La Chasseresse (Partie 1)

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Le soir tombait lentement et offrait à Grum et Ædemor un spectacle enchanteur. Les nuages rosés se découpaient sur leur gauche, au-dessus de la cime des arbres. Une légère brise salée trahissait la mer proche.

Grum parlait beaucoup. Aldradan derrière eux, il se détendait et devenait étonnamment bavard. Les récits hauts en couleur de la vie du semi-Gor arrosèrent copieusement la journée sur la route sud du royaume. Ses exploits, surtout. De son côté, Ædemor écoutait avec patience les crâneries de son compagnon, il le relançait même lorsque le flot de paroles commençait à ralentir.

Cela lui faisait du bien, oubliant ainsi le danger de la veille et les menaces récentes. Il regardait souvent par-dessus son épaule si des cavaliers ou des gardes se fondaient sur eux, mais en dehors de quelques chariots de marchands traversant le pays, ils n’avaient pas été inquiétés. Peut-être l’incendie avait-il pris une ampleur telle que toutes les forces de la capitale avaient été dirigées sur Rivguen ?

Il repensa aux incidents de la veille. Son ordre décimé. La Lumière Gardienne qui l’avait sauvée. Qu’était-il advenu des autres novices, de Kharroun ? Il espérait en son for intérieur que tous avaient réussi à s’en tirer et à échapper aux Quatre Lunes. Mais qu’en était-il de l’avenir de son culte ? Il n’en connaissait pas d’autres caches. Tout reposait sur lui et sur la complétion de la tâche que Mazaric lui avait confiée. L’Ordre disparaitrait s’il échouait. Cette idée le fit frissonner.

De toute façon, ils allaient être confrontés à d’autres problèmes assez rapidement : trouver de l’eau, de la nourriture et un abri pour la nuit. Car si Ædemor était familier des nuits dans les caniveaux de la capitale ou dans les environs de la cité, dormir en rase-campagne ne le rassurait pas du tout.

— Comment on fait, pour ce soir ? lança-t-il, coupant un énième récit de combat victorieux de Grum.

— Pour ce soir ? Y’a quoi ce soir ?

— Il va nous falloir trouver un endroit où dormir et de quoi manger, non ? Sauf si tu connais quelqu’un de généreux qui pourrait nous donner le gîte et le couvert par ici ?

— De généreux avec un Gor ? Laisse-moi réfléchir… hum… non. Je vois pas. Sont plus généreux en insultes ceux que je connais. Après, pour le campement, j’sais faire deux ou trois trucs. On peut se mettre autour d’un feu, ce sera toujours ça. Par contre j’ai rien pour chasser. Pour choper à manger ça va pas être simple.

— Y’a peut-être des baies ou des racines, dans la forêt là-bas, non ?

Grum se tourna vers la forêt qu’ils longeaient depuis maintenant quelques heures. Il fronça les sourcils et répondit :

— Cyseam ? Oui, y’a sûrement à manger là-bas, c’est pas pour rien que les Valwyns y habitent.

— Tu connais ?

— De réputation. C’est une chouette forêt pour ceux qui aiment vivre au milieu des arbres, mais y chasser, c’est autre chose. Les Valwyns aiment pas les gens qui s’invitent chez eux. Cela dit… j’ai entendu dire des choses.

— Quelles choses ?

Grum se racla la gorge et s’arrêta en bordure de la route, s’abritant le regard du soleil du plat de sa main épaisse.

— Les Valwyns de Cyseam donnent plus trop de nouvelles depuis un certain temps. Paraît qu’y en a de moins en moins dans leur forêt, c’est pour ça qu’on en voit plus souvent en ville.

— S’il y en a moins, on pourra peut-être plus facilement trouver à manger, et même s’y abriter.

— Hum. Mouais. C’est logique.

Grum haussa les épaules, et ils se dirigèrent vers la lisière de la forêt. Le sol égal et aplani du chemin laissa place à de hautes herbes dorées grouillantes de sauterelles. Cyseam se dressait devant eux, comme une barrière végétale dense et sauvage. Ædemor ne s’était jamais aventuré à l’intérieur. On disait qu’elle était vivante, habitée par des esprits ne tolérant pas être dérangés, au caractère intraitable avec les étrangers. Quant aux Valwyns, il ne disposait que de peu d’informations sur eux. Il se souvint que Mazaric avait évoqué ses origines très brièvement, qu’il venait de ce bois comme les siens avant lui. Mais la discussion avait rapidement bifurqué sur un autre sujet et Mazaric était resté très fuyant après cela, refusant tout bonnement d’en dire plus.

