Chapitre 4

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 Violette émergea. Elle se dégagea du lit dans lequel Pauline dormait encore. Elle contempla quelques instants son visage endormi. Même dans son sommeil, son amie arborait ce froncement de sourcils qui témoignait de ce mélange d'inquiétude et de bienveillance qu'elle lui avait toujours connu. Combien de fois Pauline l'avait-elle veillée ? Combien de nuits avait-elle passées, drapée dans son amitié réconfortante ?

Là où tout le monde s'en était allé, Pauline, elle, était restée. Mieux qu'un pacte de sang, c'était un pacte de cœur qu'elles avaient scellé au fil des années. Violette savait que sa vie était indubitablement liée à celle de son amie. Quand la mort s'était approchée au plus près d'elle, que son souffle glacé l'avait paralysée, c'était l'énergie que Pauline lui avait insufflée, qui l'avait ranimée. Et c'est grâce à elle qu'elle tentait chaque jour de se relever.

Elle quitta la chambre sans bruit, entra dans la cuisine, se prépara un café puis s'approcha du canapé. Elle manqua de lâcher sa tasse lorsqu'elle y découvrit Fred allongé. Ses yeux papillonnaient sous ses paupières fermées. Il ressemblait à un enfant. Elle s'attarda sur son visage angélique. Elle n'avait aucun mal à se figurer le nombre de femmes qui devaient s'être laissées séduire par son regard brillant et ses fossettes expressives.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, Violette sursauta comme prise en faute. Elle bégaya quelques mots, s'excusant de l'avoir réveillé.

  • Tu vas mieux ? lui demanda-t-il.
  • Oui tout va bien. Je me suis laissée distraire. Du coup, pas terrible pour vous ce premier combat.
  • Je t'ai trouvée...super, répondit-il dans un raclement de gorge.

Violette plongea dans le regard bleuté que lui adressait Fred et, tout en contemplant ces deux puits d'eau clair, elle se sentit plus légère.

— La vache, j'étais K.O moi!

Les deux jeunes gens se regardèrent et éclatèrent de rire à la remarque de Pauline qui s'avançaient vers eux et baillait à s'en décrocher la mâchoire.

Après un copieux petit-déjeuner, le jeune homme laissa les deux amies seules. Elles passèrent la journée à regarder des séries sur Netflix tout en grignotant des carrés de chocolat à la noisette.

  • Tu devrais faire attention à Fred, lâcha soudainement Pauline.
  • Pourquoi tu me dis ça ?
  • Tu le regardais bizarrement tout à l'heure.
  • N'importe quoi !
  • Fais gaffe quand même. Fred c'est pas un mec qui s'attache.
  • Parce que tu crois que je veux m'attacher moi ?
  • Il le faudra bien un jour ma Violette.
  • Et si tu essayais de t'attacher à quelqu'un toi aussi ?

Touchée par la remarque de son amie, Pauline se recroquevilla dans son coin et scruta l'écran, les sourcils froncés. Violette s'en voulait d'avoir parlé aussi vite. Elle connaissait les raisons de cette méfiance exacerbée que son amie entretenait inconsciemment. Pourtant elle savait aussi qu'une bonne amie était une personne qui savait vous parler franchement, qui vous poussait à aller au-delà de vous même quitte à vous bousculer un peu. C'était ce que Pauline faisait d'ailleurs pour elle. Elle ne trichait pas, jamais, lui parlait avec sincérité, toujours, et lui soufflait l'envie d'aller de l'avant quitte à la pousser dans ses retranchements. Violette l'observa. Elle comprenait sa mise en garde maladroite et se sentait privilégiée d'avoir une amie qui s'inquiétait autant pour elle. Sous le plaid, sa main avança jusqu'à rencontrer celle de sa copine. Leurs doigts s'entremêlèrent et, les yeux accrochés à la série qu'elles regardaient, elles se sourirent.

**

Violette entama la semaine apaisée. Le week-end passé en compagnie de Pauline lui avait fait le plus grand bien. Même si elles se voyaient très régulièrement, chacune d'entre elles avait sa propre vie. Passer ces deux jours à flemmarder, papoter et refaire le monde avait été pour elles deux un moment de joie partagée. Mais Violette éprouvait un petit quelque chose en plus depuis l'anniversaire de Mylène. Sortir et rencontrer de nouvelles personnes l'avait comme revigorée. Les cauchemars avaient laissé place à des nuits de sommeil au sein desquelles Violette voguait sur l'eau cristalline d'un puits éclairé.

