Chapitre 8

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Rien à perdre - 2TH


Ça allait mal finir, il le savait. Il vida d’un seul trait le contenu d’un énième verre, encouragé par un cercle de personnes autour de lui qui lui répétaient “Cul sec ! Cul sec !”. Et la foule explosa lorsqu’il posa son verre sur la table devant lui.

Il avait perdu le compte, mais il savait qu’il en avait pris trop. La musique à fond dans les enceintes lui donnait l’impression que sa tête allait exploser, les gens qui gueulaient à ses côtés lui donnaient le tournis, et les lumières multicolores qui partaient dans tous les sens lui faisaient mal aux yeux.

Martin arriva devant lui, visiblement aussi arraché, un flacon dans la main.

– Tu veux du poppers ? lança-t-il.

Antoine ne répondit pas et s’empara du flacon que lui tendait son pote, puis il inhala les vapeurs qui en émanaient durant de longues secondes pour la narine droite, puis il fit de même pour la gauche, et à nouveau à droite, et de retour à gauche, et encore une fois à droite…

– Hop, hop, hop, on se calme, interrompit Martin en le lui arrachant des mains. Il va plus en rester, si tu continues !

Le poppers fit effet directement, et il avait comme l’impression de pouvoir nager dans cette salle, que son cerveau s’était retrouvé entièrement anesthésié, et que la musique avait baissé de volume. Il se mit à sourire bêtement en regardant dans le vide et en poussant un grognement de soulagement.

Il sentit une main se poser sur son épaule. C’était Emma et son air bienveillant. Il vit dans le regard de son amie une pointe de pitié noyée dans de l’amusement. Elle hocha la tête de haut en bas.

– Eh bah, t’y es pas allé à moitié, dis donc. Tu te sens mieux maintenant ?

– Au top ! Merci infiniment !

Elle sortit son portable et s’empressa de prendre une photo de lui. Le flash lui arracha les yeux et il grimaça de douleur.

– Eh ! Supprime ça !

– Oh que non, ça partira dans le diapo d’adieu. Il va bien être fourni, celui-ci ! Allez, viens, on va danser !

A peine eut-elle fini sa phrase qu’elle l’entraîna vers elle en le tirant par le bras. Il parvint avec un réflexe assez miraculeux pour son état à ne pas s’étaler par terre. Puis il la suivit sur la piste, et se laissa rapidement entraîner par la musique, se calant sur son rythme effréné, ressentant le sol vibrer sous ses pieds.

Et il se laissa emporter dans la nuit, comme s’il n’y avait que lui ce soir, comme si chacun de ses mouvements lui était vital et que cette soirée était la dernière de sa vie…

***


“Tout va bien ? J’ai l’impression que tu m’as ignoré toute la soirée :(“

Antoine décida de ne pas répondre au message de Tom et éteignit son portable.

– J’vais vous prendre un café, un croissant et un chocolat chaud, s’il vous plaît.

Il s’assit sur le tabouret du comptoir en grimaçant. Son dos lui faisait encore mal après la soirée, où il avait dormi plié en deux sur le canapé d’Emma.

– Je suppose que tu t’es bien amusé, lança Roland d’un air amusé. T’es encore arrivé en retard, d’ailleurs.

– C’est clair ! Ça fait deux jours et j’ai encore du mal à m’en remettre. D’ailleurs, t’aurais pas un conseil pour le mal de dos ? Tu dois t’y connaître, vu que t’es vieux.

– Un bon remède serait de commencer par arrêter d’être un sale gosse ! Alors, raconte-moi ce qui s’est passé.

– Tu te souviens de Tom, le mec qui avait fini dans mon lit le lendemain de mon anniv’ ? Eh bah on s’est revu et on a passé une soirée ensemble, mais sans qu’il se passe rien. Et j’arrivais pas à me sortir de la tête, Emma a même dit que j’avais eu un coup de foudre.

– Si Emma l’a dit, c’est que c’est forcément vrai ! Elle a toujours raison, celle-ci.

– Comment tu peux le savoir ? rétorqua Antoine. Tu l’as jamais rencontrée.

– Non et d’ailleurs, j’aimerais bien ! Mais à chaque fois que tu me racontes tes histoires avec les garçons de ton âge, c’est toujours Emma qui te sauve le cul ! D’ailleurs, je suis souvent d’accord avec elle, je suis sûr qu’on s’entendrait bien ensemble !

Antoine souffla du nez en regardant dans le vide, pensif.

– C’est vrai que maintenant que tu le dis… Enfin bref, il se trouvait que ce Tom était aussi hétéro que moi j’étais pédé, il a dragué une troisième année et je les voyais en train de rigoler ensemble, et je sais pas ce qu’il s’est passé après, mais j’serais prêt à parier qu’ils ont fini dans le même lit !

– J’suis d’accord avec toi ! Et puis tu connais bien le proverbe : femme qui rit…

– Et du coup, interrompit Antoine, pour passer à autre chose et mettre tout ça derrière moi, j’me suis enfilé les verres dans compter, et je t’avoue que j’ai plus beaucoup de souvenirs de la soirée. La dernière chose qui me vient en tête, c’est qu’à un moment, j’étais au milieu de plein de gens, en train de faire des culs secs. Emma m’a dit qu’elle me raconterait tout à l’heure, quand on se verra.

– C’est important de se vider la tête de temps en temps. Des fois, c’est la seule manière de régler ses problèmes et de passer à autre chose. De toute façon, d’après ce que tu m’as raconté sur lui, ça avait pas l’air d’être un gars bien pour toi, c’est mieux comme ça. D’ailleurs, ça tombe bien que tu me parles de ça, parce que j’ai quelque chose à te proposer !

Antoine se tourna vers lui et le regarda, intrigué.

– Qu’est ce qu’il y a ?

– Viens, suis-moi, fit Roland en se levant avec peine.

Antoine se mit debout à son tour, des tas de questions dans sa tête. Ils payèrent l’addition et sortirent du café.

– Tu vas rien me dire jusqu’à ce qu’on arrive, c’est ça ? lança Antoine.

Roland se contenta de sourire et de regarder droit devant lui. Ils avancèrent sans échanger un mot pendant une vingtaine de minutes. Et lorsqu’ils arrivèrent, le vieil homme était à bout de souffle, presque plié en deux, mais toujours un grand sourire pour illuminer son visage. Antoine leva la tête : ils étaient au pied d’un grand bâtiment, sur la façade duquel étaient allumés des néons de toutes les couleurs en forme de lettres.

– Tu m’emmènes au bowling ? lança Antoine.

– Non, mieux que ça : je vais te donner une leçon de bowling, tu vas voir !

Et ils entrèrent tous les deux en riant.

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