chapitre 4

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J’allais sortir de la pièce. Honnêtement, je ne savais pas encore ce que j’allais faire. Monter à l’étage ou sortir pour retrouver Sandra, qui allait bien finir par se réveiller ? Juste avant d’ouvrir la porte, je butai contre une petite boule noire qui gémit en retour. Un petit miasme rampait en tremblant sur le sol poussiéreux. Je ne m’étais pas aperçu qu’il avait glissé de moi, mais évidemment que ça devait arriver. Je le saisis délicatement entre deux doigts et le remis au chaud dans ma poche.

Dans le hall il y avait à présent de la lumière. Et en effet un large escalier. Les marches étaient de bois. Je le considérais un instant. Posai ma main sur la rampe de laiton poli et mis le pied sur la première marche. Aussitôt une fulgurance me pénétra. Je me sentis aussitôt beaucoup plus détendu et détaché. La marche craqua sous mon poids. Je continuais mon ascension. Je ne distinguais pas le haut de cet escalier. Il semblait interminable il montait tout droit et les marches se succédaient aux marches.

Dans ma poche le petit miasme s'était endormi. En tout cas il ne bougeait plus.

Miaou.

Quoi ? Un chat roux se prélassait sur une des marches, j'avais failli lui marcher dessus. Il leva la tête vers moi. Ses yeux verts scintillaient. Caline. Ma chatte que j'adorais. Elle ronronna aussitôt quand je lui caressai la tête. Que fais-tu là toi ? Elle poussait sa tête dans ma main pour avoir encore plus de caresses. Cette rencontre me ramena des années en arrière. C'était bien de la revoir. Simple. Caresse et ronron.

Je serais bien resté là à jouer avec elle. Mais je devais continuer. Elle m'accompagna du regard en se léchant une patte.

Je distinguais enfin le palier tout en haut. Cet escalier avait bien une fin. La dernière marche, un peu plus haute que les autres, me fit lever la jambe dans un dernier effort.

De chaque côté, un couloir. En face de moi un miroir. J'en profitais pour jeter un œil à mon visage. Mon reflet souriait. Un sourire un peu figé. Mais moi je ne souriais pas du tout.

Je me précipitai vers la droite. Mon reflet prit à gauche. Je revins aussitôt devant le miroir. Je ne voyais rien. Aucun reflet. Rien. Le vide.

Une sueur malsaine me coulait dans le dos. Je me dirigeai vers la droite. Sur le sol de la moquette qui étouffait mes pas. Tous les trois mètres une porte. Toujours la même. Comme l'escalier, ce couloir paraissait sans fin. Les portes se succédaient, à un rythme régulier. Toutes fermées. Sur les murs, des tableaux au fusain, des paysages, des portraits d'inconnus. Au début très large, le couloir rétrécissait sensiblement. Devenait plus étroit. Bientôt mes épaules touchaient les murs et frôlaient les portes. J'allais finir coincé dans cet entonnoir.

Devant moi le couloir s'arrêtait net. Un mur et une porte me faisaient face. Je n'avais plus aucune autre alternative. La porte était différente des autres. Sa couleur. Rosâtre. Avec une poignée ronde en métal doré. Je perçus un frottement derrière moi. Je réussis en me contorsionnant à jeter un regard. Mon reflet. Moi. Qui courait vers moi avec ce sourire figé. Il ne fallait pas que je reste là. J'ouvris la porte et me précipitai à l'intérieur. Un verrou bienvenu était disponible, je l'actionnai. Aussitôt des coups rageurs contre la porte la firent trembler.

J'ignorais combien de temps la porte pourrait résister aux coups rageurs. Je ne sortirai plus par là en tout cas.

J'observais la pièce. Immense. Froide et triste. Aucun ornement. Un plancher en bois, des murs pâles. Et dans un coin un petit enfant de dos qui jouait avec des cubes. Il ne s'était pas retourné quand j'étais entré, tout occupé à son jeu. Je m'avançais vers lui, mu par un sentiment profond de tendresse.

En entendant le parquet craquer, il se retourna. Son visage exprimait la plus intense tristesse que j'avais pu voir dans ma vie. Cet enfant n'avait jamais ri, n'avait jamais été heureux. La solitude était son quotidien. Il tourna vite la tête et retourna à son jeu. Je ne l'intéressais plus. Je n'existais plus pour lui.

Je fus submergé par une vague immense de désespoir. Je m'écroulai au sol en sanglotant.

Le petit miasme que j'avais dans la poche en profita pour en sortir. Il se dirigea vers l'enfant en rampant et gémissant. Je le laissai faire. Il grimpa sur son petit dos et pénétra en lui. L'enfant se redressa, se retourna vers moi, sembla me reconnaître comme je le reconnus. Ses yeux brillaient. Et dans un geste que je n'attendais pas, que je n'attendais plus, il tendit ses petits bras vers moi. Vous savez, comme quand un enfant veut que vous le preniez dans vos bras. Je me précipitai. Il bondit. Son contact fut si doux, si chaud, avec cette odeur de crayons, de sucre et de liberté qu'ont les enfants. Il blottit son visage dans mon cou et serra si fort avec ses petits bras. Je sentais son cœur battre.

Après un temps que je ne pus quantifier, il se détacha et me regarda. Son sourire me transperça. Il illuminait la pièce tout entière. Il me nourrissait et éclairait tous les recoins. Il glissa pour retrouver le sol et me dit le plus simplement du monde :

-On y va maintenant ? Je lui saisis la main. Une porte se découpa en face de nous. Elle s'ouvrit sans que nous n'ayons rien à faire. L'escalier était devant nous. Je sentais sa petite main serrer la mienne. Il me transmettait par ce contact tout ce qui m'avait manqué, cet oubli. Je l'avais oublié depuis tout ce temps, relégué dans cette pièce froide et austère. Cette transfusion, cet échange qui se transmettait par son contact, par ces retrouvailles me complétait. Je me sentais enfin parfaitement entier.

Nous descendîmes gaiement les marches. La descente me parut beaucoup plus courte. Caline n'était plus là. Arrivé en bas, il me fixa un instant avec ce sérieux que peuvent avoir parfois les enfants.

- Tu ne me laisseras plus seul hein ? Tu feras attention à moi ?

Le visage brouillé de larme, je m'accroupis devant lui

- je te le promets. Je ne t'oublierai plus jamais. Tu fais partie de moi à présent. On avance ensemble.

- Alors ça va.

J'ouvris la porte, elle céda facilement. Dehors le bruit de la rue, le soleil.

- Salut me dit-il en refermant la porte.

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