Chapitre 12

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Reformation - The Ninth Wave


La boule au ventre, les mains moites, les pas d’Antoine ralentissaient alors qu’il approchait de l’école. Ses jambes devenaient de plus en plus molles, il avait l’impression que le sol allait l’avaler tout entier. Il était pris de nausées, il se retenait de vomir, ne tenait plus droit. Il dut s’appuyer contre un poteau sur le trottoir pour rester debout et reprendre le contrôle de son corps.

Il prit une grande inspiration et ferma les yeux, comme le lui avait appris sa mère quand il était petit. Il s’imagina ces nombreuses scènes d’il y a quelques années où il se réveillait en plein milieu de la nuit après un horrible cauchemar, et qu’elle passait délicatement sa main dans ses cheveux et se mettait à les caresser. Puis elle lui demandait de fermer les yeux et de s’imaginer que le monde autour de lui s’effaçait peu à peu, et qu’il se retrouvait bercé par l’océan et par le courant de l’eau.

Il reprit peu à peu son calme et commença à retrouver la raison. Ce genre de crises avaient hanté son enfance et devenaient de plus en plus fréquentes à mesure que le jour J approchait. Si ça continuait ainsi, il allait finir comme son grand-oncle : à l’asile et tué par une crise cardiaque.

“Allez, c’est pas difficile, t’y es presque.”

Il fit un dernier effort pour avancer jusqu’à l’entrée, passa les portails à toute vitesse et se dirigea vers sa salle de cours en regardant droit devant lui, ignorant tous les regards qui se portaient sur lui. Il se sentait encore plus observé que d’habitude, il avait l’impression que tous les gens autour de lui étaient en train de parler de lui, comme s’ils avaient tous été témoins de la scène de la veille.

Il secoua la tête, c’était stupide. Il était juste en train de devenir parano, comme tous ceux qui l’avaient précédé dans sa famille. Il sentait que les choses étaient en train de devenir hors de contrôle, il avait peur de se laisser dépasser par l’idée qu’il ne lui restait que quelques mois. Il était terrifié par l’idée de ne pas être assez fort pour supporter tout ça, chaque jour qui passait était un poids de plus pour lui, et il sentait qu’il était en train de plier les genoux.

C’est les jambes tremblantes, les mains moites et la gorge serrée qu’il entra dans la salle de classe, et fonça vers le fond pour aller s'installer, sans jeter un regard à personne.

Il s’affala sur sa chaise et sortit ses feuilles et sa trousse, en comptant sur le cours à suivre pour lui permettre de penser à autre chose.

Martin était assis à sa droite, comme à son habitude. Il observait la scène sans un mot depuis le début du coin de l'œil et faisait semblant de faire autre chose. Et Antoine le remerciait de le laisser tranquille : Martin savait exactement reconnaître les moments où son pote n’avait pas envie qu’on lui adresse la parole, et parfois ne rien faire était la meilleur chose à faire pour l’aider.

Ce n’était pas le cas d’Emma qui, lorsqu’elle débarqua dans la salle quelques secondes plus tard, se précipita vers lui.

– Qu’est-ce qui s’est passé hier ?

Antoine prit une grande inspiration. Il n’avait pas envie d’en parler, mais c’était Emma, cette histoire la poursuivait depuis déjà trop longtemps et il se devait de lui expliquer.

– Quand j’ai voulu partir, il a essayé de me retenir, et il voulait pas me lâcher. J’me suis débattu et je lui ai donné un coup sans faire exprès. J’te jure que j’avais pas l’intention de lui faire mal !

Emma posa ses deux mains sur les épaules d’Antoine et le regarda droit dans les yeux.

– Je te crois. Mais c’est pas moi qu’il faut convaincre, Antoine…

– Comment ça ?

Elle sortit son téléphone, ouvrit l’application YouTube et tapota quelques mots dans sa barre de recherche. Puis elle lui montra une vidéo, où on voyait le garçon de la veille qui l’avait interviewé. Le visage d’Antoine se décomposa.

