Chapitre 7

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J'allais mourir.
C'était évident.
Que valait un thérapeute dans les combats contre un chien.
Rien.

Le molosse s'était ramassé sur lui-même.
Il allait bondir.
Son corps tremblait, je voyais ses muscles se tendre, ses nerfs et tendons tressaillir.

Je reculais.
Bientôt stoppé par l'étagère derrière moi.

Au moment où je pensais ne plus jamais revoir la lumière du soleil.
Le chien s'assit.
Sa tête se pencha sur le côté comme si il écoutait.
Effectivement, une musique flottait dans l'air. Subtile.
Du violon.

Je n'arrivais pas à percevoir d'où venait cette musique.
Elle semblait faire partie de l'air lui-même.
Le chien écoutait sagement.
Il s'était même couché et avait posé sa tête sur ses pattes.

Je ne l'intéressais plus du tout.
Je posais le tesson inutile sur l'étagère.
Sans le quitter des yeux, on ne sait jamais,  je m'éloignais vers le fond de la pièce.
La musique me parut plus forte.
Plus précise.

Une porte se découpait dans l'ombre du mur.
Décidément cette maison était pleine de surprises.
Mais il fallait avoir le cœur bien accroché.
Je posai mon oreille sur le bois.
Le son venait d'à côté.

Je repérai la poignée.
La porte s'ouvrit sans difficulté, envoyant à mesure que je l'ouvrais des bouffées de musique de plus en plus fortes.
Mais ce n'était pas une pièce qui se trouvait derrière.
Non.

C'était une cabine d'ascenseur.
La musique venait d'elle.
Je n'étais pas sûr de vouloir rentrer dedans.
Je réfléchis à toute vitesse.
Je n'avais matériellement pas d'autre choix.
À moins qu'un escalier tombe tout rôti du plafond !
J'étais exaspéré.

Un coup d'œil vers le molosse qui avait à présent des allures de gentil toutou,
je mis un pied dans la cabine.

C'était une cabine très classique.
Il y avait tout ce qu'on pouvait s'attendre à trouver là.
Sauf qu'il n'y avait qu'un seul bouton.
Un seul.
Tracée en lettres dorées et police compliquée : grenier.

Dès que je fus complètement entré, la porte se referma dans un souffle.

La cabine vibra.
L'ascension avait commencé.

Je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait là-haut.

Après quelques secondes, j'étais arrivé.
La musique s'était tue.
Je poussai la porte avec une appréhension légitime. Ce fut d'abord l'odeur de poussière et de renfermé qui me sauta dessus.

C'était un endroit qui n'avait pas été aéré depuis un long moment.
Pourtant, des fenêtres de toit laissaient entrer la lumière.
Mes pas faisaient danser des particules de poussière dans les rayons du soleil qui filtrait à travers les carreaux mouchetés de chiures de mouches.

La charpente, apparente, développait son ossature de bois dans un mikado de poutres et de chevrons à l'assemblage complexe.

Au sol, des cartons.
Une multitude de cartons. Sur plusieurs étages. Empilés sans ordre.
Tous recouverts d'une épaisse couche de poussière grise. Un endroit de stockage pour des mémoires oubliées là.

Je déambulais dans les espaces laissés vacants par les cartons.
C'était des petits chemins un peu labyrinthiques qui louvoyaient sans cohérence.

Je repérais une étiquette sur l'un d'eux.

Mon nom était écrit dessus, en lettres fines.

Je finissais par ne même plus m’étonner de ce que cette maison pouvait me proposer.
C'était un gros carton. Je le fis glisser devant moi, traçant une tranchée dans la poussière.
Il était scellé avec du gros scotch havane que j’arrachai avec curiosité. Une fois le couvercle libéré, je soulevai les rabats pour accéder au contenu.
Je fus saisi d’effroi.
Il était rempli de miasmes qui s’agitaient en tous sens et hurlaient.
Je refermai précipitamment le couvercle et posai un autre carton dessus pour en interdire la sortie.

Ces miasmes m’appartenaient. En tout cas, c’est ce que l’étiquette stipulait.
Qui les avait récoltés ? Je n’en avais aucun souvenir.

Je regardai plus précisément l’étiquette avec mon nom. Elle paraissait bien épaisse. Je la décollai et découvris en dessous un papier soigneusement plié. C’était une lettre.
Elle commençait ainsi :

Mon cher fils,
Si tu lis cette lettre, c’est que tu as trouvé ce qui t’appartenait.
Ces miasmes faisaient partie de toi il y a très longtemps.
Je t’en ai débarrassé. Je te les confie.
Tu sauras quoi en faire, j’en suis sûr, maintenant que tu es adulte et responsable.
Je ne t’en ai pas parlé plus tôt car, comme tu le sais, j’ai disparu avant qu’on ait pu vraiment se connaître.
Si j’ai un conseil à te donner : prends-en soin.
Ce qui faisait partie de toi et t’empêchait d’avancer peut, à présent, t’aider à comprendre comment être  meilleur.
Rien n’est à mettre de côté. Tout a un sens.
Je t’embrasse, mon fils.

Papa.

Papa. Je n'en avais que des souvenirs fugaces. Des photos floues que me montrait parfois ma mère. C'était un fantôme dans mon existence, un être immatériel qui n'avait eu, de par son absence, que très peu d'influence sur moi. Et maintenant cette lettre... ces révélations. Il avait donc passé du temps avec moi, pris soin de moi. Ce carton plein de miasmes extraits de moi par lui me criait cette évidence.

Je ne pouvais pas les laisser là. Il fallait que je les emporte ou que je les transforme. J'enlevai le carton que j'avais positionné dessus et soulevai délicatement les rabats. Ils formaient une masse mouvante et tremblotante, se soulevant en vaguelettes à la surface. Ils geignaient et criaient comme tous les miasmes, mais c'étaient les miens. Je venais de comprendre dans ma chair et dans tout mon être que rien n'était à jeter en nous, rien n'était à mettre de côté. Tout était respectable : toutes les parties de nous pouvaient agir et interagir dans la même unité. Cette notion de ce qui était bien et de ce qui était mauvais était finalement fallacieuse, source d'arrogance et de pauvreté intérieure. Ce qui fait l'unité, la richesse et la force d'un être complet, c'est son entiereté.

Pris d'une fulgurante intuition, je plongeai mes mains dans la masse noire. Aussitôt, les miasmes grimpèrent, s'accrochèrent en filaments le long de mes bras. Bientôt, j'en fus entièrement recouvert. J'ouvris la bouche. Ils y entrèrent en couinant de joie.

Je fermai les yeux et les accueillis pleinement, totalement, sans réserve ni retenue. Je les sentais danser à l'intérieur de moi. Ils réinvestissaient leurs anciens territoires, reprenaient leur place. Pour la première fois de ma vie, j'étais en accord avec toutes les parties de moi.

J'étais le maître du monde, de mon monde. Une confiance absolue me submergea. Je me sentais puissant, sage et en connexion avec tous les phénomènes de l'univers. J'ouvris les bras, levai la tête et, dans le silence de ce grenier, je poussai un cri qui emportait tout sur son passage.

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