Mille et une senteurs pénétrèrent leur odorat, dès lors qu’ils franchirent le seuil de la mystérieuse sylve. Humus, bois, mousse, rosée, musc, tout se mêlait en un parfum étourdissant, saturant leurs sens non accoutumés. La lumière elle-même paraissait différente. Filtrée par la canopée, elle semblait dorée et diffuse, encensée de poussière végétale brillant dans chaque rayon. Le bourdonnement des insectes et le murmure animal au loin la rendait vivante, contrastant avec l’immobilité paisible des érables, des tilleuls et des harpecornes¹.

Grum et Ædemor progressaient, dans un silence respectueux de la majestueuse tranquillité de leur environnement. Le vent léger s’engouffrait dans les feuillages, et l’obscurité gagnait peu à peu les arbres, dont les ombres s’allongeaient à vue d’œil.

L’attitude de Grum changea une fois dans la forêt. Posant le pied naturellement pour limiter le bruit de ses pas, il guettait tout autour de lui des traces de gibier, tout en ramassant du bois mort. Il humait de temps à autre l’air, tentant de débusquer un animal errant qui leur servirait de repas. La brute au fond de lui se tut et laissa place au chasseur.

Soudain, il leva la main. Reniflant bruyamment, il dit tout bas :

— Tu sens rien ?

Ædemor se concentra, mais ne sentit rien de plus que des effluves végétales chargées de pollens. Il haussa les épaules et répondit :

— Tu sens quelque chose ?

— De la nourriture… quelque chose qui cuit sur le feu. Et puis autre chose… Il doit y avoir un campement pas loin.

— Dans la forêt ? Qui peut bien…

— On s’en fout. On va voir, si c’est dangereux on se barre, et sinon on donne deux baffes et on mange ce qu’il y a.

— Très bien. Mais si c’est pas dangereux, comme tu dis, laisse-moi parler, on aura peut-être pas besoin de donner des baffes.

— M’allez ! Jamais le droit d’en donner, avec toi !

Ædemor le trouva très puéril sur le coup, mais lui sourit chaleureusement.

— Je suis sûr qu’on trouvera une occasion bien assez tôt, crois-moi !

— Bon… Allons-y alors.

Ils se faufilèrent entre les arbres pendant au moins une heure avant qu’Ædemor ne commençât à sentir l’odeur du feu de camp au loin. Une lueur faible semblait se frayer un chemin jusqu’à eux, de temps à autre, alors que le soleil s’était caché.

Grum s’arrêta et scruta l’obscurité grandissante autour d’eux, puis son regard se reporta sur le bivouac. Ils étaient à une centaine de mètres de là et l’odeur de ragoût arriva aux narines d’Ædemor, réveillant en lui un appétit qui tordit son estomac bruyamment.

Plusieurs instants passèrent, puis Grum ajouta :

— C’est bizarre, y’a personne.

— Personne ? Il s’est pas fait tout seul, ce campement.

— Je sais mais… Y’a quand même personne. On va voir ?

— C’est sûrement un piège !

— Bah je sens personne. En plus, j’ai faim. Pis on saura pas si c’est un piège si on y va pas.

Avant même qu’Ædemor ne put répondre, une flèche se ficha juste au-dessus de la tête de Grum, faisant craquer le bois dans un bruit mat. Tous les deux se figèrent lorsqu’ils entendirent :

— Je ne pense pas vous avoir conviés à mon repas, na’valwyn. Et de ce fait, je vous prierai de partir sur le champ. Il n’y aura pas d’autre avertissement.

La voix féminine semblait venir de nulle part. Elle était légère et cristalline, mais son ton révélait une volonté farouche et une intention ferme. Ædemor prit le risque de répondre :

— Pardon, gente dame. Nous ne sommes que des voyageurs égarés. On cherchait de quoi manger et se réchauffer pour la nuit.

— Montre-toi, garce ! Au moins qu’on sache à qui on parle !

Grum s’était relevé de toute sa hauteur et avait parlé fort. Son regard affirmait qu’il était prêt à en découdre.

Arbre pouvant mesurer jusqu’à vingt-cinq mètres de haut, au tronc assez droit. L’écorce de l’arbre est brun-rouge brillante. Elle reste lisse longtemps avant de se détacher en lanières horizontales. Les fleurs sont blanches, légèrement rosées parfois, et disposées en petits bouquets. Elles donneront de petits fruits en forme de corne dont le noyau est plus important que la partie charnue. Ils sont de couleur crème, puis beige et pendent au bout d’un long pédoncule.

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