chapitre 5

5 minutes de lecture

Dehors, la réalité m'ébouriffa. J'avais vécu une séquence tellement intense que j'avais l'impression de flotter à côté de mon corps. Je me dépêchais de rentrer : Sandra allait commencer à s'impatienter si elle ne me voyait pas. Je rentrai à l'intérieur de mon cabinet de la même façon que j'en étais sorti : par la fenêtre. Sandra, un peu plus avachie sur le fauteuil, respirait doucement. Il ne s'était rien passé pour elle.

Je constatai que la malle était irrémédiablement vide, et ça restait un immense problème. J'étais responsable de ces miasmes. J'en devenais le propriétaire après le savoir récolté sur mes patients. Le dépositaire. J'en avais la pleine et entière responsabilité.

— Au compte de trois, vous allez revenir ici et maintenant, et ouvrir les yeux pleine d'énergie et en pleine possession de vos moyens. Un, deux, trois.

Sandra ouvrit les yeux, puis les referma aussitôt. Sa gorge fit passer un peu de salive, puis elle bailla.

— Whaou, c'était super !

— Je pense que vous avez fait un excellent travail. Comment est-ce à l'intérieur de vous à présent ?

Elle posa sa main sur sa poitrine, ferma les yeux et prit une grande inspiration.

— Je me sens... libérée... Il y a un poids qui est parti. Je ne sens plus cette oppression à l'intérieur. Comment avez-vous fait ?

Elle ouvrait des yeux ronds et ses joues avaient pris une belle couleur.

— Secret professionnel. Ce sont des choses que je ne peux divulguer, dis-je avec un clin d'œil.

— Je me suis vue toute petite... quelqu'un me faisait du mal... et une grande moi est venue et lui a cassé la gueule ! C'était bon !

— Parfait alors. Je ne pense pas que nous allons nous revoir, en tout cas pas pour cette problématique.

— Merci pour tout. Je me sens vraiment mieux.

Je la raccompagnai vers la porte de sortie.

— Prenez soin de vous, Sandra.

Je refermai la porte. Je me retrouvai seul. Seul avec mes interrogations et ce problème phénoménal : retrouver les miasmes échappés.

Une certitude : ils étaient dans cette maison. Je devais y retourner.

Trois coups brefs sur ma porte. Sandra aurait-elle oublié quelque chose ?

— Ce n'est pas à vous, ça ?
Elle me tendait une masse gélatineuse qui se déformait, prête à couler sur le sol.

— Heu... si... Mais où l'avez-vous trouvée ? C'était un miasme. D'où sortait-il ? Comment était-ce possible qu'elle le voie ?

— Dans votre allée. Il a l'air mal en point.

Le fait est que le miasme n'était pas bien vigoureux. Il coulait et dégageait une odeur forte. Je m'en saisis et m'apprêtais à rentrer pour le remettre dans la malle.

Sandra attendait.

— Je peux faire quelque chose pour vous ? lui demandai-je.

— Oui.
Elle me regardait avec insistance. Elle était différente : plus droite, avec un air décidé que je ne lui connaissais pas.

— Je peux entrer ? proposa-t-elle.

— Oui, oui, bien sûr.
Je m'effaçai pour la laisser entrer, toujours avec la masse qui filait entre mes mains.

Dans mon cabinet, elle ne s'assit pas.

— Vous m'avez enlevé ce qui m'encombrait depuis tant d'années. Mais vous avez fait preuve de négligence.

Qu'allait-elle m'annoncer ? Tout allait bien, elle l'avait dit.

— Vous n'avez pas comblé le vide que ça a laissé à l'intérieur de moi !

Elle devint toute rouge, ses yeux lançaient des éclairs.

C'était vrai ! Bon sang !

— Alors autre chose est entré, a pris la place. S'est installé.
Il s'est connecté au moment où j'entrais dans ma voiture.
Je vois les choses différemment maintenant. Ce n'est pas désagréable.

Elle souriait, montrait ses dents.
Un sourire un peu trop carnassier.

— Alors où est le problème ? Balbutiai-je. Je n'en menais pas large. J'avais cumulé erreur sur erreur aujourd'hui.

— Le problème ?
Elle s'était redressée et me dominait de toute sa hauteur.

— C'est que j'ai envie de tuer à présent !

Mon regard, malgré moi, fit le tour de la pièce à la recherche d'une quelconque arme. J'étais coincé derrière mon bureau, dos au mur. Aucune échappatoire. Si je ne la calmais pas tout de suite, cela allait mal finir pour moi.

Je pris un air détaché, tentant d'apaiser mon cœur qui voulait à tout prix sortir de ma poitrine.

— Et si vous vous rasseyiez ? Nous allons trouver une solution. Je suis sûr que cette envie de tuer est passagère.

Je constatais que non seulement elle ne se rasseyait pas, mais qu'en plus ses ongles s'enfonçaient comme des lames dans le bois de mon bureau.

Je remarquai que je ne m'étais toujours pas occupé du miasme malade qu'elle m'avait apporté.

Il stagnait dans ma main, amorphe.
Je le lui lançai au visage, puis je glissai sous mon bureau.
J'en profitai pour me faufiler entre ses jambes et sortir en courant.

Une fois dans la rue, j'entendis Sandra hurler. J'ignorai ce que le miasme lui avait fait et je m'en fichais.

J'étais déterminé à fuir cette représentation de Sandra, à mettre une distance considérable entre moi et elle.

J'arrêtai bientôt de courir. D'une part parce que j'étais assez loin, et de deux parce que j'étais essoufflé comme un bœuf. Ce n'était plus de mon âge de courir ainsi. Je repris mon souffle, haletant.

Ma course m'avait dirigé, sans que j'en prenne conscience , vous vous en doutez , vers la maison.
Dans quel autre endroit pouvais-je trouver des réponses ?

J'avais l'intuition très forte que la ou les solutions se trouvait à l'intérieur de cette bâtisse étrange.

J'arrivai bientôt devant le portail. Je n'avais cessé de jeter des regards inquiets derrière moi, m'attendant à voir surgir une Sandra sanguinaire à mes trousses.

Il était fermé. Le portail était fermé. Comment allais-je pouvoir entrer dans cette maison ? Les complications de ces péripéties commençaient à me peser.

J'essayai sans succès de le pousser, de le tirer. Rien ne bougeait.
Je levai la tête. Passer par-dessus, peut-être ?
Des piques extrêmement acérées en ornaient le bord. J'abandonnai l'idée.

Mais... il y avait une sonnette.
Très bien, je vais sonner.

Je laissai mon doigt sur le bouton noir pendant au moins dix secondes.
Rien. Aucun bruit ne venait de la maison.
Je ne voyais rien à travers le portail, et la nuit commençait à tomber.

J'allais renoncer.

Le portail s'ouvrit. Sans un bruit.

Je fis quelques pas sur le gravier.
Personne.
Bon... j'étais entré. Je me dirigeai vers la porte d'entrée.
Fermée, elle aussi. Décidément.

Je frappai plusieurs fois, attendis un long moment. Rien.

Dépité, je redescendis les quelques marches du perron.
Je remarquai, le long de la façade, une porte en bois — une porte de cave.
Je l'actionnai. Elle s'ouvrit.
Des marches en ciment poussiéreuses descendaient dans le noir.

J'avoue qu'à ce moment-là, je frissonnai.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire eric Jordi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0