Chapitre 25

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Golden hour - JVKE


– Allez, juste un p’tit effort.

Antoine et Tom étaient assis, serrés l’un contre l’autre dans cette nuit noire, attendant l’arrivée du bus de nuit. Le visage de Tom était écarlate, il tremblait et n’arrivait pas à garder la tête droite.

– J’ai trop froid… se plaignit-il en claquant des doigts.

– Oui, bah j’ai une bonne nouvelle pour toi : le bus est arrivé. Alors tu vas te lever tranquillement, on va monter dedans, et puis après tu pourras poser ta tête sur mon épaule et faire un gros dodo. Ça m’a l’air d’être un bon programme, nan ?

Antoine s’accroupit et passa le bras de Tom autour de lui pour le soutenir, puis ils se levèrent tous les deux avec difficulté. Lorsqu’ils montèrent dans le bus, Antoine sourit au chauffeur en serrant la mâchoire, comme pour lui dire “désolé”.

– J’suis désolé, je voulais pas finir dans cet état…

Antoine leva les yeux au ciel.

– J’en doute, vu le nombre de verres que t’as enchaînés. T’avais besoin de te défouler, à ce que je vois.


Ils prirent place au fond du bus, Antoine se mit à côté de la fenêtre et sortit un sac en plastique, qu’il gardait toujours dans la poche arrière de son jean quand il se rendait en soirée. Il le passa autour du cou de son ami, afin que sa bouche se trouve directement au-dessus de celui-ci.

– Nan, c’était pas pour ça…

– C’était pour quoi, alors ?

Tom déglutit avec difficulté. Il pencha la tête en arrière et ouvrit grand la bouche, cherchant à aspirer le plus d’air possible.

– Je voulais me donner du courage…

Antoine fronça les sourcils. Il mit sa main derrière la tête de son ami et poussa légèrement pour le remettre droit.

– Du courage ? Tu racontes vraiment n’importe quoi quand t’es bourré…


*Deux heures plus tôt*


– J’vais aux chiottes, tu peux me tenir mon verre ?

– Ouais, bien sûr ! répondit Tom.

Antoine lui confia son gobelet et s’éclipsa en sautillant et en se tenant l’entrejambe. Tom se retrouva seul avec Martin, dans le froid de la nuit, au milieu des fumeurs.

– Tu fumes, toi ? lança-t-il pour briser la glace.

– Nan, c’est dégueu, j’aime pas ! Et toi ?

– Pareil.

Tom chercha autre chose à dire pour relancer la conversation, mais rien ne lui venait en tête. Il se contenta alors de garder ses mains dans les poches et de regarder tout autour de lui, en attendant le retour de son ami.

Il se rendait compte qu’il n’était pas très proche des amis d’Antoine. On lui avait raconté qu’il s’était montré plus que collant avec Emma lors de sa soirée d’anniversaire, mais il n’en avait aucun souvenir. Et c’était peut-être la première fois qu’il se retrouvait seul avec Martin.


Ce qui était le plus étrange, c’est qu’Antoine lui avait raconté des milliers de choses qu’il avait vécues avec Martin, et à l’inverse, Martin devait presque tout savoir sur lui. Il était donc planté aux côtés d’un mec qui le connaissait sur le bout des doigts, et vice-versa, mais avec qui il avait eu finalement très peu d’interaction.

– T’as rien bu ce soir, j’me trompe ? lança soudainement Martin.

Tom sursauta.

– Euh… non, mais j’ai encore largement le temps, nan ?

– Oui oui, bien sûr, répondit-il avec un grand sourire.

– Qu’est-ce qu’il y a ? Y avait rien de drôle.

– Nan, nan, désolé, c’est moi qui ris tout seul.

– Ah, d’accord…

Quelques secondes s’écoulèrent, durant lesquelles Tom sentit le froid le geler jusqu’à la moelle. Il pencha la tête sur le côté pour voir si Antoine allait bientôt sortir des toilettes.

– T’as fait que regarder Antoine toute la soirée.


Le visage de Tom s’empourpra immédiatement.

