La Lumière (Partie 2)

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— On s’arrête là ? fit Grum.

Ils avaient marché une bonne partie de la journée sans parler, tant ils étaient absorbés par leurs pensées, mais la fatigue accumulée les avait rattrapés. Ils établirent un campement de fortune lové derrière une butte dominant un méandre de l’Eldenore. Après avoir mangé du poisson pêché dans le fleuve et des légumes racines ramassés près de la berge, ils s’endormirent dans l’herbe grasse, bercés par le souffle régulier du vent et par le chant des grillons.

Ædemor trouva difficilement le sommeil. Et quand il y parvint, il rêva de lumière et de sang, de batailles et de trahisons. Tout n’était que chaos autour de lui. Il se bouchait les oreilles tant son crâne voulait exploser. Puis, le silence s’installa. Il ouvrit les yeux, perdu au milieu de l’obscurité. Il vit une créature devant lui, un petit lézard dressé sur ses pattes arrière, dégageant une chaleureuse lueur ambrée, repoussant à peine les ténèbres. Il tendit sa griffe à Ædemor, et celui-ci la saisit.

Le reptile ferma les paupières. Il sembla grandir. D’abord doucement, puis de plus en plus vite. La taille de l’être dorée embrassa de telles proportions qu’elle lui lâcha la main, irradiant à présent d’une aura aveuglante, chassant l’obscurité au loin.

Il se rendit compte qu’il était devenu lui-même la source de la lumière et qu’au-delà, dans l’épaisse noirceur qu’il repoussait, des yeux le regardaient. Des yeux rouges, par centaines, malveillants et sournois. Et parmi tous ces yeux, une présence, sourde, abyssale, redoutable, une ombre dans la pénombre scrutait le fond de son âme. La peur le prit et la clarté vacilla, les créatures se rapprochèrent. Le rugissement bestial qui provint de l’obscurité le fit se réveiller en sursaut, trempé de sueur.

— Mauvais rêve, Ed ?

Reprenant son souffle au milieu de la nuit, parmi les ronflements sonores de Grum, Ædemor regagna ses esprits lentement.

— Les rêves peuvent être puissants pour peu qu’on y croie. Ils peuvent rendre les gens fous, aussi.

Galanodel, étendue sur le dos, avait parlé en observant les étoiles. La lune argentée brillait intensément au-dessus de leur feu de camp.

— Pourquoi es-tu parti de chez toi, Ædemor Cerenias ? Pourquoi suivre cette voie ? Je ne comprends pas.

— La Lumière Gardienne m’a recueilli. Je ne me souviens pas d’avant. Je devais avoir quatre ou cinq ans, pas plus. Je n’ai qu’Elle. Aujourd’hui, on m’explique non seulement qu’en réalité il s’agit de Tyasimar, l’une des plus dangereuses et les plus destructrices divinités d’Opalys, mais qu’en plus Morgastar n’a jamais disparu !

Un coup de tonnerre lointain répondit à son exclamation, troublant le calme de la campagne.

Galanodel resta en silence un instant, puis reprit :

— Mais, tes parents ? Ta famille ? Comment connais-tu leur nom alors que tu n’as pas grandi avec eux ?

— Le vicaire Mazaric m’a appris d’où je venais et le destin qui avait frappé les miens. Lorsque j’ai été en âge de comprendre, il m’a raconté que j’avais fui tandis que ma famille s’adonnait à des sacrifices offerts à une entité maléfique. Les Quatre Lunes ont débarqué et j’ai profité du chaos pour filer. Mazaric m’a affirmé que tous avaient été arrêtés. J’ai cherché bien des années plus tard des réponses, mais je n’ai jamais rien obtenu.

Ædemor garda le silence à son tour.

— Tu l’as toujours su, non ? présuma Galanodel. Tu savais depuis le début, au fond de toi, que c’était l’Aile Dorée derrière tout ça ?

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Thorcil, Hérilis… elles ont vu clair dans ton jeu et tu n’as pas été très dur à convaincre, n’est-ce pas ?

Il l’avait ressenti au fond de lui. Il ne se l’était jamais avoué. Cet appel de la lumière. Cette fuite de l’obscurité. Comme s’il avait toujours craint qu’un regard nuisible le retrouve. Peu de souvenirs lui restaient de sa petite enfance, si ce n’est un grand vide et un immense effroi.

Kharroun l’avait trouvé s’enfuyant dans la cité et l’avait amené à la Lumière, le diacre Paltur et le vicaire Mazaric le lui avaient maintes fois conté. Il était habillé comme un garçon de bonne famille et n’avait rien emporté de chez lui, pas même un jouet ou une poupée. La Lumière l’avait accueilli en son sein et avait grandi en lui. Cette proximité avec Elle avait toujours été présente depuis ce jour. Cela expliquait pourquoi le pendentif de ce vieil éclopé de Crabe lui semblait connu et pourquoi il avait pressenti le péril dans la Fange.

— Peut-être bien, Gal. Je découvre à peine la vérité sur la foi qui m’a guidé jusqu’à maintenant. J’ai juste le vertige de toutes les implications qui en découlent. Par conséquent… aller dans cette citadelle en ruines pour risquer de trouver un danger plus grand encore. Cela me terrifie.

Il soupira longuement. Ædemor avait toujours cru en la Lumière Gardienne, en Son dogme bienveillant et altruiste. Il n’avait jamais eu à défendre Ses valeurs et avait constamment dû fuir avant de devoir le faire. Caché derrière la servitude de son Culte pourchassé par les autorités, il n’avait jamais eu le cran de partir de peur d’abandonner le peu qu’il possédait.

Aujourd’hui, jeté sur les routes d’Opalys après la disparition des siens, il marchait en tant que dernier porte-étendard d’une cause qui dépassait son entendement. La Lumière Gardienne avait revêtu une nouvelle forme et un nouveau nom, Tyasimar, et Elle était plus présente que jamais, s’immisçant jusque dans ses rêves.

— Il va falloir être prudents et discrets, reprit Galanodel. Nous verrons bien comment cela se présente. Ceux qui suivent ton pendentif doivent en avoir besoin pour une bonne raison. Une raison qui les pousse à tuer.

— Et toi ? demanda Ædemor. Pourquoi ne pas être retournée dans la Forêt de Cyseam après avoir changé d’avis sur notre compte ?

— Tu plaisantes ? fit-elle en relevant la tête. Vous seriez capable de vous perdre et de mourir de faim. Même avec une épée et un marteau, vous avez besoin de quelqu’un pour vous épauler ! Allez, mieux vaut dormir, on ne sait pas de quoi sera faite la route jusqu’à Lacasar.

Ædemor s’allongea sur le sol, près du feu. La boutade de la Valwyne ne l’avait pas convaincu, même si sa sollicitude le touchait. Elle ne lui disait pas tout, mais son assistance lui avait été précieuse et le serait encore. Elle paraissait réellement vouloir l’aider, mais ses raisons lui échappaient. Elle et Grum à ses côtés, il n’était plus seul sur le chemin et son fardeau lui sembla moins lourd. Il finit par trouver le sommeil alors qu’il ressassait les derniers évènements.

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