Chapitre 4

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Plus l’enquête avançait, plus Mélinda sentait que les choses devenaient intéressantes. Cependant, comme l’avait dit le journaliste, allait arriver le moment où elle devrait correctement peser le pour et le contre concernant chaque information qu’elle détenait désormais. La situation était délicate. Sa cliente avait-elle eu le nez fin ou bien s’agissait-il d’un simple concours de circonstances ?

« Qui es-tu ? » fit Mélinda en prenant la fiche signalétique de Lisa.

Il était vrai que jusqu’à maintenant, elle n’avait que peu enquêté sur sa cliente elle-même. Et peut-être était-ce là une erreur, ou au moins une maladresse. Avec son discours de petite fille légèrement égarée, Lisa avait touché une corde sensible chez Mélinda. En plus du fait que par position de principe, cette dernière devait accorder du crédit à ses propos, elle lui avait inconsciemment donné sa confiance. Tout simplement parce qu’elle s’était retrouvée en elle au même âge. Incapable de s’engager dans une relation.

Il fallait dire, à sa décharge, que Mélinda avait connu quelques déboires amoureux dans sa prime jeunesse. Le plus traumatisant avait été avec un certain Yannick avec lequel elle était allée au Burkina Faso pour une mission au sein d’une ONG. Sur le papier, c’était presque un petit conte de Noël, une petite romance à la sauce hollywoodienne. Mais tout était parti dans le bas-côté lorsqu’elle avait découvert que le fameux Yannick détournait une partie des moyens de l’association pour s’assurer son petit confort personnel, ainsi que de se préparer un petit avenir bourgeois sur place. Mélinda ferma les yeux et se força à réguler sa respiration. Il n’y avait rien à faire. Même si le temps avait passé, la colère, la déception étaient encore là, intactes.

Mélinda regarda la pendule : il n’était encore que vingt heures. Elle aurait dû s’arrêter et reprendre son enquête le lendemain, mais elle n’arriva pas à s’y résoudre. Elle commanda un repas en livraison et retourna se poser devant son ordinateur.

Lisa Andrieux. À l’heure du numérique à tout crin, pour une gamine de vingt ans, cette fille était un OVNI, un fantôme. Elle semblait s’être toujours tenue à l’écart des réseaux sociaux et autres forums ou sites d’e-commerce. Elle n’était pas fichée par la police, ni Interpol ce qui n’étonna guère la détective. Mélinda soupira.

Elle regarda son carnet où elle avait noté les éléments que lui avait donnés le journaliste. Elle prit le nom de la mère adoptive Sarah Leroux, et lança le moteur de recherche. Elle navigua page après page dans les résultats de recherche jusqu’au moment où elle tomba sur ce qui semblait être un faire-part de mariage : « Sarah Leroux et Didier Andrieux avec leur fille ont le plaisir de vous inviter à leur mariage… »

Mélinda regarda l’année : deux mille douze. Et si… Elle tapa sur son clavier Lisa Leroux. Elle se jeta en arrière sur le dossier de sa chaise.

« Bon dieu de merde ! » laissa-t-elle échapper malgré elle.

Dans la section où le moteur de recherche agrégeait les images liées, les trois premières étaient des photos de la jeune fille qui s’était présentée sous le nom de Lisa Andrieux. La même qui lui avait demandé d’enquêter sur son compagnon pour savoir si elle pouvait s’engager plus loin dans leur relation.

*

Mélinda secoua la tête. Forcément, elle avait dû se tromper quelque part. Elle regarda l’heure : il était presque vingt-deux heures. Elle voulait appeler Lisa. Il fallait que celle-ci lui donne un mandat pour accéder à son dossier d’adoption. Elle n’avait aucune idée sur la manière de motiver sa demande sans révéler quoi que ce soit. La seule stratégie valide était de demander et de se taire sur les raisons qui la menaient à cela. Lisa allait-elle lui répondre positivement ? Allait-elle devenir suspicieuse ? Cette dernière hypothèse était de loin la plus plausible en plus du scénario où Lisa s’énervait et mettait fin au contrat. Dans ce dernier cas, légalement, Mélinda pourrait se détourner de la question. Mais moralement ? Quelle était la bonne voie ? Plonger un couple a priori heureux dans une tourmente ? Que ce soit vrai ou pas, de toute manière, elle devait empiéter sur le premier secret, celui de Paul. Mélinda secoua la tête. Décidément, il n’y avait qu’elle pour tomber sur des situations pareilles. Elle envoya un SMS :

« Besoin de vous parler. Je peux vous appeler ? »

Mélinda ignorait si Lisa était seule ou bien avec le fameux Paul à cet instant. Au bout de dix minutes, son téléphone se mit à sonner :

« Bonsoir, fit Lisa avec une voix légèrement essoufflée. Peut-on faire vite ? Paul est là et je suis sortie sur le balcon pour vous appeler. Il fait plutôt froid.

— Bonsoir, ça peut ne pas durer longtemps si vous ne posez pas de questions par rapport à la demande que je vais vous faire.

— Je vais devoir en poser ? C’est si grave que cela ?

— Je n’en sais rien. Je ne peux rien vous dire pour l’instant. Plus exactement, je préfère ne rien vous dire. Soit mon hypothèse est fausse, je vous la dis et vous allez me prendre pour une illuminée, soit je ne vous dis rien, je termine de faire mon boulot et quand je vous en parlerai, ce ne sera plus de l’hypothèse mais une vérité factuelle. Et là, peu importe, l’essentiel sera d’encaisser et agir, peut-être sous le coup des émotions, mais avec une réalité pratique prouvée.

— Vous me faites peur.

— Je vous jure que ce n’est pas mon intention et pour le moment, il n’y a aucun élément probant pour le justifier. »

Mélinda savait qu’elle mentait à moitié en disant cela mais en même temps, si elle se trompait, avait-elle le droit de plonger sa cliente dans un tunnel de tourments bien sombres, juste le temps de la recherche de vérité. Pour elle, la réponse était clairement non.

« J’ai besoin d’un mandat de votre part pour que je puisse consulter votre dossier d’adoption.

— Comment le savez-vous ?

— De quoi ?

— Que j’ai été adoptée. Ce n’est pas sur Paul que vous enquêtez ?

— Si mais la question que vous m’avez posée ne vous exclut pas de l’équation. Je dirai même que dans certaines hypothèses, vous êtes une variable importante. Pour le meilleur comme pour le pire. »

Lisa laissa passer un silence. Elle devait tenter de remettre en ordre toute sa réflexion pour légitimer une telle requête. Depuis son dix-huitième anniversaire, elle était autorisée à demander l’accès à son dossier. Mais elle ne l’avait pas fait. C’était une manière de dire son amour à sa mère adoptive. Un juste retour des choses. La symbolique de la décision était lourde et pourtant, il lui fallait répondre aussi rapidement que possible.

« Bon… Je vous envoie ça dans la nuit. Au pire demain matin à la première heure. J’espère que vous pourrez m’expliquer tout ça après coup.

— Pas de soucis. Bonne soirée. »

Mélinda s’empressa de raccrocher. Elle se jeta dans le canapé et souffla un grand coup. Elle n’était pas encore au bout de l’histoire mais pour l’instant, les choses s’étaient mieux passées que ce qu’elle s’était imaginé. Maintenant, il fallait qu’elle aille se coucher car la journée de demain n’allait pas être de tout repos.

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