chapitre 8
Quand j’ouvris enfin les yeux, quand les échos de mon cri eurent fini de rebondir dans le grenier, je laissai monter un sourire sur mes lèvres.
Ma transformation était achevée.
Toutes les parties de moi s’étaient réconciliées.
Une à une, les connexions communiquaient à nouveau. J’étais à présent détenteur de ce secret formidable : tout part de soi.
Toutes les solutions viennent de notre compréhension, de notre responsabilité à accepter que la solution est en nous.
Le malheur avait sa source dans l’illusion que la solution viendrait de l’extérieur, que le bonheur serait à l’extérieur, que les autres, les situations, les événements possédaient les clés de notre développement, de notre tranquillité, de notre épanouissement. Alors que nous avions en nous la capacité d’être profondément heureux par nous-mêmes. Je l’avais oublié.
Je venais de comprendre avec ma vie que j’étais auteur et acteur de mon existence.
Quelle claque !
Derrière un mur de cartons, il était là : un escalier en bois blond qui m’invitait à descendre.
J’arrivai très vite dans le hall, poussai la porte. L’air frais du matin tout neuf me gifla le visage.
Je fis les quelques pas qui menaient au portail. Je me retournai, jetant un dernier regard reconnaissant à cette maison qui m’avait permis de me retrouver, de me réconcilier avec moi-même.
Je mis ma main sur la poignée du portail, tirai vers moi le lourd vantail de fer.
Sandra était juste derrière. Les cheveux décoiffés, la mine défaite, les restes du miasme que je lui avais jeté teintant son visage d’une clarté blafarde.
— Vous en avez mis, du temps, à sortir de là, me lança-t-elle. Vous êtes disposé à m’aider à présent ?
Je posai réellement les yeux sur elle. Je perçus, avec une acuité troublante, la nature de l’entité qui avait investi le vide laissé par son miasme. Une masse violacée située juste en dessous de sa gorge, qui me regardait d’un œil torve.
— Oui, répondis-je calmement. Maintenant, je suis prêt.
Nous n’avions pas le temps de retourner à mon cabinet. Il fallait agir vite. Dans la cour de la maison, un peu à l’écart, une table et deux chaises nous attendaient. Parfait.
— Suivez-moi Sandra. Je vais m’occuper de vous.
— Pourquoi je vous suivrais ?
Parce que vous êtes fatiguée, Sandra. Parce que vous voulez que ça s’arrête. Parce qu’au fond de vous, vous savez que je peux vous aider à présent.
Elle hésita quelques secondes. Au loin, on entendait un chien aboyer et les cris des oiseaux se poursuivant dans les branches.
Elle finit par me suivre et nous rejoignîmes la petite table ronde et ses deux chaises qui nous invitaient à nous asseoir.
– Pendant notre dernière séance, j’ai commis une terrible erreur. J’ai retiré un énorme miasme, cette boule de souffrance qui s’est formée depuis l’âge de vos trois ans et qui vous faisait tant de mal.
Elle tressaillit. Je continuais.
- Mais il s’est passé un événement que je n’ai pu prévoir et j’ai dû m’absenter un long moment, vous laissant seule avec ce vide en vous que l’extraction avait engendré.
Sandra baissa la tête, ses cheveux recouvrant son visage.
– C’est là que cette chose est entrée en moi, murmura-t-elle.
– Oui.
– Mais qu’est-ce que c’est exactement ? Je l’ai sentie entrer en moi quand je rejoignais ma voiture. Un liquide glacial dans mes veines. Certaines de mes facultés étaient exacerbées, et d’autres complètement mises en veille. J’ai vu cette boule noire, molle et flasque, qui se traînait sur le sol et que je vous ai ramenée.
– Sûrement une partie de son enveloppe qu’elle a abandonnée après vous avoir investie.
Elle eut une moue de dégoût.
– Disons pour faire simple, c’est un squatteur. Cette entité a profité du vide en vous. Mais il ne vous appartient pas, il ne fait pas partie de vous.
– Alors vous allez me l’enlever, et ça va faire un vide, et on recommence ?
