Chapitre 17

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Le trac.

Comme un chanteur qui attend le moment de passer sur scène et qui entend le public crier son nom. Comme l’employé avant une réunion avec ses supérieurs, qui tient fébrilement entre ses doigts la clé USB où se trouve son Power Point. Comme un jeune médecin qui doit annoncer pour la première fois à une femme, qui se ronge les ongles en faisant les cent pas dans la salle d’attente de l’hôpital, que son mari n’a pas pu s’en sortir.

Antoine n’avait pas grand chose à perdre. Juste une amitié encore récente, dans le pire des cas. Et pourtant, le stress le paralysait autant que toutes ces personnes, il sentait son coeur bondir dans tous les sens et avait l’impression qu’il allait perforer sa cage thoracique. Assis sur sa chaise, il se balançait, le regard vide, essayant de préparer à l’avance ses phrases, recommençant à chaque fois parce qu’il n’était pas satisfait de ses tournures, changeant tel mot pour un autre…

La chaise lui faisait mal au dos, alors il se leva et se posa sur son canapé, qu’il trouva trop mou. Il décida alors que c’était mieux debout, mais à peine une minute plus tard, il trouva la position inconfortable. Rien ne l’aidait à se sentir mieux, il respirait bruyamment et n’arrivait pas à réfléchir.

Ça le grattait de partout, il se frotta les yeux et se rendit dans sa salle de bains, se pencha au-dessus de son lavabo et fit couler un peu d’eau, qu’il récolta dans le creux de ses mains, pour se l’appliquer sur le visage. C’était froid et désagréable, mais cela avait le mérite de le réveiller un peu. Il leva la tête et regarda son visage trempé dans le miroir : ses cernes étaient énormes, tous ses traits étaient tirés, ses cheveux étaient ébouriffés.

“J’ai vraiment une sale gueule, aujourd’hui…”

Il n’avait aucune idée de comment Tom allait réagir. Et de toute façon, ça ne pourrait pas se passer aussi mal qu’avec Hippolyte…

*Deux ans plus tôt*

Hippolyte était encore plus beau que les autres jours. Il avait mis son pull blanc et son chino gris, comme s’il s’était bien habillé spécialement pour l’occasion. Mais il ne pouvait pas savoir, ce n’était qu’un heureux hasard, un clin d'œil du destin. Car ce jour était très important pour Antoine : aujourd’hui, il avait décidé de lui avouer ses sentiments, de se libérer de ce fardeau qu’il portait depuis des mois.

“J’me suis juré que ça serait aujourd’hui, mais je suis pas obligé de le faire maintenant”, pensa Antoine, les yeux rivés sur son ami, admirant sa classe et ce charisme qu’il avait toujours rêvé d’avoir. “Ça peut bien attendre ce soir…”

La journée se passa plutôt tranquillement, même si Antoine n’avait pas tenu en place, remuant sans arrêt sur sa chaise. Hippolyte lui avait fait la remarque en riant, montrant au passage ses dents immaculées et parfaitement alignées.

Antoine avait tellement sué au cours de la journée qu’il s’était passé plusieurs fois des coups de déodorant. Il n’était clairement pas dans son meilleur état, mais ce n’était pas ce qui le préoccupait le plus.

Il s’était imaginé des milliards de scénarios dans sa tête, des bons, des moins beaux, mais s’était toujours refusé à penser que ça se passerait vraiment mal. Il connaissait bien son ami, et il n’y avait pas le moindre risque que celui-ci le rejette ou s’énerve après lui. Dans le pire des cas, et c’était vraiment peu probable pour Antoine, il serait un peu perturbé et s’éloignerait un moment de lui, histoire de réfléchir un peu à tout ça. Mais même dans ce cas-là, tout finirait par rentrer dans l’ordre.

Après les cours, Antoine lui proposa d’aller manger au McDo.

– Donc j’me tue à la salle depuis deux semaines pour avoir un corps de rêve, et tu pense que j’vais accepter d’aller bouffer là-bas ? Mais bien évidemment que oui, j’te suivrai partout ! répondit Hippolyte avec enthousiasme.

Ils se rendirent alors à la borne du fast-food, firent un pierre-feuille-ciseaux pour décider de qui aurait le droit de renseigner son compte, afin de gagner les points de fidélité. Et c’est Antoine qui remporta la partie (il se souvenait encore de ce détail deux ans plus tard).

Ils attendirent leur commande une dizaine de minutes, puis la récupérèrent et partirent s’asseoir à l’étage. Et alors que son ami piochait dans ses frites, Antoine prit une grande inspiration et décida que c’était le moment de tout balancer.

Alors il se lança, avec en lui un mélange de trac et de confiance, un demi-sourire aux lèvres :

– Dis, euh… Y a un truc qui me tracasse, depuis un moment. Et j’pense que ça serait le bon moment de te l’dire.

***

Le portable d’Antoine vibra, il se mit à sursauter brusquement. Il sortit son téléphone de sa poche et jeta un oeil à l’écran : c’était un message de Tom, “Je suis devant ton immeuble”.