“ Vous avez vu ? Il m’a pété le nez, cet enfoiré ! J’étais tranquillement en train de lui poser des questions, quand il s’est levé d’un coup, sans raison, en disant qu’il avait plus le temps ! Nan mais, il se prend pour qui, lui ? Il a cru qu’il était Brad Pitt, avec ses grands airs ? Enfin bref, je lui dis que j’ai encore quelques questions à lui poser, et il commence à m’insulter et à me frapper ! J’ai dû me barrer en courant et appeler les flics, j’ai eu peur pour ma vie, je vous jure !”

Le monde s’arrêta de tourner autour de lui. Le bruit de ses camarades en train de discuter s’évanouit d’un coup. Seules les paroles de ce connard résonnaient dans sa tête, encore et encore. Il serra le poing de toutes ses forces, à tel point que son bras en tremblait. Son regard se porta sur le nombre de vues : des milliers de personnes avaient vu la vidéo…

Immédiatement, il s’imagina une salle de concert, noire de monde. Et lui, seul, debout sur la scène face à tous ces gens. Et il était également dans le public, au premier rang, comme s’il s’était soudainement dédoublé pour pouvoir s’observer lui-même, comme tous les autres spectateurs, tel que les gens le voyaient à travers la description faite de lui dans la vidéo.

Le garçon de la veille était là, sur le côté, et se mit à avancer vers lui, un sourire machiavélique sur son visage. Mais les gens ne le voyaient pas, car les projecteurs étaient braqués sur Antoine.

– J’peux te poser une question ? lança le garçon avec un air angélique.

– J’ai pas le temps, se surprit à répondre Antoine avec froideur.

– S’il te plaît, juste quelques unes, ça prendra pas beaucoup de temps !

Et d’un coup, Antoine lui infligea un violent coup de poing au nez en criant comme un sauvage. Du public émana un “Ooooh” en chœur. Des gens mirent leur main devant la bouche, d’autres avaient les yeux grand ouverts, et certains étaient même fous de rage, et se mirent à lancer sur la scène tout ce qu’il leur tombait sous la main. Et Antoine recevait des tomates et des projectiles de toutes sortes, tandis que l’autre gisait par terre en se prenant le visage dans les mains.

– Eh oh ! lança Emma. Réveille-toi !

Antoine fut brutalement tiré hors de ses pensées, toujours sous le choc.

– Euh ouais… pardon. Ça dit quoi dans les commentaires ? demanda-t-il fébrilement.

– C’est mitigé. Certains sont d’accord avec lui, d’autres disent que des gens qu’il interviewé se sont plaint de lui dans le passé, en disant qu’il était agressif et qu’il reculait devant rien pour avoir ses réponses. Mais le commentaire qui a eu le plus de likes, c’est celui-ci.

Elle pointa du doigt le commentaire qui se trouvait au-dessus de tous les autres, sous la vidéo. Antoine se pencha au-dessus de son téléphone en plissant les yeux. Il avait amassé des centaines de likes. La photo de profil interpella Antoine : c’était un garçon blond, de profil, qui regardait devant lui.

– Tom ?

Emma secoua la tête de haut en bas.

– Lis ce qu’il a écrit.

“J’ai la chance de côtoyer Antoine dans la vie réelle, et c’est vraiment un gars formidable et très gentil. Mais il m’a aussi raconté qu’il souffrait énormément de ça, que les gens autour de lui ne faisaient que lui rappeler tous les jours qu’il allait bientôt mourir. Et ce qui lui fait le plus de mal, c’est les gars comme toi qui le prennent pour une bête de foire et qui le HARCÈLENT au quotidien. Donc mets-toi à sa place deux secondes au lieu de chialer devant tout le monde parce que tu t’es fait victimiser.”

Un sourire se dessina sur les lèvres d’Antoine. Son coeur se mit à battre un peu plus fort d’un coup…

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