Elle s’était levée, furieuse. Je n’en menais pas large.
– Non, cette fois on va procéder autrement.
– C’est-à-dire ?
– Cette fois, on ne retire rien. On transforme et on remplit.
Elle se rassit lourdement.
– Je ne comprends pas.
Je plantai mes yeux dans les siens.
– Vous allez comprendre. Faites-moi confiance, Sandra. Une dernière fois.
Je posai mes mains sur ses épaules. Elle était dure et froide comme une pierre.
– Fermez les yeux, Sandra.
– Encore vos conneries d’hypnose ?
– Non, plus comme avant. Jamais plus comme avant.
Elle ferma les yeux.
Je fermai les miens.
Aussitôt, mes perceptions devinrent plus fines.
Le monde extérieur disparut.
Il ne restait que Sandra. Et le miasme.
Énorme. Beaucoup plus gros que je ne l’avais imaginé.
Une masse noire, grouillante. Tentaculaire.
Il avait envoyé des filaments partout dans le corps de Sandra, dans son cœur, dans son ventre, dans sa gorge.
Il avait, en si peu de temps, réussi à s’enraciner très profondément.
À ma vue, il grogna et se rétracta imperceptiblement.
Prêt à se défendre.
Mais je ne l’attaquai pas.
Je l’observai.
Avec attention.Pour la première fois.
– Je te vois, lui dis-je gentiment.
Il se figea.
Surpris.
– Je te vois et je te comprends.
Tu cherches juste un endroit où être.
Un endroit où tu n’auras pas mal.
Son corps vibra faiblement.
Une hésitation.
– Mais ce n’est pas ta place. Tu n’es pas au bon endroit. Sandra n’est pas ta maison.
Tu la détruis.
Et à toi aussi tu fais du mal.
Il ne bougeait plus.
Attentif.
Je pensais à mes propres miasmes.
Ceux que j’avais réintégrés dans le grenier.
Ceux qui dansaient et virevoltaient en moi.
Pas heureux, ni tristes.
Juste là.
À leur place.
Acceptés et aimés.
– Il y a un autre endroit pour toi.
Pas ici. Ailleurs.
Avec toute la délicatesse dont je disposais, j’ouvris mon cœur.
Je me souvins de ma mère, du petit enfant que j’étais.
De mes propres miasmes.
De mes mains, de mon cœur, une chaleur douce se diffusa.
Constante, absolue.
Pas de la lumière qui brûle et détruit.
Juste de l’amour, de la considération.
Simple. Patiente.
Le miasme frémit.
Ses tentacules se relâchèrent un peu.
Viens.
Je ne te ferai pas de mal.
Je ne te rejetterai pas.
Viens.
Je ne sais pas si il me crut ou si il était trop épuisé pour résister.
Ou si, au fond de lui-meme, il en avait assez de cette existence de parasite.
Qu’il aspirait à autre chose.
Lentement, il se détacha de Sandra.
Un filament après l’autre, se déracinant, remontant, glissant.
Il convergea, se rassembla, formant une boule tremblotante, pulsante, qui flottait entre Sandra et moi.
Je tendis mes mains, paumes ouvertes, accueillantes.
– Viens.
La boule hésita. Vibra. Se laissa tomber dans mes mains.
Elle était tiède, vivante, terrifiée.
Je la tins contre mon cœur, la berçai.
– Tu n’as plus besoin d’avoir peur. Tu n’as plus besoin de faire mal. Je vais te transformer.
Je fis ce que j’avais appris, ce que la maison m’avait montré, ce que mon père m’avait transmis avec sa lettre.
J’ouvris complètement mon cœur et laissai mes propres miasmes danser. Je souris avec mon enfant intérieur, tandis que ma mère m’approuvait, inclinant délicatement la tête vers moi, et que la solidité de mon père me guidait.
L’amour. Juste l’amour pur, inconditionnel, transformateur.
La boule de miasme commença à changer, à se liquéfier, à perdre de sa noirceur.
Elle devenait transparente, légère, presque lumineuse.
Elle se dissipa, légère fumée dans le vent, éparpillée, transformée, libérée.

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