Un frisson parcourut tout le corps d’Antoine, partant du bout de ses orteils, remontant dans le bas de son dos et s’arrêtant dans son cou. Les poils de ses bras se dressèrent : le moment était venu, il n’y avait pas de retour possible.

Alors il se leva, et marcha vers sa porte, comme un condamné dans le couloir de la mort. Ses pas étaient lourds et lents, le couloir vers la porte de son immeuble lui semblait interminable, il s’imaginait Tom, derrière la porte, et son esprit commença à changer peu à peu son visage : ses cheveux d’or se colorèrent en brun, ses mâchoires devinrent carrées, ses yeux tournèrent au bleu il grandit de quelques centimètres. Ce n’était plus Tom qui était caché derrière cette porte, mais Hippolyte. Antoine déglutit, il avait juste envie de fuir, de disparaître et de tout oublier.

Il ouvrit la porte, c’était bien Tom qui se trouvait devant lui. Il avait l’air aussi fatigué que lui.

– Entre, souffla Antoine en essayant de lui sourire.

Tom le suivit jusque dans son appartement, où il fut invité à s’asseoir sur le canapé. Antoine se posa à ses côtés, un peu plus distant que d'habitude.

– Bon, commença son ami, tu m’as promis de tout me dire, alors je vois pas pourquoi ça serait pas pareil de mon côté. Alors je vais te raconter quelque chose que j’ai jamais dit à personne, que j’ai toujours gardé pour moi.

Antoine ne trouva rien à répondre, il essayait de bouger les lèvres, mais n’y parvint même pas.

“Et ça sera sans doute plus facile pour toi de te confier si je me lance en premier”, reprit son ami.

Il hocha la tête, blanc comme un linge.

“Je vais essayer de faire vite, ça me fait mal rien que d’y penser. Et je sais que c’est rien comparé à ce que t’es en train de vivre, mais c’est quelque chose que j’ai toujours pas bien digéré, et j’suppose que ça me fera du bien d’en parler.

En gros, mes parents ont divorcé quand j’avais treize ans. Tout se passait bien entre nous, on était une famille unie, alors qu’est-ce qui a bien pu se passer ? Eh bah, c’est moi qui ai fait tout capoter !

Un jour, en rentrant du collège plus tôt que d’habitude, parce qu’un prof était malade, j’ai entendu du bruit à l’étage. Alors j’ai fermé la porte en silence, j’ai posé mon sac et j’ai monté l’escalier en essayant de faire le moins de bruit possible. J’ai compris que ça venait de la chambre de mes parents, la porte était fermée et le bruit avait l’air de venir de là-bas. C’était des sortes de grincement, un peu les mêmes que quand je sautais dans mon lit.

Alors je me suis mis devant la porte, et j’ai ouvert la porte d’un coup.

Et devant moi, il y avait mon daron, la bite à l’air, en train de branler un autre gars de son âge.”

Antoine écarquilla les yeux. Il avait imaginé des milliards de scénarios, il s'était préparé à tout, mais surtout pas à ça.

— Je… je suis désolé… murmura-t-il, la voix tremblante.

— T’inquiète pas, je suis très heureux sans lui. Ça m’a encore plus rapproché de ma mère, et puis j’ai des gens sur qui je peux compter, comme toi par exemple !

— Oui…

— Alors m’en veux pas, tu peux me traiter et t’auras sûrement raison, mais depuis ce moment, quand j’vois deux gars s’embrasser ou faire… des trucs, quoi. Bah ça me rappelle mon daron, j’ai cette image qui me vient en tête, et ça me donne juste envie de gerber. Voilà, tu sais tout sur moi. À toi maintenant.

Le monde s’écroula autour de lui. Il n’y avait plus rien, plus de bruit, plus de lumière, plus de temps. C’était à la fois le vide et le chaos, il avait l’impression que sa tête allait imploser, son regard ne pouvait se détacher de celui de Tom, qui contenait encore un peu de rage en lui. Il ne pouvait s’empêcher de penser que sa rage allait bientôt lui être destinée, et cette pensée le terrifiait.

Plusieurs secondes s’écoulèrent, ou peut-être que ce furent des heures. Tom fronça les sourcils et regarda avec incompréhension Antoine, qui était terrorisé face à lui, incapable d’effectuer le moindre mouvement, comme un enfant face au monstre de ses pires cauchemars.

Alors qu’on n’entendait plus que le bruit des premières gouttes de pluie sur le bitume au dehors, une lueur passa dans les yeux de Tom, et il comprit. Il avait suffi d’un silence pour tout lui dire.

Tom recula, il regardait Antoine totalement différemment à présent. Sans un mot, il posa ses mains tremblantes sur le canapé et poussa dessus pour se relever. Il lui tourna le dos, prit son manteau, et partit.

Lorsque la porte claqua derrière lui, le cœur d’Antoine se brisa en mille morceaux.

Take me to Church - Hozier

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