La tête en l'air
de
Bousti
Jai donc participé à l'organisation du championnat régional de sport adapté (pour handicapés mentaux). Je vais vous faire partager une journée où "l'anormalité" est devenue "la normalité"
Afin de faire cela dans les meilleures conditions possibles, nous avons passé, avec d'autre grimpeurs, la journée précédant l’événement a réorganiser tout le mur d'escalade, l'objectif étant de proposer des voies adapté de tout niveaux. En se creusant bien la tête et en étudiant toutes les possibilités nous sommes finalement arrivé a une quinzaine de voies
Le jour J est enfin arrivé. Les participants de tout âges (entre 15 et 60 ans) sont arrivés tous de très bonne humeur et plein d'entrain. On en a vu quelques uns faire le tour de tous les organisateurs pour leur dire bonjour, certains à qui il ne fallait pas parler sous peine de déclencher une crise, d'autres encore qui s'approchaient quand on ne les regardait pas et s’arrêtaient net quand on les regardait. Tout ce public joyeux faisait résonner le gymnase. Certains sont venus avec leur parents, d'autres avec éducateur et coach. Parfois la même personne possède les trois casquettes.
Nous voila donc devant un public très hétéroclite auquel il va falloir s'adapter très vite. Les éducateurs viennent nous donner quelques conseil pour bien appréhender nos nouveaux élèves. De mon côté, je préfère prendre le temps d'observer chacun d'entre eux. Les regards sont concentrés et je sens que c'est un jour très important. Certains ont besoin de se dandiner sur leur chaise.
L'heure de la compétition a sonné. Les participants répartis par niveau en fonction de leur réussite aux anciens championnats et on vérifie leur niveau au travers des deux voies tests. On en profite pour bien observer leur façon de faire pour être sur que les voies préparées la veille soient bien adaptées. Pas trop dures, pas trop faciles. Pour pallier a tout problème, nous avons des prises en réserve et tout l'outillage à porté de main pour pouvoir adapter les voies au fil de l'eau.
On m'attribue le rôle de juge pour la D1 (la plus haute division). J'appelle mes candidats, vérifie leur équipement, les confie à un assureur et les envois l'un après l'autre dans les voies tests.
Et la, ça devient magique. Celui-ci qui semblait hyper renfermé, qui a eu du mal à s'attacher et à me dire bonjour se révèle sur la voie. Il semble danser sur la paroi et fera d’ailleurs un des temps les plus rapide sur presque toutes ses voies. Ce funambule possède plus de force dans ses bras que la plupart des membres du club réunis, il m'impressionne. Je reste subjugué par son agilité. C'est également le plus technique de tous les grimpeurs, il passe des mouvements compliqués (double adhérence, pied/mains). Pendant que je me concentre sur "mes grimpeurs" un jeune garçon (appelons le Mathéo pour la suite) vient s’asseoir à coté de moi et commence à me poser plein de questions pour savoir si ses copains ont réussi, quel temps ils ont mis, si c'est dur, comment je m'appelle, si je le regarderai grimper... Je me découvre polyvalente : j'ai le temps de lui répondre, de suivre mes compétiteurs, de donner mes instructions aux assureurs et je me surprends même à les encourager.
Tout à coup un hurlement "J'AI REUSSI! J'AI REUSSI! J'AI GAGNE!". Cette fille vient de monter tout en haut de sa voie test en D3, son éducatrice nous explique que cela faisait bien longtemps qu'elle n'était pas aller jusqu'en haut. La plupart des jeunes dans la salle l'applaudissent et l'esprit de compétition s'évanouit immédiatement. En D1, il y a plus de concentration. Chaque concurrent prend vraiment le temps d'observer les voies avant de monter. Les divisions inférieur sont plus détendus : les participants, s'encouragent, s'applaudissent chaque fois que que la ligne rouge (les 3 mètres) est dépassée.