Elle entra dans le cabinet comptable dans lequel elle travaillait, le sourire aux lèvres. Ses collaborateurs remarquèrent sa mine enjouée et la questionnèrent sur son combat de vendredi, persuadés que son humeur joviale était due à une victoire écrasante. Violette leur conta ses exploits, se rappelant soudainement qu'elle était privée de boxe pour une semaine. Cela entacha quelque peu son moral. Boxer était devenu un besoin viscéral. Ce sport, en plus d'occuper ses soirées solitaires lui permettait d'évacuer les émotions qui s'entrechoquaient à l'intérieur d'elle-même. Elle aimait se vider la tête, du poids de sa journée, des contraintes du travail, des douleurs passées et des angoisses qui la tourmentaient.

Qu'allait-elle bien pouvoir faire de ces soirées libres après le travail ? La mine renfrognée, Violette se pencha sur ses dossiers. Il serait temps d'y penser le moment venu.

La journée passa, rythmée par l'ambiance joyeuse du cabinet. Si Violette appréciait les personnes avec lesquelles elle travaillaient, elle n'était pas aussi proche d'eux que l'était Pauline de ses collègues. La plupart était des quadragénaires – voire plus – mariés, pères et mères de famille. La faible minorité restante, qui correspondait davantage à sa tranche d'âge, était composée d'Édouard et d'Allan, deux introvertis perdus dans leurs chemises à carreaux. Pas de femme, pas de petite amie, pas de hobby. Pas de chien, pas de chat, même pas un canari. Violette avait tenté plusieurs fois d'engager des conversations mais ils s'étaient tous deux murés dans un silence pesant.

Malgré tout, ces deux hommes la fascinaient. Ils n'avaient aucun lien de parenté mais se ressemblaient tant qu'on aurait dit des jumeaux. Ils reproduisaient les mêmes gestes à cinq minutes d'intervalle. Les regarder tour à tour, c'était comme retourner en arrière sur la bande d'un film pour revisionner la même scène.

Allan arrivait chaque matin à 8h25. Il détestait plus que tout être en retard. Elle se rappelait de la fois où, en raison d'une grève de train, il était arrivé après l'ouverture. Il avait passé la porte du cabinet, le teint blême et le souffle court. Il avait desserré sa cravate et s'était laissé tomber dans le fauteuil d'accueil. Nathalie avait dû lui donner une petite claque pour le ramener à la vie. Edouard, lui, arrivait tous les jours à 8h30 tapantes ! Allan sortait de son sac un sandwich enveloppé de cellophane à midi. Edouard à midi cinq. De son bureau, Violette les observait, stupéfaite et amusée. Leur insouciance lui donnait le sourire.

La journée terminée, Allan quitta le cabinet à 17h55. Violette savait pertinemment qu'il voulait être certain d'attraper le train de 18h08. Edouard quant à lui, sortit à 18h. Au moment de partir elle aussi, elle consulta son téléphone avant de le fourrer dans son sac. Une petite enveloppe clignotait. Pauline lui avait laissé un message.


« Fred me bassine pour avoir ton numéro.

J'vais péter un plomb. Qu'est ce que je fais ? »

Violette s'imaginait parfaitement la mine agacée de Pauline. De ce qu'elle savait, son amie n'appréciait pas particulièrement les allures de séducteur que se donnait son collègue. Elle l'avait mise en garde et serait contrariée de les voir se côtoyer. Malgré tout, elle envoya son consentement. C'est en rentrant chez elle, qu'elle découvrit le message de Fred.

« Salut Violette. Un verre ça te dit ?

Tu m'en dois toujours un... »

« C'est que je ne voudrais pas

déranger tes plans pour ce soir. »

« Marion est indisposée, Salomé en

déplacement et Bélinda ne répond pas. »

Violette éclata de rire.

« Le Green Mill ça te tente? »

Elle adorait cet endroit. Fred marquait un point.

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