté dans son article, il y avait tout de même un fond à cette histoire. Le fameux Paul avait mis en cloque la petiote. Sûrement par accident. N’empêche que ni ce Paul, ni la fille et encore moins les parents des deux parties ne surent gérer la situation. La petiote était en cloque et au moment où tout cela a éclaté au grand jour, il était trop tard pour l’option avortement.

« Que s’est-il passé alors ? demanda Mélinda.

— J’ai fait deux articles en plus de celui que vous avez trouvé. Le premier était nécessaire par souci de suivi journalistique. Les parents de la môme ayant retiré leur plainte un mois après le mélodrame, j’ai insisté auprès de ma rédaction pour qu’on dise vraiment ce qui s’était passé. On sait bien que le second article n’effacera pas le premier. Les gens restent toujours bloqués sur le sensationnel, le glauque. Quand on publie un démenti, soit les gens l’ignorent, soit, y a le vieux raisonnement du “Il n’y a pas de fumée sans feu” qui ressurgit du placard. Enfin, je dis du placard, mais encore faut-il que les gens l’aient mis dedans un jour. C’est loin d’être une évidence.

— Et le troisième article ?

— Je l’ai ici. Mais la rédac n’a jamais voulu le publier. Un truc qui raconte comment une erreur de jeunesse se termine, à cause de tabou et de crainte, d’erreurs de jugement, en un accouchement et un abandon d’enfant. Les gens ne veulent pas voir ça. Cela n’existe pas. Ils vont plutôt reprendre l’histoire lorsque le gamin ou la gamine se fait adopter par le bon samaritain. Je ne critique pas les gens qui adoptent. Simplement, je dis qu’il y a toujours un hiatus. On a toujours l’impression que l’histoire des enfants adoptés commence au moment de l’adoption. Ce qui se passe avant, on ne veut pas savoir.

— Et donc, la jeune fille a abandonné son enfant ?

— Oui. Et le marmot a été adopté quasiment dans la semaine qui a suivi.

— Comment savez-vous cela ? Tout ça n’est pas totalement confidentiel ?

— Si sûrement. En vérité, je n’ai jamais gratté la question car de toute manière, quand bien même, l’article serait paru, j’aurais modifié les noms. Après pour la confidentialité, vous savez, elle est peut-être dans les textes juridiques mais la vérité sur le terrain, c’est que les gens, peu importe de quel côté de la barrière ils sont, ils vous disent ce qu’ils ont sur le cœur quand ils ont une oreille pour les écouter. C’est comme ça, que je faisais mon boulot, moi. Je ne me parais pas d’une armure de morale pour m’interdire ceci ou cela. Je faisais et après oui, je faisais le tri. Comment voulez-vous faire votre boulot si vous ne tâtez pas le terrain pour de vrai ?

— Vous connaissez le nom des parents adoptifs ?

— Vous voulez faire quoi ?

— Rien de spécial. Juste voir si Paul connaît sa fille.

— Cela m’étonnerait.

— Moi aussi.

— Et vous allez le dire à sa gonzesse actuelle ? Elle va faire quoi de cette information ? Ce ne sont pas mes oignons. Juste, je ne veux pas excuser le fameux Paul mais là, vous prenez le risque de donner un moyen de pression à une personne dont je ne sais pas si elle est bonne ou mauvaise. Et ce n’est même pas cela, le problème. Vous lui donnez le moyen de raviver un truc qui peut faire partir en sucette le gars, mais pas seulement. La vie est toujours pleine de rebondissements. Allez savoir s’il ne va pas y avoir une réaction en chaîne ensuite et que ça ne va pas toucher la gamine adoptée. Elle n’a rien demandé depuis le début et pourtant. Bref vous m’avez compris.

— Parfaitement. Je vais y réfléchir. Je ne compte pas faire n’importe quoi. Cela dit, par mon engagement auprès de ma cliente, je ne peux pas non plus lui mentir.

— Mais vous pouvez omettre.

— Je suis détective privée. L’omission est un peu la base de mon fonds de commerce. »

La réflexion fit sourire le journaliste et il finit par fournir les identités qu’il détenait. Mélinda le remercia et après avoir payé une nouvelle tournée de bière, elle prit congé pour rentrer à son appartement.

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