La journée bat son plein et tout le monde, bénévoles, assureurs, jury, réservistes, donnent de la voix. Le gymnase résonne de vie. Soudain un grand BOUM ! Un compétiteur vient de tomber. C'est la première chute du jour et cet accroc semble avoir atteint le moral du participant. On l'encourage à poursuivre sa voie mais il s’énerve, crie, tape le mur. Après quelques minutes, c'est finalement un autre participant qui va le motiver a reprendre sa voie. Malgré tout ses efforts, il n'y arrivera pas et sera donc descendu d'un niveau.
Il n'y pas beaucoup de participants en D1, donc je suis vite embauchée pour aider les jurys des autres divisions. Alors que j'assure une participante,que je dois sans cesse rassurer, le jeune Mathéo viens me voir m’attrape par le baudrier pour que je le suive. Pour une question de sécurité, je suis obligée de l'envoyer balader malgré moi ( j'ai une vie entre les mains et je ne peux pas quitter mon poste). Je finis avec ma candidate et cherche le jeune Mathéo des yeux. Il est accroupis dans un coin, et refuse de parler à qui que ce soit. Je me fais remplacer et m'approche de lui. Dès qu'il me voit, il détourne le regard. Je m'en veux de mon comportement avec lui. Son éducatrice me pousse à lui parler. je lui prends la main, le rassure, lui parle des résultats de ses copains, au bout de quelques minutes il se lève et m’entraîne près des voies. Je l'assure pour sa voie test, l'encourage. On m'explique qu'il ne voulait plus grimper. J'ai bien fait de l'encourager car ce jeune va finir deuxième de sa catégorie en D3. Dans la journée, Mathéo viendra à la fin de chacun de ses passages me demander si je l'ai regardé et voudra une photo avec moi après avoir reçu sa médaille.
On enchaîne sur les premières voies de qualifs. La tension monte d'un cran. Tous ont compris que les choses sérieuses commençaient. Ils
n'ont plus le droit à l’erreur, une chute et c'est le retour à la case départ. On entend beaucoup moins d'applaudissements : seulement en D3 et si le grimpeur a réussi à atteindre le Top. Pourtant on ne peut s’empêcher de les encourager, de les guider un peu sur les voies.
Durant la pause repas, le responsable bénévole nous demande d’instaurer un esprit plus compet' l’après midi pour primer la performance des participant, ainsi, ils seront moins déçus s'ils n'ont pas de médaille.
Pendant la pause, on en profite pour tester à nouveau les voies et faire les ajustements nécessaires et rééquilibrer les niveaux. Alors que je monte une voie pour effectuer les manips, j'entends un cri : « allez Lisa ! » cri Mathéo. Il se tient juste derrière mon assureur, me regarde, m'encourage et m'applaudit. La manip se faisant dans une voie difficile en devers, je chute. Impossible de raccrocher à ma voie, on me descend donc. Mathéo s'empresse de me réconforter : « tu as fait de ton mieux, c'est une voie dure quand même ». Des mots qui sur le coup me font sourire.
La compétition reprend avec dans nos tête cette esprit compet' a transmettre. Je me rends compte que c'est difficile de ne rien dire.
J'expédie rapidement mes grimpeurs de D1 qui n'ont besoin de rien ni personne et je vais faire du contre-assurage en D3 (catégorie où ils sont le plus nombreux).
Je me retrouve à vérifier des baudriers, les serrer, faire des nœuds et lancer les grimpeurs sur les voies. On sent qu'ils sont fatigués, une mauvaise humeur s'installe (notamment pour les trisomiques qui n'ont pas pu faire une sieste).
Sabrina est concentrée, elle n'a fait que tomber sur les premières voies. Elle se retrouve tétanisée à 1m du sol. Les grimpeurs sont limités à 5 minutes sur la voie maximum. Cela fait deux minutes qu'elle pousse des petits cris, elle n'arrive pas à lâcher une main pour attraper la prise suivante. Elle respire, souffle et sue. Cela fait 3minutes qu'elle coince sur ce mouvement. Un de ses camarades se met a applaudir et le mouvement est suivi par les autres D3. Elle finira juste quelques secondes avant la fin du temps imparti à monter sa main, puis chutera. Elle a fait le plus gros effort de toute sa vie. Entre pleure et hurlement de joie son cœur balance. Dès qu'elle pose un pied au sol, je me dépêche de la détacher et de la rassurer : « tu as fait de ton mieux, c'est une voie dure ». Croyez moi, vous ne savez pas ce qu'est le dépassement de soi. Elle oui.
