Chapitre 20

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Big in Japan - Alphaville

On dit que la joie nous donne l’impression d’être plus léger, que tout devient plus simple, au moins l’espace d’un instant, et que si ce sentiment est assez fort, on se croirait presque capable de voler. Alors si c’est le cas, à ce moment précis, Antoine venait de crever le plafond et se trouvait aux portes du Paradis.

Toutes ces questions, tous ces doutes et toute cette souffrance venaient de s’évaporer en un instant. Il était tellement fou de joie qu’il ne souriait même pas, il était paralysé, comme saturé par toute cette émotion qui le prenait d’un coup. 


– Mais… reprit Tom. J’ai vraiment besoin que tu me laisses digérer tout ça, c’était déjà super dur de te dire ça. Alors évidemment, pas un mot à personne, ok ?

Antoine retomba brusquement sur Terre avec cette phrase. Il hocha la tête frénétiquement. 

– Oui, bien sûr, balbutia-t-il, encore sous le choc.


Alors il leva les yeux et plongea son regard dans celui de Tom, mais ce dernier tourna la tête et se mit à fixer le sol en rougissant.

– Désolé, j’suis à l’aise avec ça, ça me… je sais pas comment l’expliquer. J’vais avoir besoin de beaucoup de temps pour m’y faire.

– Oui, je comprends.

Antoine ravala sa déception, et commença à tendre le bras pour le passer autour de Tom, histoire de le rassurer. Mais il s’arrêta au milieu de son geste, en se disant que c’était une mauvaise idée. Ils étaient tous les deux assis sur le canapé, comme ce soir qu’ils avaient passé ensemble. Mais contrairement à cette fois-là, il n’y avait plus cette insouciance. L’ambiance était devenue lourde, un bon mètre les séparait, comme une distance de sécurité pour Tom. Un silence pesant régnait dans la pièce. 


Antoine devait à présent partager le fardeau de son “ami”. Cela ne le dérangeait pas, au contraire : il avait toujours voulu l’aider à résoudre ses problèmes et à se sentir mieux. Mais ce n’était que maintenant qu’il connaissait l’ampleur de la tâche qu’il se rendait réellement compte de la tâche qui pesait sur ses épaules.

– Je… Je veux vivre, lança-t-il brusquement.

Tom se retourna vers lui, visiblement surpris par cette phrase.

– Comment ça ?

– Toute ma vie, j’me suis toujours dit que le meilleur moyen de pas devenir fou à propos de ma mort qui approchait, c’était de vivre comme si ça allait pas arriver. Je faisais tout pour ignorer ce moment et pour oublier que ça me terrifiait. Mais j’étais juste dans le déni, en fait… J’veux pas mourir aussi tôt, j’veux pouvoir te donner autant de temps qu’il te faudra, j’veux qu’on passe un milliard de moments ensemble ! 


Antoine pouvait entendre la respiration de Tom malgré leur distance, il voyait dans ses yeux une multitude de lueurs passer, sans doute des centaines de questions qui lui venaient en tête. 

– Mais… j’croyais que c’était impossible ? 

– Moi aussi, mais j’ai jamais vraiment essayé. J’peux pas me laisser tuer sans me battre, il faut absolument que je comprenne ce qui se passe avec ma famille, et il faut que je règle ce problème une bonne fois pour toutes !

– D’accord, mais comment tu comptes t’y prendre ? Tu m’as dit que tu savais rien du tout sur ta mort ?

– Moi, je sais rien. Mais je connais quelqu’un qui peut m'apprendre deux ou trois trucs.


***


Antoine et Tom étaient tous les deux debout, les mains sur les hanches, côte à côte au milieu de la route. En face d’eux se dressait cette maison de banlieue qui ne faisait que rappeler de mauvais souvenirs à Antoine. Il détestait revenir là, mais il le fallait bien.

– T’es sûr que c’est une bonne idée ? Tu m’avais dit qu’elle voulait plus te revoir…

– J’ai pas d’autre choix. Et puis, je pouvais pas la laisser tomber comme ça. Par contre, j’pense que c’est mieux que j’y aille seul.

– Oui, bien sûr. Je t’attends devant.

Antoine jeta un dernier regard vers lui, comme un enfant séparé de sa mère avant d’aller à l’école pour la première fois. Puis il marcha, ouvrit le portail, traversa le tout petit jardin devant la maison et s’arrêta devant la porte. Et après un court instant d’hésitation, il introduisit la clé dans la serrure, la tourna et entra.


La maison était dans le même état que celui dans lequel il l’avait laissée la dernière fois. Ça empestait le tabac, comme d’habitude. Mais à ce moment précis, il n’en avait rien à foutre, de l’état de sa mère.

– Maman, c’est moi !

Elle était sur le canapé, devant la télé, une clope à la main. Elle écrasa sa cigarette sur le cendrier et se leva.

– Qu’est-ce que…

– Je sais, interrompit brutalement Antoine. Tu veux plus me revoir, bla bla bla… Mais je viens pas pour demander des excuses, ou même prendre des nouvelles. J’ai juste besoin que tu me rendes un service. 

– Depuis quand t’as besoin de moi ? répondit-elle d’un air dédaigneux.

– J’vais pas tomber dans ton petit jeu, j’ai pas le temps pour le drama, Maman. Je te pose une question, tu me réponds, et je me casse d’ici. C’est aussi simple que ça.


Elle lui tourna le dos et retourna s’asseoir. 

– Pose ta question, qu’on en finisse.

– J’veux que tu me dises où mon père habite. Ou un numéro de téléphone, n’importe quoi. Mais j’veux lui parler.

Elle sembla ne pas réagir, le regard rivé sur la télé.

– Ça fait des années qu’il est parti. J’ai rien à te donner, désolée.

– Tu peux me passer une clope ?

Elle tourna la tête vers lui en levant un sourcil, puis elle haussa les épaules.

– Je croyais que tu détestais ça.

Elle plongea alors la main dans la poche de son jean, et sortit le paquet de cigarettes. C’est à ce moment qu’un grand sourire illumina le visage d’Antoine.

– T’as toujours la tremblotte quand tu mens, Maman. Tu peux rien me cacher.

– Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?

– Arrête tes conneries. Je peux presque entendre les clopes bouger à l'intérieur.


Elle balança violemment le paquet contre le mur, et quelques cigarettes se mirent à rouler par terre. 

– Pourquoi tu veux lui reparler ? Il t’a abandonné du jour au lendemain, il mérite pas de te revoir ! D’ailleurs, j’crois qu’il en a même pas envie !

– J’ai dit que tu répondais juste à la question. Pas de commentaire. 

Elle s’approcha alors de lui, le regarda droit dans les yeux, la mâchoire serrée. Elle l’attrapa par la veste avec ses mains tremblantes et le tira vers elle. 

– Ecoute-moi bien. Ce mec a détruit ma vie, il a fait de moi ce que je suis maintenant, et y a pas un jour où j’ai une envie irrésistible d’aller le tuer. Alors si je savais comment le retrouver, il serait mort depuis longtemps.


***


A peine Antoine était sorti de la maison que la porte claqua violemment derrière lui. Il aperçut Tom au loin, qui courut aussitôt vers lui.

– Alors ?

– C’est bon, on va voir mon père.

Antoine sortit alors un bout de papier froissé de la poche de son manteau, qu’elle lui avait glissé en douce pendant leur “dispute”. Il le déplia : une adresse ainsi qu’un numéro de téléphone y étaient notés.

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