– Hein ? Ah oui, mais… c’est parce que c’est le seul que j’connais vraiment bien ici. Et puis c’est un super pote, donc…

– Tu le regardais pas comme un pote, répondit Martin avec un sourire malicieux. Et là, tu peux pas mettre ça sur le compte de l’alcool : t’as pas un milligramme dans le sang. Donc pas d’excuse.

– Je vois pas où tu veux en venir.

Martin souffla du nez et se tourna face à lui.

– Et moi je vois pas pourquoi tu te décides pas à faire avancer les choses. C’est mon pote, et même si on en a jamais parlé, jamais on franchira la barrière de l’amitié. C’est une sorte de pacte qu’on a conclu sans jamais se le dire. Mais si c’était pas le cas, bah j’me serai jeté sur lui. Y a que des bonnes raisons : il est beau gosse, il est gentil, bienveillant, et il lui reste que quelques mois à vivre. En plus, tu sais qu’il te kiffe, donc qu’est-ce qui te retient ?

Tom baissa la tête et poussa un long soupir, de la vapeur d’eau émana de ses lèvres et disparut presque instantanément dans l’air froid et sec de la nuit.

– Mon passé. C’est mon passé qui me retient.

– Fuck le passé ! Regarde le futur, regarde le temps qu’il vous reste ! Je sais pas ce que t’as vécu et j’veux pas le savoir. Tu l’as certainement raconté à Antoine et ça doit être un truc vraiment horrible, parce qu’il fait plus rien : il attend que tu te sentes prêt et il veut pas te brusquer. Mais moi, j’ai pas des papillons dans le ventre quand j’te parle, donc ça me dérange pas du tout d’aller te brusquer. Alors tu vas bouger ton cul, et tu vas aller lui bouffer le chibre sur le champ !

– C’est facile à dire, souffla Tom. J’aimerais bien, j’te jure ! Tous les jours, j’me dis que j’vais porter mes couilles, et j’y suis jamais arrivé. Je l’ai toujours pas embrassé, alors que j’en ai envie et que je ressens des choses pour lui… J’ai juste pas le courage de le faire.


Martin posa ses mains sur les épaules de Tom et le regarda droit dans les yeux, comme un coach qui motiverait son joueur avant un combat de boxe.

– Tu vois, à la guerre, quand les soldats avaient la trouille avant d’aller combattre ?

– Oui ?

– Eh bah j’te raconte pas les chocottes, ils en tremblaient. Ils étaient complètement liquéfiés. Ils pouvaient même pas mettre un pied devant l’autre. Ils avaient mille fois plus peur que toi maintenant.

– D’accord, mais c’est…

– Chut ! interrompit Martin en plaquant son doigt contre les lèvres de Tom. Laisse moi finir ! Eh bah ces p’tits soldats qui avaient peur, on leur faisait passer une flasque avec de l’alcool dedans, ils en prenaient juste quelques gorgées, et ils étaient parés au combat. Moralité de l’histoire : ce soir, tu vas boire, ça va te donner tout le courage dont t’as besoin, et ta langue va danser la samba dans la bouche d’Antoine toute la nuit !


***


– T’es complètement torché, Tom. J’pense que c’est mieux que tu dormes un peu, on a presque une heure de trajet avant mon appart’.

– Non non, je veux pas attendre une heure. J’dois être courageux, ce soir !

Antoine soupira longuement et posa sa tête contre la vitre.

– J’comprends rien à ce que tu dis… Ça a aucun sens !

Alors Tom se redressa en grimaçant, plongea son regard dans celui d’Antoine, le poing serré posé sur sa cuisse. Puis après un instant d’hésitation, il s’approcha de son visage et colla ses lèvres contre les siennes.

Ce n’était pas le baiser le plus agréable. Tom sentait fortement l’alcool et avait la tête qui tournait. Le cadre non plus n’était pas idéal : dans un bus de nuit après une soirée, avec deux ou trois drogués qui poussaient des grognements à intervalles réguliers, un chauffeur qui prenait tous les dos d’âne à pleine vitesse, et le bruit incessant du sac en plastique qui s’agitait sans arrêt autour du cou de Tom.


Mais c’était leur premier baiser, et même si c’était peut-être le moins beau et le moins romantique de tous les baisers, c’était bien le plus doux de tous.

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