De son côté, Laure qui ne peut s’empêcher de crier quand elle réussi une voie. Qui pense qu'elle a gagné a chaque voie ! On la redescend au cri de ses « J'AI GAGNE ! J'AI REUSSI! ». Arrivée au sol, elle se précipite dans mes bras, me fait un câlin, me claque un bisou (baveux) sur la joue. Puis fait de même avec tous ceux qui sont là autour. Elle est tellement contente qu'elle veut rendre tout le monde heureux.
Il y a Adam aussi. Lui est tellement pressé de monter et de gagner qu'il commence à monter avant même d’être attaché. Il faut le calmer. Plusieurs fois.
Plus têtu, Jean-Philippe ne veut plus monter et me demande toujours si c'est la dernière. Il est de mauvaise humeur, son père l'encourage sans cesse. Il sait qu'il en est capable et qu'il fait juste sa tête de mule.
Mathéo, lui, est toujours jovial et super content que je m'occupe de l'assurer. Il a confiance en moi et ça me rend encore plus responsable.
On enchaîne les grimpeurs, on est un peu en retard. J'essaie quand même d'avoir une phrase gentille a chacun d'eux. Pour qu'ils soient content de leur journée. Pour qu'ils gardent un bon souvenir. Pour le dépassement de soi. Pour la leçon de vie qu'ils me donnent. Pour la claque d'humanité que j'ai prise dans ma gueule.
Une fois que tous le monde est passé sur les voies de qualifs et de demi-finale, on laisse une pause de 15 minutes puis on attaque les finales.
Les voies sont centrales, éclairées, les grimpeurs participants sont mis en avant. Les éliminés sont déçus, mais reste quand même la pour encourager les autres. C'est une vraie compétition d'escalade.
Les finales de chaque divisions se font toues en même temps. On leur ouvre la voie (une personne qui connaît la voie et les mouvement la fait au vue de tous les participants), puis on les envoie chacun leur tour sur le mur.
Je suis officiellement le juge de la D1. Je me sens un peu comme une touriste puisque les participants sont lancés sur une voie que moimême je n'arrive pas à faire. Je suis impressionnée par leur technique.
Le premier concurrent de chaque division se lance. Je suis concentrée sur le mien : il sort sa voie en 53''47. un record. Le temps d'envoyer le suivant sur le mur, je vois le grimpeur de D2 chuter. C'est un autiste. Il fait les cent pas dans le gymnase en répétant en boucle « je suis tombé, je suis tombé, je suis tombé, je suis tombé ». Cela devient difficile de se concentré, il est juste derrière moi. « je suis tombé ». Au suivant. « Je suis tombé ». Tombé prise 12. « Je suis
tombé ». Au suivant. « Je suis tombé ». Top en 56''24. « Je suis tombé ». je n'ose pas demandé a quelqu'un de l'éloigner et il a l'air d'aimer marcher derrière moi. « J'AI GAGNE ! J'AI REUSSI ! ». Laure est en haut du mur. « Je suis tombé » est en bas ; le contraste est saisissant. Il semble blessé par ses paroles, elle ne se rend compte de rien et lui fait un câlin. Les finales se finissent, on transmet les résultats au coordinateur.
Le moment tant attendu de la remise des prix arrive. Tous les participants ont finalement droit a une récompense. Une casquette pour tous, des médailles aux vainqueurs ; Ils sont heureux et ils le font savoir au travers de cri, d'applaudissement, de hip-hip-hip…
Les parents viennent nous remercier. On prend quelques photos. Puis on retourne sur notre mur, il faut tout remettre en place pour le lendemain.
Quelques jours ont passé depuis cet événement et je suis toujours sur le cul. Cela m'a fait prendre pas mal de recul sur moi même et sur ma façon de vivre. Je veux ressentir les choses à fond comme eux le sont capable. Même si c'est à double tranchant.
Des milliers d'œuvres vous attendent.
Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.
En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.
Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion