chapitre 3
Là, c'est la merde. Internationale.
Je n'ai rien vu venir.
Mais je dois bien me rendre à l'évidence : j'ai complètement foiré.
Un coup d'œil à Sandra, mollement avachie dans le fauteuil. Aucun risque de ce côté-là. L'urgence n'est pas là.
J'ouvre la fenêtre en grand, passe par-dessus le parapet et me retrouve à chercher, le nez dans les herbes hautes.
J'entends bien des ricanements moqueurs, mais impossible de les localiser.
Si je les perds, si je perds le contrôle, alors c'est la catastrophe.
Je sors du jardin, j'arrive dans la rue.
Je vous promets que je commence à avoir très chaud.
Enfin, je les aperçois, au loin, tournant derrière une façade.
Ils s'étaient mis en boule.
Je les poursuis.
Je cours comme un dératé, ma cravate vole derrière moi. Je l'arrache et la balance.
Je gagne de la distance sur la boule qui file à toute allure sur le trottoir. Je vais la saisir, je tends la main. Au moment où je crois que je la tiens, elle tourne à angle droit et entre dans un jardin dont le portail était ouvert.
Emporté par mon élan, je fais un roulé-boulé sur le bitume et m'arrache un morceau de mon crâne. Le temps de me redresser et de me précipiter dans le jardin, elle avait disparu.
La maison, devant moi , une vieille bâtisse du siècle dernier, s'élevait sur plusieurs étages. Je constate avec horreur que la porte d'entrée est entrouverte.
Ça se complique. Ça prend des proportions gigantesques.
Je monte les escaliers du perron, pousse la porte doucement, jette un œil à l’intérieur. Le hall d’entrée était plongé dans la pénombre.
— S’il vous plaît ? Il y a quelqu’un ?
Le silence me répondit en écho.
J’entre complètement, fis quelques pas, mes sens tendus à l’extrême.
La porte derrière moi se claque avec un bruit mat.
— Qu’est-ce que c’est ce bordel !
J’étais dans le noir, enfermé dans une maison inconnue, avec une boule de miasme fugitif et facétieux.
Je tends les mains devant moi, à la recherche d’un support, d’un repère, d’une sortie.
J’écarquillai les yeux dans l’obscurité, ma main trouva une porte, une poignée, je l’actionnai.
La porte s'ouvrit sur une petite pièce carrée, très peu meublée. Un fauteuil qui me tournait le dos, face à une cheminée éteinte. Quelques rayonnages qui montaient jusqu'au plafond. Une odeur d'encens un peu lourde flottait dans l'air. Pas de fenêtre. Je n'arrivais pas à distinguer d'où venait la lumière.
Je m'avançai vers la cheminée, pour vérifier si quelques êtres noirs ne s'étaient pas cachés dans les cendres. Je pris un tisonnier qui traînait à côté pour fouiller dans l'épaisse couche.
— Tu ne vas pas bientôt arrêter de faire de la poussière, dis-moi !
La voix venait de derrière moi. Je le constatai en me retournant. Un petit être malingre était vautré dans le fauteuil. Il me fixait de ses yeux brillants et manifestement mécontent.
— Si tu es venu pour salir, tu peux t'en aller !
Sa voix grinçait, montait dans des aigus difficilement supportables.
Je me confondis en excuses, tentant de calmer les battements de mon cœur qui étaient montés à un rythme vertigineux.
— Je suis vraiment désolé, balbutiais-je... je suis à la recherche de... de... J'étais incapable de dire précisément ce que je cherchais... Ils sont entrés ici... la porte était ouverte...
— Oui, ils t'ont échappé, siffla-t-il. Son visage devenait rouge derrière sa barbe. Il balançait ses jambes maigres. Il fulminait.
— Et tu croyais les trouver dans la cendre ?? hurla-t-il ?
Sa fureur vibrait dans la pièce, les livres tremblaient sur les étagères. Il me perçait les tympans à me hurler dessus comme ça. J'avisai que je tenais encore le tisonnier dans la main et constatai que j'avais une furieuse envie de m'en servir.
Tout cela n'avait plus aucun sens. J'étais prêt à éclater le crâne d'un vieil homme. Je posai la tige de fer, respirai un bon coup.
— Monsieur, encore désolé du dérangement. Pouvez-vous m'indiquer la sortie ?
— Démerde-toi, mon gars. Tu es entré de ton plein gré, débrouille-toi pour en sortir. Mais je te préviens, tu n'es pas au bout de tes peines. Sa voix avait baissé d'intensité. Regarde-moi bien. Tu ne me reconnais pas ?
Interloqué, je dévisageai le petit homme. Et ça me frappa comme un coup de poing en pleine face.
C'était mon grand-père.
Mais il était mort depuis des années. Je cherchais des yeux un siege pour m'asseoir.
Il n'y en avait pas. Évidemment. Ça commençait à complètement m'échapper. Je perdais pied.
— Mon gars, tu es là parce que tu n'as pas réglé certaines choses avec moi.
Il se leva de son fauteuil, se dirigea vers moi, me prit la main.
— Allons, va t'asseoir, tu es blanc comme un linge.
Comme un somnambule, je m'assis sur le fauteuil.
— Alors, mon gars, qu'est-ce que tu voulais me dire que tu ne m'as pas dit ?
Je fermai les yeux, pris d'une immense fatigue. Je pensais à Sandra, en train de ronfler dans mon cabinet. À tous ces miasmes dispersés dans cette maison. Qu'est-ce que je faisais là ? J’avais la conscience ultime que je devais lui répondre. Que c’était essentiel.
Mon grand-père, de son vivant, était le plus grand égoïste que je connaissais. Il n’en avait rien à faire de rien. Il ne pensait qu’à lui. Il avait abandonné ma mère et mon oncle quand ma grand-mère était morte d’un cancer. Ma mère avait 12 ans. Heureusement que ma tante, leur grande sœur, avait pu les recueillir, sinon… c’était l’orphelinat. Il est parti avec une autre femme. Je sentais la rage me reprendre. À l’époque de son décès, je n’étais qu’un gamin. Maintenant, j'avais vraiment envie de lui balancer un bon coup de tisonnier à travers la gueule.
— Tu as abandonné ma mère au moment où elle avait le plus besoin de toi !!
Il me regardait. Intensément. Sa bouche s’ouvrit.
— Eh bien voilà. Ça n’était pas si compliqué. Ça va mieux ?
Le fait est que je me sentais mieux. Une sorte de soulagement. Indéfinissable.
— Maintenant il faut que tu ailles jusqu’au bout, mon gars.
— C'est-à-dire ?
— Monte l’escalier dans le hall. Va au bout. Trouve ce que tu cherches.
Il grimpa dans le foyer de la cheminée, se mélangea aux cendres et disparut.

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